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Le verdict sera connu le 22 mars
L'affaire opposant El Watan à l'ex-chef de la 2e Région militaire jugée
Publié dans El Watan le 10 - 03 - 2012

La journaliste et le directeur de publication d'El Watan ainsi que le directeur de l'action sociale de la wilaya d'Oran, se retrouvent à la barre suite à la plainte en diffamation déposée par l'ancien chef de la 2e Région militaire, le général Kamel Abderrahmane.
Peut-on espérer, un jour, que la justice algérienne prenne en charge ce gros dossier et donne un coup de pied dans la fourmilière ?» C'est avec cet appel que la journaliste d'El Watan, Salima Tlemçani, avait terminé son enquête sur le «Trafic de drogue à l'ouest du pays : révélations sur le cartel d'Oran», publiée par le quotidien le 18 octobre 2006. Une enquête qui avait révélé l'implication de hauts dignitaires, militaires et civils, de l'Oranie dans la plus grande affaire de trafic de drogue.
Mais curieusement, c'est l'inverse qui s'est passé. La journaliste et le directeur de publication d'El Watan, Omar Belhouchet, ainsi que le directeur de l'action sociale de la wilaya d'Oran, Kada Hazil, se retrouvent à la barre suite à la plainte en diffamation déposée par l'ancien chef de la 2e Région militaire, le général Kamel Abderrahmane. Reportée plusieurs fois, l'affaire a été jugée et le procès en appel a eu lieu, avant-hier, au tribunal correctionnel de Sidi M'hamed, à Alger.
C'était un moment très attendu par les prévenus pour plaider la justesse de leur cause, quitte à prendre le risque de s'attirer les foudres des hiérarques. «Nous savons qu'en publiant cette enquête sur le trafic de drogue, dans lequel de hauts responsables militaires et de l'Etat, qui étaient encore en poste, sont impliqués nous courrions des risques. Mais l'enquête n'a rien de diffamatoire. Elle se base sur des témoignages qui se sont avérés vrais. Notre conscience ne nous permet pas de taire des agissements liés au trafic de drogue, un fléau qui ravage notre jeunesse. Tout le monde était au courant des connexions qui existaient entre les trafiquants de drogue et de hauts responsables militaires dans la région. Comment se fait-il qu'un trafiquant de drogue, Zendjabil, soit recherché par Interpol, alors qu'à Oran on lui octroie un passeport sur directives venues d'en haut, on lui donne des armes et il bénéficie d'une coopérative militaire ?», s'est défendu M. Belhouchet.
«Pour la même affaire nous opposant au wali d'Oran, Kouadria, nous avons été relaxés par le tribunal d'Oran», a ajouté le directeur de publication d'El Watan.Le brouhaha, dans la salle d'audience pleine à craquer, a vite laissé place à un silence de cathédrale. L'assistance a été choquée en entendant citer le nom d'un général associé à un trafic de drogue. Ce qui fait dire à un homme qui accompagnait son fils, accusé dans une affaire d'agression : «On condamne les petits dealers à des peines lourdes, alors les barons de la drogue, les vrais trafiquants, on les laisse en liberté et ils se permettent le luxe de déposer plainte quand ils sont dénoncés. Quelle République !»
La stupéfaction est à son comble lorsque l'ex-directeur de l'action sociale de la wilaya d'Oran, Kada Hazil, fait le récit de ce qui s'apparente à un scénario digne de la mafia italienne : «Tout ceux qui ont osé se dresser contre ce cartel de la drogue étaient sanctionnés, isolés ou carrément mis en prison. Des douaniers, des policiers et même un colonel du DRS ont été emprisonnés. Moi aussi, j'ai été condamné pour avoir pris le risque de dénoncer ce trafic à grande échelle. Comment expliquer que Zendjabil, trafiquant notoire recherché par Interpol, bénéficie de la protection de la haute hiérarchie militaire d'Oran ? Il circule avec des armes, on lui facilite l'obtention d'un passeport sur instruction venue d'en haut. Les convois de drogue n'ont jamais été interceptés ni attaqués. Il achetait la sécurité des trajets. Le président de la République lui-même s'est avéré incapable d'y mettre un terme, à cette époque. Il avait déclaré : 'Aidez-moi à couper la tête des serpents'.»
Kada Hazil brandit un journal. Le juge, visiblement abasourdi, lui dit : «C'est vrai tout ça ?» «Oui monsieur le président, c'est encore pire», lui répond l'ex-DAS d'Oran. Salima Tlemçani, auteure de l'enquête, se défend de toute diffamation : «Mon enquête est basée sur des témoignages recueillis à Oran, en m'appuyant sur des documents, tout menait vers l'implication de hauts cadres militaires et civils. J'ai découvert que Zendjabil avait ses entrées partout à Oran, alors qu'il était recherché. Au moment où le terrorisme battait son plein à l'Ouest, un véritable cartel de la drogue, avec ses hommes armés et ses protecteurs officiels, s'est constitué et brassait des milliards en prenant en charge tous les réseaux de convoyage de drogue. Zendjabil agissait en maître du fait de la protection dont il bénéficiait de la part de certains hauts responsables avec lesquels il partageait le fruit de son activité criminelle.»
L'affaire en diffamation intentée par le général Kamel Abderrahmane tourne ainsi au procès contre l'implication de hauts responsables de l'Etat qui organisent le trafic de drogue. Un scandale. «Dans d'autres pays, si une affaire comme celle-ci éclatait, la justice ouvrirait une enquête au lieu de traîner en justice ceux qui dénoncent le trafic de drogue», s'indigne l'avocat de la défense, Khaled Bourayou. «C'est qui ce Zendjabil qui bénéficie d'un faux passeport, délivré par un wali sur instruction du général Kamel Abderrahmane ? Pourquoi le général n'est-il pas venu à ce procès ? Parce qu'il sait bien qu'il est impliqué dans cette affaire», poursuit l'avocat. Ce dernier s'étonne de la rapidité avec laquelle l'affaire a été instruite : «Lorsqu'un simple citoyen dépose plainte, cela prend des mois, voire des années ; mais lorsqu'il s'agit d'un haut responsable, il s'adresse au procureur général et sa plainte est vite prise en charge. Quatre jours seulement après le dépôt de plainte, la police a convoqué Salima Tlemçani et Omar Belhouchet. Que cache un tel empressement ?».
Maître Bourayou se lance dans une longue plaidoirie, attestant que «le trafic est au cœur de l'Etat. C'est regrettable d'en arriver là». Bruissements dans la salle. Au terme d'une plaidoirie remarquable, où les prévenus comme l'avocat de la défense ont démontré les dangereuses liaisons entre les milieux de la pègre et les sphères de l'Etat, le juge décide de rendre son verdict le 22 mars prochain et passe à une autre affaire.


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