L'auteure de L'immigration algérienne et les pouvoirs publics dans le département de la Seine 1954-1962 et de La guerre des ondes en Algérie vient de publier un livre qui retrace l'histoire de l'immigration algérienne en France. Elle bat en brèche de nombreuses idées reçues. -Pourquoi un tel livre ? L'idée de cet ouvrage est de proposer, à l'occasion du cinquantenaire de l'indépendance algérienne, une synthèse historique accessible à tous sur l'histoire de l'immigration algérienne en France. L'intérêt du grand public, et en particulier des jeunes, ne se dément pas et se renouvelle même lors de cette année anniversaire. Je pense également aux enseignants qui abordent ces questions complexes avec leurs élèves.Pour la Cité nationale de l'histoire de l'immigration qui co-édite ce livre, il s'agit d'annoncer la grande exposition temporaire qui ouvrira le 10 octobre 2012 : «Vies d'exils. Des Algériens en France pendant la guerre d'Algérie 1954-1962».Cet ouvrage permet de retracer l'histoire de ces migrants algériens, alors ni Français ni étrangers, qui dès la fin du XIXe siècle, dans le contexte de l'ordre colonial, traversent la Méditerranée. L'accent est mis sur la période de la guerre d'Algérie lorsque la présence algérienne double au sein de la métropole et se mobilise pour l'indépendance. -Quelles sont les principales méconnaissances sur l'immigration algérienne ? Une des tendances fortes est de focaliser sur le post-colonial. Plus largement, l'actualité et les représentations que l'on se fait aujourd'hui de l'immigration algérienne parasitent souvent l'approche historique. Or, la présence algérienne en France s'ancre sur plus d'un siècle. Cette immigration a été fortement et précocement politisée. La première organisation indépendantiste, l'Etoile nord-africaine, de Messali Hadj, est née en 1926, en métropole et s'est enracinée au sein de la communauté immigrée. Celle-ci a, dès lors, été particulièrement surveillée par les services de police. L'immigration devient à la fois un enjeu et une force considérable dans le déroulement de la guerre d'indépendance algérienne. Cet aspect a longtemps été négligé des deux côtés de la Méditerranée. -Quelle est la spécificité de cette histoire de l'immigration pendant la guerre d'Algérie ? Fait historique inédit : une importante immigration, de l'ordre de 350 000 personnes en 1962, se mobilise au cœur de la métropole coloniale pour l'indépendance de son pays. Les enjeux sont multiples. Cette situation conduit premièrement à une lutte fratricide entre les Messalistes du MNA et le FLN pour le contrôle et l'implantation au sein de la communauté immigrée. Le FLN l'emporte rapidement et entreprend de faire de l'immigration une véritable contre-société en France. Les pouvoirs publics, particulièrement inquiets, multiplient les outils de surveillance — y compris par l'action sociale — et de répression. Cette répression, particulièrement violente, s'inspire, sous l'autorité du préfet de police Papon à Paris, de méthodes mises en place pour contrer le FLN en Algérie, et culmine le 17 octobre 1961. Le 5 juillet 1962, l'indépendance est célébrée partout dans les quartiers dits «nord-africains», par exemple dans le bidonville de Nanterre ou la Goutte d'Or. Les immigrés la fêtent à grands renforts de chants, de drapeaux, de repas. -Peut-on parler d'histoire apaisée ? De nombreuses initiatives fleurissent en ce moment afin de revenir sur l'histoire et les mémoires de la guerre d'Algérie. Les recherches historiques, films, publications, démarches artistiques sont multiples et ouvrent les regards. Mais, par ailleurs, les mémoires saignent toujours. Elles se placent parfois en concurrence, comme une manière de rejouer la guerre. Il semble alors délicat de faire un travail d'histoire dans toute sa complexité, sans oublier la prise en compte de cette histoire par l'Algérie et les Algériens. Immigration algérienne et guerre d'indépendance – co-édition Cité nationale de l'histoire de l'immigration – collection «Le Point sur l'immigration en France», 2012.