A peine quelques jours après avoir gagné le procès contre le richissime saoudien Pharaon au tribunal arbitral maritime de Londres, la PDG de CNAN Group est en passe d'être limogée. Prévue pour aujourd'hui, une réunion du conseil d'administration devrait, selon nos sources, sceller son sort. Il s'agirait d'une décision qui annule toute démarche de révision de la convention qui lie Pharaon à la CNAN pour exiger de lui le paiement des salaires et de l'indemnisation des marins et ainsi que la location et la maintenance des navires. Une réunion de l'assemblée générale extraordinaire de CNAN Group a été convoquée pour aujourd'hui. Selon des sources proches de l'entreprise, l'ordre du jour sera consacré à la mise de fin des fonctions de la présidente-directrice générale du groupe. La décision, qui aurait fait l'effet d'un séisme au sein de la compagnie maritime, intervient au moment où celle-ci vient de gagner son procès intenté par Ghait Rashad Pharaon (qui détient 49% des actions dans sa filiale IBC) auprès du tribunal maritime de Londres. Une action qu'il avait introduite en 2010 lorsque la PDG avait bloqué les virements des montants de factures «suspectes» relatives à la réparation de trois navires (Blida, Nememcha et Nedroma) qu'il avait en charge. En fait, pour entrer dans le capital d'IBC et exploiter la flotte de 8 navires, Pharaon avait mis 9 millions de dollars et prêté une somme de 5 millions de dollars à IBC, dont le remboursement, selon le contrat de cession, devait se faire sur cinq ans (un million de dollars par an) avec le produit de l'affrètement de la flotte. Quelque temps après, deux cadres dirigeants de CTI Group, dont il est propriétaire, créent aux îles Caïmans la société Leadarrow, avec un capital social de 1000 dollars. La société décroche l'exploitation des 8 navires cédés à Pharaon. Les factures émanant des chantiers de réparation roumain et grec commencent à pleuvoir à la CNAN. Evaluées initialement à 3 millions de dollars, elles ont atteint 17 millions de dollars. De quoi acheter une nouvelle flotte. Le reste de la flotte rapporte plusieurs dizaines de millions de dollars par an. En 2009, la CNAN suspecte une surfacturation des travaux par les chantiers. Elle exige de CTI Group les factures des réparations effectuées avant tout virement effectué au profit de Leadarrow. CTI ne répond pas. Il menace de recourir aux instances d'arbitrage international d'autant qu'après avoir payé 4 millions de dollars, la CNAN prend la décision de bloquer les paiements jusqu'à ce que les factures détaillées des réparations lui soient fournies. Leadarrow saisit le tribunal maritime de Londres. La bataille juridique dure plus de 16 mois à l'issue desquels CNAN Group obtient gain de cause. Le tribunal décide que Leadarrow n'a pas à payer les réparations des navires, que IBC-CNAN n'a pas à rembourser les frais de Leadarrow et que cette dernière ne peut prétendre à une compensation entre ce qu'elle doit payer comme réparation et comme revenu à IBC. En clair, le tribunal de Londres a totalement débouté Pharaon à travers une décision définitive, non sujette à un recours. Un verdict qui renforce la position de CNAN Group devant la Chambre de commerce international (CCI) de Paris, saisie parallèlement par l'homme d'affaires saoudien. L'arbitrage de la CCI est prévu par le contrat de cession entre CNAN Group et CTI. En fait, le départ de la PDG de CNAN Group n'aurait d'autre objectif que de saborder la décision du tribunal de Londres, sachant qu'elle est présidente du conseil d'administration d'IBC et, à ce titre, elle est la seule habilitée à agir contre Leadarrow et, à travers celle-ci, contre CTI Group avec lequel, faut-il le préciser, la rupture de confiance est engagée. La PDG connaît parfaitement le dossier puisqu'elle dirigeait, avant même d'accéder à ce poste, la direction juridique de la compagnie. Le verdict de Londres lui permettait en fait d'introduire auprès de la même instance une demande reconventionnelle pour exiger de Pharaon le paiement du fret des navires, de leur maintenance, du salaire des marins et leurs indemnités. Quelle est donc la raison qui pousse au départ un fonctionnaire qui a réussi ? Est-ce le fait de s'être attaquée à Ghait Pharaon, cet homme puissant, cité dans une affaire de fraude financière internationale impliquant la Banque de crédit et de commerce international (BCCI) et qui, en 2008, a été mis par le FBI sur la liste des personnes recherchées par Interpol ? On n'en sait rien. Ce qui est certain, c'est que ceux qui ont pris la décision de limoger la PDG savaient très bien la portée de leur coup. Nommer un autre président du conseil d'administration d'IBC nécessite la présence des deux frères jordaniens Dajani, qui détiennent 24,5% des actions d'IBC (et patron de Leadarrow). Or, ces derniers n'ont pas mis les pieds depuis 2009 devant le tribunal de Londres ; seul le président du conseil d'administration d'IBC est habilité à plaider. Au grand bonheur de l'homme d'affaires saoudien et au détriment des intérêts d'une compagnie nationale qui peine à reprendre la mer, le départ de la PDG de CNAN Group donne un nouveau tournant à l'action en justice menée à Londres et Paris.