Une nouvelle initiative du ministère de l'Emploi et de la Solidarité nationale ayant trait aux familles victimes du terrorisme et que mène sur le terrain la Direction de l'action sociale (DAS), en collaboration avec les APC depuis près d'un mois, vient relancer le débat sur les contours de la « réconciliation nationale » à Boumerdès. L'opération n'est rien moins qu'un « recensement des familles victimes de la tragédie nationale ». Un recensement qui promet de « récolter le maximum de renseignements sur les populations touchées par le terrorisme ». Tout en confirmant que « nul ne sait le nombre exact, ou du moins le plus proche possible de la réalité, des victimes qu'a engendrées le terrorisme islamiste en Algérie durant ces 15 dernières années », cette opération a ouvert la voie à diverses conjectures et supputations. Les services de sécurité ne tenaient-ils donc pas de rapports détaillés sur les événements qualifiés par beaucoup de « guerre civile » ? Ou est-ce dans l'objectif de satisfaire le plus grand nombre possible de prétendants aux réparations matérielles promises par l'Etat pour « toutes les victimes de la tragédie » afin de ne pas faire de mécontents ? En tout cas, les « fiches de renseignements sur les familles victimes de la tragédie nationale » que distribuent la DAS et certaines APC comportent des espaces réservés aux informations d'état civil sur le responsable actuel de la famille ; sa situation sociale avec des renseignements sur le type d'habitation ; les indemnités déjà accordées par l'Etat (type et montant) ; le nombre, l'âge et le niveau d'instruction des enfants ainsi que des informations sur les victimes elles-mêmes. Celles-ci incluent le statut de la victime, l'emploi qu'elle occupait, le type de dommages, la date et le lieu de l'événement ainsi que ses circonstances. Dans la rubrique « statut des victimes », l'intéressé doit préciser s'il s'agit de « victime de terrorisme, famille de disparus, famille de repentis, veuves de terroristes, autres... ». Le type de dommage subi va de « personne tuée » jusqu'à « déplacement forcé et autres (à préciser) » en passant par « viol, blessures ou handicap grave et destruction de biens ». Beaucoup de citoyens voient là « la dernière phase » avant le passage aux réparations promises dans le cadre de la réconciliation nationale. Ce qui, comme toujours, aiguise les appétits de certains et fait naître des appréhensions chez d'autres. « Il est à craindre que de véritables victimes de ce qu'on appelle la tragédie nationale, à savoir les victimes du terrorisme, soient omises et que ceux qui ont endeuillé des millions d'Algériens soient au contraire privilégiés », commente un membre d'une famille qui a perdu son habitation dans la région de Keddara en 1996. Une autre catégorie de citoyens qui s'inquiète, voire s'indigne : les patriotes. Considérant ces fiches de renseignements, nous constatons qu'ils sont exclus d'avance de la « réconciliation », commente un militant local de la cause des victimes du terrorisme « directement ou indirectement touchées » et qui plaide leur cas. « Les patriotes, qui dès 1995 ont pris les armes pour sauver la République et le pays, n'ont touché aucun sou jusqu'ici. Et dire qu'il y en a parmi eux qui avaient dû quitter leur travail à cause de la pression des groupes armés. Ceux-là ne sont-ils pas des victimes de terrorisme ? Si leurs enfants n'ont pas pu aller à l'école faute de moyens, n'est-ce pas à cause du terrorisme ? Au demeurant, j'estime que si les gens qui ont lutté contre le terrorisme ne sont pas réhabilités dans leurs droits, voire récompensés, la démarche de réconciliation est vouée à l'échec », dit notre interlocuteur.