Ils ne sont pas là. Absents. Non concernés ? Ils ne répondent pas au téléphone lorsqu'ils sont sollicités par les journalistes, refusent les interviews, ferment portes et fenêtres, s'isolent du monde, refusent de provoquer des polémiques. Mais qu'arrive-t-il aux historiens algériens ? Au moment où l'Algérie a besoin d'eux pour parler, expliquer, analyser, révéler, ils se taisent. La célébration du cinquantième anniversaire des Accords d'Evian signés par le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et les autorités françaises aurait pu être une occasion pour les historiens algériens de montrer de quoi ils sont capables, de produire des textes, des réflexions, d'exhumer des archives inconnues… Force est de constater que face à l'importante production académique et historique en France, faite selon les normes françaises et au public français, sur les cinquante ans de l'indépendance de l'Algérie, les historiens algériens sont restés les bras croisés, passifs. Aucun livre n'a été écrit sur l'anniversaire du 19 Mars et le cessez-le-feu. L'université algérienne est, elle, plongée dans un profond sommeil. Pas de conférences, pas de colloques, pas d'ouvrages. Le vide. Le pouvoir algérien, qui, pourtant, a construit son projet politique sur «la légitimité historique», a fermé toutes les issues, ne laissant rien au débat libre sur l'histoire du mouvement national. Les manuels scolaires, avec la complicité des historiens, ont été dépouillés des vérités qui gênent sur la guerre de Libération nationale. Des noms, des lieux et des faits ont disparu, parfois dénaturés, de ces manuels. Un véritable embrigadement intellectuel. Pire, un crime. Le résultat est aujourd'hui éclatant, triste et douloureux : les jeunes ne connaissent pas l'histoire contemporaine de leur pays. A qui la faute ? L'Organisation nationale des moudjahidine (ONM), qui n'a jamais su être autonome des gouvernements qui se sont succédé, a échoué à sauvegarder la mémoire du mouvement national. Idem pour le ministère des Moudjahidine. Ce ministère, doté d'un budget respectable, aura la tâche de «coordonner» les festivités officielles du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie. Sera-t-il à la hauteur de l'événement ? Difficile de répondre. L'opacité totale qui entoure les préparatifs de ces festivités permet d'avoir de sérieux doutes. Cinquante ans après le recouvrement de la souveraineté nationale, il est peut-être temps de dire qui a fait quoi, qui n'a rien fait… Les jeunes ont le droit de savoir pourquoi des héros de la guerre de Libération ont été tués deux fois et pourquoi une partie de l'histoire du pays a été écrite par plusieurs mains. Pour que la vérité soit dite, les historiens algériens, surtout les plus jeunes, doivent se libérer de leur peur, des cordes fictives qui les enchaînent, des faux compromis qui les ligotent. Et pour que le mensonge cesse d'exister, l'enseignement de l'histoire à l'école et à l'université a besoin d'une véritable révolution à large échelle. C'est le moment…