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Que peuvent attendre les immigrés d'une victoire de la gauche ?
La chronique de Maurice Tarik Maschino
Publié dans El Watan le 21 - 02 - 2012

Si François Hollande entre à l'Elysée en mai prochain, vous croyez que Myriem(1) reviendra vite ?»
Algérien installé depuis 25 ans en Normandie, où il dirige une station-service, Kader vit d'angoisse et d'espoir. Arrivée en France avec un visa touristique, sa femme y est restée. Jusqu'au jour où, lors d'un contrôle d'identité dans un train, elle a été arrêtée, puis expulsée. Kader ne comprend pas : «Nous sommes mariés. Pourquoi l'avoir renvoyée chercher un visa à Alger, alors qu'elle était sur place ? C'est absurde !» Oui, mais c'est la loi : tous les jours, des couples sont séparés. L'éventuelle victoire de François Hollande mettra-t-elle fin à ce scandale ?
En un sens, il est trop tôt pour répondre : le programme du PS sur l'immigration est très maigre – 4 phrases et 2 lignes. S'il prévoit que les étrangers résidant en France depuis cinq ans pourront participer aux élections locales, il annonce «une lutte implacable contre l'immigration illégale». Il précise également que les régularisations des sans-papiers se feront «au cas par cas» sur «des critères objectifs».Prudence électoraliste. Mais cette frilosité a également des raisons qui ne doivent rien à la conjoncture et beaucoup plus à la nature même de cette gauche.
Comme l'illustre la politique des socialistes à l'égard des immigrés en 1981. L'état de grâce, qui rendit plus supportable leur condition, prit fin dès les élections législatives de 1983(2) : renforcement du contrôle aux frontières, aggravation des peines en cas de séjour irrégulier, création de centres de rétention, chasse aux clandestins et, conséquence inévitable, généralisation des contrôles au faciès, expulsion d'un conjoint en situation irrégulière – c'est le cas de Myriem. Hausse du chômage, mécontentement populaire : les périodes de crise économique font toujours des étrangers des boucs émissaires que frappent des mesures de plus en plus dures.
La gauche mitterrandienne n'a pas échappé à cette règle et l'on ne voit pas pourquoi l'équipe de François Hollande, si elle arrive au pouvoir, réagirait d'une autre façon. Comme l'explique Hervé Algalarrondo(3), journaliste au Nouvel Observateur, la gauche actuelle souffre de schizophrénie : d'un côté, elle prend fait et cause pour les immigrés chaque fois que la droite les malmène, mais d'un autre côté, confrontée très concrètement à la réalité, elle oublie ses idéaux : lorsqu'en 2010 le gouvernement a décidé de renvoyer en Roumanie des Roms qui occupaient illégalement un campement, Martine Aubry a vivement protesté. Mais, «en tant que présidente de la communauté urbaine de Lille, elle a réclamé l'évacuation d'un campement de Roms».
Etrangement silencieuse à l'époque où la Tunisie subissait la dictature de Ben Ali, la gauche s'est montrée très ambivalente lors de l'arrivée en France de réfugiés tunisiens : si elle a dénoncé les pressions du gouvernement français pour que l'Italie les empêche de gagner l'Hexagone, elle n'a pris aucune initiative pour les accueillir.
Il y a enfin une autre question que la gauche ne pose jamais. Tout se passe comme si le seul problème, à propos des immigrés, était de définir dans quelles conditions ils peuvent entrer en France, y séjourner, en être expulsés, faire venir ou non leur famille. Que la droite ne pose pas le problème de leur travail se comprend : il n'est pas question, pour elle, qu'ils s'attardent dans l'Hexagone. Mais que la gauche ne le pose pas non plus est «aberrant» : «Pourquoi la gauche ne se mobilise-t-elle pas pour résoudre la principale cause du mal-être des jeunes immigrés ou issus de l'immigration : leur exclusion du monde du travail ? (…) Pour reprendre une vieille distinction marxiste, la gauche défend une liberté "formelle", la liberté de s'installer en France, sans se soucier de sa conversion en liberté "réelle", faire en sorte que les arrivants puissent vivre dignement(4).»
Sans ancrage dans une classe ouvrière très affaiblie – elle ne représente que 23% des actifs –, le Parti socialiste est essentiellement le parti des classes moyennes, un parti très prudent, très timidement réformiste, «réaliste», comme il dit, sans envergure historique, sans projet qui enthousiasme et mobilise. Il est utopique d'espérer qu'il change en profondeur la condition des immigrés et de leurs enfants.
Note :
1) Les prénoms ont été modifiés.
2) Cf. un exposé très détaillé de la juriste Danièle Lochak,
La politique de l'immigration au prisme de la législation sur les étranger (in Google)
3) Cf.Hervé Algalarrondo,
La gauche et la préférence immigrée (Plon, 2011)
4) H. Algalarrondo, op.cit


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