Alors que le gouvernement malien et les combattants du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) se renvoient la balle en s'accusant mutuellement d'être responsables de l'exode de 195 000 personnes, les combats font rage autour des derniers campements militaires encore entre les mains de l'armée officielle. Le président malien accuse le MNLA de «s'être jeté de manière unilatérale dans une guerre ainutile» alors que son armée fait face à des mutineries dans les casernes du Nord. La situation au nord du Mali s'enlise dans le chaos. Déjà, selon des chiffres de l'ONU, quelque 195 000 personnes ont fui la zone du conflit vers l'Algérie, la Mauritanie, le Niger et le Burkina Faso et vivent dans des conditions extrêmement difficiles eu égard à la configuration du terrain mais aussi aux moyens limités de la plupart des Etats qui les accueillent. Ces réfugiés laissent derrière eux une région sous l'emprise du crépitement des armes, des attaques à l'armement lourd et des opérations de représailles. L'entrée en action de «milices» armées par le gouvernement risque compliquer cette situation et de fermer la porte à toute issue politique à la crise. L'entrée en action des milices En effet, selon Bekaye Ag Ahmed Ahamed, chargé de la communication du MNLA, «de violents combats ont opposé nos combattants à la milice militaire malienne à Soudere, à 35 km à l'est de Tessit, dans le cercle d'Ansongo», précisant que cette milice a semé la terreur dans plusieurs campements et villages de l'Azawad, ces derniers jours, notamment dans le campement d'Ebang Imalane où «elle a dépouillé et terrorisé les populations civiles et dans un autre village non loin d'Ansongo, avant d'exécuter un homme et d' en enlever un autre». Notre interlocuteur avance un bilan de «15 miliciens tués, un capturé et reconnaît la perte d'un combattant et des blessures à un de ses compagnons d'armes». Le chargé de la communication du MNLA ne manque pas de «mettre en garde» Bamako «contre toute autre agression» ayant pour cible «les populations civiles», et avertit que celle-ci «ne restera pas impunie». Au même moment, de nombreuses mutineries ont touché des casernes du nord, d'où beaucoup de militaires ont rejoint la rébellion avec armes et bagages. Samedi dernier, la ville de Gao a vécu une journée particulière. Des dizaines de personnes ont marché vers le siège du gouvernorat au centre-ville, déserté par ses occupants, affirment des sources locales. Les manifestants scandaient des slogans contre «la guerre», «la partition du Mali» et «la tenue d'élection sans la paix». Dans une déclaration lue à l'assistance, les initiateurs de cette manifestation dénoncent «le mutisme de l'Etat sur la réalité de la crise au nord» et déclarent à «Sarkozy, ATT (le président malien Amadou Toumani Touré) et autres potentats locaux, que notre terre ancestrale, léguée par les Sonni et les Askias, n'est pas à vendre». Ils s'indignent de «l'injustice dans la gestion des crises, au Nord, depuis 20 ans» et lancent à ceux qu'ils qualifient de «politicards sans scrupule» qu'ils refusent toute «élection sans paix». Ils réaffirment leur «adhésion à l'unité du Mali, en disant non à une autonomie quelconque de l'Azawad». Ils appellent tous les militaires «à ne pas transporter la guerre dans nos villes. Un coin du Mali attaqué, c'est le Mali tout entier qui est attaqué. Alors donnez-nous les moyens nécessaires pour défendre notre patrie. Après Ménaka, Aguel-hoc et Tessalit, Gao n'attendra pas pour organiser sa défense (…)». En fait, les initiateurs de cette manifestation savent que le MNLA est en train de gagner du terrain. Ils sont conscients que l'élection des membres du Haut conseil des collectivités (une sorte d'élection communale), prévue le 25 mars ne peut se tenir dans les conditions actuelles. Election du HCC le 25 mars Et la proposition du ministre de l'Intérieur et de l'Administration locale, Kafougouna Koné, de faire voter les grands électeurs dans les chefs-lieux de la région, est une preuve que l'Etat est incapable d'organiser le prochain scrutin et encore moins celui du référendum et de l'élection présidentielle prévus au mois d'avril prochain, même si ATT ne cesse de réaffirmer sa volonté de les organiser (entretien accordé le 16 mars au journal français Le Figaro), arguant du fait que «seulement 2 % de la population apparaît dans une situation de vote difficile. La crise ne doit pas déteindre sur les institutions. Quel que soit le résultat des discussions engagées d'ici là avec les rebelles, il faut qu'un président à forte légitimité puisse mener le dialogue». Visiblement, ATT refuse de prendre toute initiative de règlement de la crise. Sauf surprise de dernier moment, le président malien compte laisser à son successeur le soin de désamorcer cette bombe qu'est le nord du Mali. Des arguments difficiles Selon lui, cette rébellion n'est que la conséquence des évènements en Libye. Il a déclare au journal Le Figaro : «Le Mali subit les effets collatéraux de la guerre en Libye qui était devenue le magasin d'armes à ciel ouvert le plus important du monde, le moins cher et le mieux achalandé. A la chute du régime d'El Gueddafi, les ressortissants originaires du Mali qui avaient combattu pour l'ancien régime sont rentrés avec armes et bagages au pays de leurs ancêtres. Ces combattants aguerris sont près d'un millier. Ils sont équipés de véhicules blindés légers, d'artillerie, de canons antiaériens, de fusées SAM7, de mitrailleuses lourdes, de moyens de transmission, de munitions. Nous avons proposé d'installer ce contingent dans des zones de cantonnement en les aidant. Surarmé, le MNLA s'est jeté de manière unilatérale dans une guerre inutile.» Des arguments difficiles à accepter sachant que les cadres de la rébellion des années 2000 et 2006 n'ont cessé de mettre en garde contre le refus de l'application des accords ayant mis fin aux soulèvements populaires. En janvier 2011, les mêmes cadres se sont réunis à Alger pour interpeller l'opinion internationale et les partenaires du Mali sur la situation qui prévaut au nord du Mali, et la nécessité de faire respecter les Accords d'Alger signés en 2006 par Bamako et les rebelles. Aucune réponse, alors que sur le terrain, les groupes terroristes de l'AQMI évoluaient en toute quiétude, multipliaient les enlèvements d'Occidentaux, négociaient le paiement de rançons avec la complicité des plus hauts responsables de l'Etat malien, devenus les «négociateurs attitrés» de la Présidence. Les événements de la Libye ne sont pas les causes du soulèvement du 17 janvier 2012. Ils ont plutôt aidé à faire entendre des voix longtemps inaudibles. Malheureusement, ces voix sont celles d'une nouvelle génération qui ne croit plus aux mots, mais plutôt aux actions. Ce qui rend la solution à la crise beaucoup plus difficile à trouver, d'autant que désormais celle-ci s'inscrit dans la durée étant donné que les deux parties campent chacune sur ses positions. L'été sera très chaud, surtout pour l'armée malienne confrontée à la multiplication des mutineries dans ses casernes au nord. La question qui reste posée est celle de savoir si cette institution sera capable de faire face à une rébellion aguerrie aux armes et au rude environnement désertique.