L'historienne Linda Amiri s'est penchée sur la guerre d'Algérie en France. Elle est l'auteur de La Bataille de France, éditions Robert Laffont. Comment expliquez-vous l'adhésion de la population algérienne installée en France aux thèses du FLN et comment cela s'est fait ? Le FLN a su utiliser à son profit l'héritage messaliste en jouant sur les nombreuses failles du MNA. Celui-ci, à l'inverse de son concurrent, choisit de mener la lutte en métropole par la voie légaliste : ni son organisation politico-administrative ni ses finances n'étaient adaptées à la lutte clandestine. En outre, Messali Hadj, par ses multiples assignations à résidence, n'a jamais réellement exercé un contrôle total et exclusif sur son parti. A la veille de l'indépendance de l'Algérie, le MNA finit par imploser. A l'inverse, si l'immigration algérienne fit le choix dès 1957 de soutenir le FLN, c'est avant tout parce que ce dernier se montra plus efficace dans l'organisation de la lutte en métropole. La lutte entre le FLN et le MNA a profondément marqué la communauté algérienne installée en France. Comment le FLN a-t-il gagné l'opinion ? Devancé sur le fil par un FLN encore méconnu des Algériens, Messali Hadj joue sur la confusion et revendique la paternité du 1er Novembre 1954. A cette époque-là, il est assuré de l'appui quasiment inconditionnel de l'immigration algérienne. Les premiers pas du FLN en France sont très difficiles : il lui faut prouver sa légitimité. Les frontistes sont très marginaux, à peine une poignée d'hommes. Ils tentent de discréditer le MNA auprès des Algériens, d'une part, en démontrant que c'est le FLN, non le MNA, qui est à l'origine de l'insurrection et, d'autre part, en critiquant sa tactique d'action. Ce jeu d'influence entre MNA et FLN est essentiel dans la mesure où, idéologiquement, leur programme politique se rejoint sur un certain nombre de points. Leurs divergences reposent essentiellement sur la manière dont la lutte doit être menée : le MNA, à l'inverse du FLN, opte pour la primauté du politique sur le militaire. En 1956, le temps des débats est clos, vient celui de la guerre algéro-algérienne, dans laquelle l'Organisation spéciale (OS) du MNA et du FLN joua un rôle de premier ordre. Mais le grand « déclic » est au fond la grève des huit jours (28 janvier 1957-4 février 1957) qui fut un succès total pour le FLN. Il était parvenu à faire la preuve de son influence sur la grande majorité des Algériens de France. Il y a eu combien de victimes en octobre 1961 et comment cela s'est-il passé ? Les dirigeants de la Fédération de France décidèrent d'organiser la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 lorsque le préfet de police de Paris Maurice Papon décréta, le 5 octobre, la mise en place d'un couvre-feu pour les seuls Algériens, qui visait à asphyxier l'organisation du FLN : ses militants ne pouvant plus circuler le soir, il leur était impossible d'acheminer les cotisations ou d'organiser des réunions politiques. C'est Ali Haroun qui rédigea les consignes : la manifestation doit être pacifique ; aucune arme ne doit circuler ; hommes, femmes et enfants doivent défiler. Le soir du 17 octobre, les Algériens se dirigent calmement vers le centre de Paris. Très vite, les forces de l'ordre tirent sur la foule. La « bête hideuse du racisme » est lâchée... Le bilan tragique de cette nuit d'horreur est effrayant : Des dizaines d'Algériens sont tués par balles ou noyés dans la Seine. On compte des centaines de blessés, tandis que 11 000 hommes sont arrêtés, puis parqués dans les gymnases parisiens avant d'être « renvoyés vers leur douar d'origine ». Quelle était la situation des Algériennes installées en France durant la guerre d'indépendance ? Les femmes sont à cette époque très minoritaires. En 1955, par exemple, les services de police notent que dans le quartier de la Goutte-d'or, à Paris, sur 3792 Nord-Africains, on compte 47 femmes musulmanes. L'immigration algérienne est une immigration masculine, dont les causes sont essentiellement économiques. Aussi, pour ces femmes, l'adaptation à la société d'accueil est très difficile : venues principalement des régions rurales d'Algérie, elles ne parlent pas ou très peu le français. Durant les premières années d'exil, l'isolement des femmes algériennes émigrées est très important. Mais elles aussi ont pris part à la guerre d'Algérie en métropole. Peut-on dire que la guerre s'est jouée aussi en France ? L'ouverture du second front par la Fédération de France du FLN a pour objectif de contraindre le gouvernement français à maintenir dans l'Hexagone le maximum de troupes afin d'alléger le dispositif de guerre pesant sur l'ALN en Algérie. Dès lors, l'Etat français tente de faire basculer l'immigration algérienne dans le camp de l'Algérie française : les collectes menées par la Fédération de France servent à financer le GPRA et l'ALN. S'il parvient à éradiquer le FLN en France, la marche vers l'indépendance de l'Algérie pourrait être remise en cause. Le centre névralgique de cette lutte est l'ancien département de la Seine, très industrialisé ; il concentre la majorité des Algériens, soit 115 000 en 1958. Maurice Papon, avec le soutien de sa hiérarchie, parvient à mettre en place un système de contrôle et de répression très structuré, soutenu par l'existence de camps d'assignation en France. Le rôle joué par la Fédération de France pendant la guerre d'Algérie fut déterminant.