Ancien bourg colonial agricole implanté sur les terres de la féodalité locale, Guettar El Aïch est distant de 17 km du chef-lieu de la commune administrative d'El Khroub. Les propriétaires terriens européens (Laurey, Benson, Milord, Roger, Tastir et Sansal) en ont fait une commune avec son bureau de poste pour leurs besoins en correspondance, d'autant que les communications des autochtones, habitant dans les douars de (Bir-Dekkiche, Brahmia, Lemouassa, Meghazi, Saïdia, Dahbia, Mebhaha) se faisaient au souk hebdomadaire du vendredi. A cette époque, des féodaux locaux se permettaient au moyen de diligences à deux roues tirées par des êtres humains, et de préférence de couleur, pendant que les fellahs (khamassa) sans terre se contentaient de ce que leur procurent leurs bras en maigres revenus en nature et du oûchour (forme de zakat) si la moisson est bonne et si les propriétaires terriens sont animés d'une bonne humeur de générosité. Le chemin wilayal qui y mène depuis El Khroub en traversant Derradji Salah est abondamment dégradé. Les automobilistes et les transporteurs préfèrent emprunter la route des quatre chemins via Aïn El Bey que de s'aventurer sur l'ancienne voie. Arrivé à Guettar El Aïch, c'est un véritable bourbier. Aucune rue et aucun trottoir n'échappent au délabrement aggravé par les travaux d'installation des canalisations d'égouts, dont les habitants estiment « superflu d'autant que l'ancienne conduite est appropriée pour l'évacuation des eaux usées ». Il y a de la gadoue partout. Les habitants des douars doivent mettre des bottes pour rejoindre le village ou le bord de la route afin de prendre l'autobus qui passe rarement. Pour leur alimentation en eau potable, ils utilisent les ânes pour transporter les jerricans. Exceptés, les douars de Brahmia, de Bir Dekkiche et Lemouassa, les autres n'ont pas de chemin carrossable. Les habitants de ces hameaux sont très préoccupés par leur isolement et se considèrent comme des laissés-pour-compte. Leurs préoccupations sont : le gaz de ville, l'alimentation en eau potable, le désenclavement des douars, le transport, et surtout le travail pour les centaines d'habitants qui consacrent leur journée à scruter les véhicules qui passent ou à se cloîtrer dans des cafés en jouant aux cartes et aux dominos pour tuer leur temps. Etant donné la rigueur de l'hiver dans cette contrée située sur une colline, la consommation du gaz butane devient onéreuse pour le budget de ces familles pauvres et aléatoire pour le chauffage des maisons de style mauresque. Pour les Guettaris, qui se proclament plus anciens que les habitants de la localité de Derradji Salah, ils ne comprennent pas leur marginalisation quant à l'introduction de certaines commodités. En raison de la pauvreté qui avance, les parents d'élèves hébergent leurs enfants chez des membres de la famille installés à El Khroub afin de suivre leurs études. Néanmoins, cette pratique a subi les effets de l'évolution des mœurs familiales à la suite de l'autonomisation des ménages. Ces familles qui ne peuvent plus soutenir la prise en charge des « étrangers » qui ont eu des conséquences sur leur cursus scolaire, dont nombre d'entre eux ont carrément abandonné les collèges et les lycées. Il a été question d'élaboration d'une carte sociale de la commune pour identifier les poches de ce fléau qui ronge la société. Les écoliers du premier palier ne sont guère mieux lotis. Pendant l'été, ils sont contraints de se munir d'une bouteille d'eau pour étancher leur soif en classe et pour leurs « besoins ». Et pourtant, El Guettar constitue un grenier pour la communauté en matière de culture céréalière, dont l'Algérie se classe malheureusement parmi les premiers pays importateurs, et l'ex-puissance coloniale est devenue son premier fournisseur.