C'est dans la perception irrévérencieuse que nous avons les uns des autres que réside notre mal. Ce mal provient de la perception qu'avait l'illettré du lettré et vice-versa en pleine révolution armée, quand bien même les deux étaient engagés au service de la guerre de Libération nationale. Déjà qu'on disait en 1956 qu'avec des diplômes on ne faisait pas de meilleurs cadavres ! Dieu que c'est vrai aussi aujourd'hui parce qu'avec des diplômes on ne fait pas de bons managers en Algérie, mais ailleurs oui. La recherche du leadership politico-militaire constituait une bataille avant l'heure des grandes responsabilités post-indépendance. Ce mépris de la classe dirigeante envers le reste de la société, né du coup de force de l'état-major général (EMG) dès 62, a fondé sa prise de pouvoir sur l'incapacité des moudjahidine de l'intérieur à fonder et diriger un Etat à restaurer. Ce virus était inoculé en permanence par la puissance coloniale intelligente dans toute sa propagande qui n'accordait pas beaucoup d'importance aux événements des «indigènes» quant à leur capacité à s'émanciper de la France. Encore moins par la force des armes ! Nous restions des bougnoules et des corvéables à merci, c'est-à-dire des bons à rien. Rien n'a changé depuis dans leur perception de l'Algérie et des Algériens par la faute de la mauvaise gouvernance bête et méchante qui donne du grain à moudre aux revanchards de l'Algérie française parmi ses nostalgiques d'ici et de là-bas. Il est aisé de retrouver dans les mémoires publiés des deux acteurs de la Guerre cette permanente culpabilisation (accusation) d'incapacité presque congénitale à diriger seuls les affaires de l'Algérie émanant du camp français. Les démonstrations contraires apportées par les Algériens de la trempe de Ferhat Abbas, Abderrahmane Farès, Hocine Aït Ahmed et combien d'autres prestigieux noms de la Révolution morts (ou encore en vie), comme Mostapha Lacheraf et tous les autres qui ont fait et font toujours l'Algérie qui compte sans se laisser conter, du seul point de vue patriotique. On les trouve en Algérie en dehors du système de l'armée des frontières. L'entreprise coloniale de déracinement culturel a déteint sur certains Algériens de Novembre qui développaient le complexe du colonisé et continuent de le faire inconsciemment jusqu'à aujourd'hui. Soyons sûrs que les Algériens post-indépendance, en face de Français, ne développent aucun complexe d'infériorité née de l'histoire douloureuse partagée. Souvent, ce sont les Français qui s'émerveillent du niveau de nous autres, chacun dans son domaine d'activité. Ils ne manquent jamais de vous questionner sur votre cursus de formation et ne croient pas que vous ayez été formés dans l'école de l'indépendance malgré la preuve de votre jeune âge biologique qui atteste de votre inexistence physique en ce temps là ! Ils doutent que vous ayez appris le français à l'école comme eux… Mais la grande question aujourd'hui est celle de savoir pourquoi cette génération, malgré son âge très avancé, tarde à passer le témoin aux jeunes générations qui aspirent à normaliser l'Etat algérien et la vie dans ses frontières pour les siens d'abord et pour la coexistence pacifique de ses voisins ensuite. Tout ce qui ressemble à Bouteflika est déçu par sa propre clientèle toujours à l'affût du partage du gâteau et des privilèges attachés aux fonctions dans le secteur public administratif et économique. Tout ce monde nommé aux affaires sur recommandation d'un parapluie ne traduit pas sur le terrain la générosité du discours politique en milliards de dollars accordés au développement socio-économique des Algériens de tout âge, du premier au quatrième. Bien au contraire, ils déçoivent par leur incompétence doublée de la corruption et des détournements qu'ils ont à leur actif s'estimant mandatés pour se servir et non servir le pays qu'ils déconstruisent dangereusement. Après tout, les auteurs des scandales de toute nature sont nommés par le pouvoir «décrétaire» après un cheminement de procédure qui débute soit par un coup de fil d'un ponte du régime, soit par une visite de courtoisie intéressée chez un décideur. Ainsi, ils sont trompés en permanence sur la valeur des éléments qu'ils introduisent dans la bergerie : des loups plutôt que des chiens bergers. Ils ne sont comptables d'aucune erreur ou faute, d'aucun reproche, même amical, pour faire honneur au parapluie qui a été déployé pour leur carrière dommageable pour l'Algérie en perte de temps, d'argent et de sueur inutile. C'est ainsi depuis 1962 et ça continue parce que c'est devenu le Système basé sur une grande Loi : l'omerta ! Dans le film Le grand Charles, il est dit après le 13 mai 1958 : «Envoyons en Algérie des gens capables de briser l'ambition légitime.» Voyons des partis naissants, dont personne ne retient le sigle, concourir aux législatives, rien que ça ! Avec ces Algériens qui cautionnent la forfaiture, il n'y a absolument rien à attendre. Au lendemain des résultats, ils seront les premiers à accabler ceux qui les ont agréés. Cessons cette comédie de la préhistoire parce que refuser de jouer sur un terrain impraticable un jeu aux règles faussées est aussi un acte citoyen comme réponse à votre SMS, monsieur le ministre de l'Intérieur. Nous serions d'accord pour que le pouvoir nomme aussi ses députés, il saura les choisir mieux que le peuple immature que nous sommes devenus par la grâce du non-système érigé en système. En fait, nous irons voter, mais pour mettre des bulletins blancs si ça peut vous rassurer. Le jour où tout ce qui ressemble à Bouteflika rencontre des Algériens capables de mourir pour l'Algérie, dans tous les sens, sans rien attendre en contrepartie, ce jour-là le pouvoir échoira à qui de droit pour gouverner l'Algérie. Ce jour-là n'est pas arrivé parce que nous ne voulons que vivre pour l'Algérie dans le confort des hautes fonctions bien rémunérées. En ce sens, nous sommes tous et toutes corrompus, donc responsables de notre propre déchéance - morale et intellectuelle surtout - et donc aussi coupables de courir la perte d'une nation forgée dans le sang de l'Histoire. Un sang pur innocent et naïf, celui des paysans, des ouvriers et des laissés-pour-compte de la vie ici-bas. Dans les années cinquante, à un écolier algérien au fond d'une classe primaire coloniale, un inspecteur de l'académie a posé une question : «Toi là-bas au fond, donne-moi un exemple d'animal qui vole.» L'écolier encore somnolant lui répondit : «Un âne monsieur.» Et l'inspecteur de lui répondre : «Mon enfant, le jour où les ânes voleront, tu seras le chef de l'escadrille !» Nous y sommes, n'est-ce pas ? Tous des chefs de partis politiques qui ne volent pas bien sûr. Ah ! Que Dieu doit pleurer pour nous, tellement nous le faisons rire… parce qu'on refuse de faire de la politique, c'est-à-dire accepter des offres qu'on ne peut refuser (Brando dans Le parrain)! Terminons sur une note d'espoir. Les anciens et anciennes moudjahidine et moudjahidate nous disent maintenant qu'ils nous ont libérés à 50% en 62. Ils nous chargent d'obtenir les 50% restants par la science et la plume ! (entendu à l'occasion de la 57e commémoration de la mort du chahid Didouche Mourad, l'homme qui nous a demandé de défendre la mémoire des martyrs). Mais face à quel ennemi, nom de Dieu ?