De quelque bord qu'on essaye de l'analyser, la sortie médiatique des Tagarins – rien n'y fait – n'en reste pas moins «muette» à beaucoup d'égards tant le mystère reste entier. La lettre du ministère de la Défense nationale aux médias, les «invitant» à ne plus désigner l'institution militaire sous le vocable de «Grande Muette» suggère plus d'interrogations qu'elle n'apporte de précisions. Dans son communiqué rendu public vendredi – un jour férie de surcroît –, le MDN récuse cette appellation qui semble ainsi déplaire. En quoi franchement la désignation de l'armée par «Grande Muette» pourrait-elle porter préjudice ou écorner l'image de l'institution militaire ? Ou faut-il lire au contraire une volonté de l'armée de délivrer un message politique ? Le cas échéant, lequel ? Les mœurs politiques algériennes sont à ce point ancrées dans les mentalités et la pratique politique depuis l'indépendance qu'à chaque fois que l'armée tousse, c'est tout le pays qui s'enrhume. Quelque chose a-t-il déjà changé depuis ? Alors, depuis quand ? «Le message du MDN est clair. Nous n'interviendrons pas dans le champ politique tant que celui-ci ne risque pas de mener l'Algérie vers les dérives du passé. En filigrane, il me semble que le message sur la Grande Muette est un positionnement – non encore clairement dit – sur le rôle constitutionnel que devra jouer l'armée dans les années avenir, après le changement de la Constitution voulue par le président Bouteflika», déclare le politologue Rachid Grim. Un fait notable par ailleurs : le communiqué du MDN intervient à mi-chemin de deux évènements politiques importants dans le pays : au lendemain du discours du chef de l'Etat et à la veille de la visite de la secrétaire d'Etat américaine, Hilary Clinton. Ou serait-ce juste un hasard de calendrier ? «Ces derniers jours le gouvernement – même le président de la République – a communiqué sur l'importance de la prochaine échéance électorale. Beaucoup de choses pourraient donc être changées dans la nouvelle Constitution, y compris, peut-être, le type de régime lui-même. Les élections législatives prochaines pourraient donc déboucher, de par la volonté du Président lui-même, sur un changement de régime. L'islamisme pourrait arriver au pouvoir et installer très rapidement un véritable régime islamiste. L'institution militaire, consciente du danger – pour elle d'abord, qui pourrait être complètement absente du système qui sera mis en place, y compris en tant que garante du caractère républicain du régime – se positionne pour marquer sa volonté de rester partie prenante du régime qui sera mis en place», analyse Rachid Grim. De l'avis de nombreux politologues et observateurs, la terminologie «Grande Muette» convient parfaitement à l'armée algérienne en ce qui concerne son rôle et ses pouvoirs politiques. Mais tous les experts que nous avons tenté de faire réagir, pourtant traditionnellement assez bavards, ont préféré rester «muets» eux-mêmes, par contre ! L'armée a parlé, tout le monde est mis dans la gêne ! «Elle est qualifiée ainsi de par le secret qui entoure sa stratégie politique. L'armée est encore considérée par beaucoup d'analystes politiques comme partie prenante du pouvoir politique. De toute manière, beaucoup d'hommes politiques, d'intellectuels et bien entendu de journalistes affirment que l'armée détient encore le vrai pouvoir et que c'est elle qui tient les manettes du pouvoir. C'est sur cette question qu'il serait intéressant d'entendre l'armée s'exprimer», suggère le politologue. Et d'enchaîner : «En fait, elle l'a fait une fois – très officiellement – par la bouche de feu Mohamed Lamari en 2002, alors chef d'état-major de l'ANP. Il affirmait que l'armée n'avait plus aucun rôle politique et ne comptait pas en avoir. Cela ne veut pas dire que cette déclaration est à prendre à la lettre. Car même si le président Bouteflika a tout fait pour réduire le rôle de faiseur de rois de l'armée, cela ne veut pas dire qu'il y a pleinement réussi. Il semble que l'ANP, en tant qu'institution, garde encore certaines prérogatives pour certains pouvoirs qui font encore d'elle un élément essentiel. Même si l'armée a, entre-temps fait sa mue, le DRS existe bien et il fonctionne dans une absence complète de transparence.» Notons enfin que le ministère de la Défense nationale était injoignable durant toute la journée d'hier.