Monsieur le préfet, J'ai appris avec consternation les attaques dont a fait l'objet le colloque qui doit se tenir à Nîmes les 10 et 11 mars sur «La Fédération de France du FLN (1954-1962)» et les menaces qui pesaient sur ce colloque auquel j'ai été invité en tant qu'historien-chercheur qui a consacré 45 ans de son existence à l'histoire de l'Algérie. Le colloque de Nîmes, sur la Fédération de France du FLN pendant la guerre d'Algérie, n'est pas une entreprise idéologique, c'est une entreprise historienne : les historiens spécialistes de l'histoire de l'Algérie, entre autres de la guerre en France, sont majoritaires : 7 sur 10 intervenants – les 3 restants étant la réalisatrice Béatrice Dubell qui doit venir présenter son film El Bi'r sur les solidarités entre chrétiens lyonnais et Algériens – centré sur la personne du père Albert Carteron, investi par le cardinal Gerliet, archevêque de Lyon et primat des Gaules, précisément, d'une mission de solidarité et d'entraide avec les Algériens immigrés dans la capitale des Gaules. Les deux intervenants restants, Ali Haroun et Ali Boudina, ont été des acteurs et témoins de cette histoire : rien de plus normal que les historiens travaillant, aussi parmi d'autres documents, avec des témoignages produits par des témoins, aient été invités. Personnellement, je n'ai jamais eu coutume de censurer ce que j'avais à dire. Lors du colloque international que j'ai contribué à organiser sur l'histoire franco-algérienne à l'Ecole normale supérieure de Lyon, les 20, 21 et 22 juin 2006, nous avons été attaqués symétriquement par des associations de rapatriés/le Front national et des sous-agents du consulat d'Algérie à Lyon : pour les premiers, ce colloque était une entreprise anti-française, pour les seconds, une entreprise anti-algérienne… L'historien n'a, pour sûr, pas à trier entre les assertions et autres effractions idéologiques de facture analogue, même opposées – pour lui, ce sont aussi des documents historiques – qui témoignent de rancœurs et de mal-être résiduels, à l'évidence instrumentalisés de longue date, et toujours encore, dans le champ politique. Je me permettrai in fine d'évoquer la stature du regretté Jacques Berque (1910-1995) – fils d'un «directeur des Affaires indigènes» au gouvernement général de l'Algérie : ce grand sociologue et historien, spécialiste de l'Algérie, du Maghreb et du Monde arabe, et traducteur éminent du Coran, avait commencé sa carrière comme administrateur civil au Maroc dans les années trente, et cet authentique savant «pied-noir» fut une des premières personnalités à alerter sur les impasses auxquelles conduisait le système colonial. L'historien ne pourra à mon sens qu'être au diapason de la formule de Jacques Berque, selon laquelle les dogmatiques (ce terme est employé en euphémisme), même ennemis, en l'occurrence tant du côté français qu'algérien, sont symétriquement unis, «comme le sont les nénuphars par leurs racines». Des nénuphars, il va de soi que je m'autorise à préférer les fleurs. Sur cet épilogue que j'espère séduisant et prometteur, je vous prie de croire, Monsieur le préfet, à ma haute considération.
Gilbert Meynier ; Professeur à l'université de Nancy II Le 28 février 2012