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Retour sur un accord controversé
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Publié dans El Watan le 24 - 03 - 2012

Trois motifs constituent l'essentiel de l'argumentaire invoqué par les défenseurs de ce ténébreux accord : le bon droit de nos adversaires d'être protégés contre les lois défavorable postérieures à leurs contrats ; la perte assurée du procès en arbitrage qui, s'il arrivait, à terme aurait des conséquences plus dommageables ; la sauvegarde du partenariat avec Anadarko et, du coup, notre crédibilité internationale.
Trois arguments fallacieux, intimement liés l'un à l'autre, préfabriqués pour conditionner la partie algérienne à l'acceptation d'un compromis douteux. Je suis personnellement contre cet accord pour les trois raisons suivantes :
1- Le climat opaque et obscur, parsemé d'intrigues et de manipulations qui a précédé et conditionné sa conclusion.
2- Les ambiguïtés qui continuent à entourer deux points substantiels : son caractère définitif ou provisoire ; les autorités algériennes qui sont appelés à l'adopter.
3- Les conséquences désastreuses, évitables, pour les caisses du pays.
Nous allons essayer d'analyser les préparations par lesquelles cet accord de dupes a été rendu possible, pour ensuite détailler son contenu et ses conséquences désastreuses.
La bataille de la communication
Sur ce terrain, la confrontation, qui est en fait un conditionnement pour les batailles sur d'autres plans a été caractérisée par un contraste entre une offensive américaine et une passivité algérienne.
Le laconisme et la frilosité de Sonatrach
Voici la reproduction fidèle du communiqué diffusé sur le site de Sonatrach relatif à l'«Accord entre Sonatrach et Anadarko Algeria Company/Maersk».L'entreprise nationale Sonatrach est parvenue à un accord amiable avec Anadarko Algeria Company et Maersk Olie Algérie et qui aura pour effet, dès son approbation par les autorités compétentes, de mettre un terme définitif aux arbitrages qui ont été introduits par ces deux compagnies aux fins de contester le prélèvement de la taxe sur les profits exceptionnels (TPE) introduite par l'ordonnance n°06-10 du 29 juillet 2006 portant modification de la loi n°05-07 du 28 avril 2005 relative aux hydrocarbures. Cet accord a été conclu sur la base de concessions réciproques des parties et sans préjudice de leurs positions respectives dans les arbitrages. Dans ce contexte, les parties sont convenues de modifier certaines dispositions du contrat, notamment le mécanisme de partage de production, qui comprend l'engagement des partenaires de Sonatrach de payer la TPE conformément à la réglementation en vigueur. L'accord prévoit également de proroger à 25 ans la durée d'exploitation de chaque gisement, les compagnies exerçant par anticipation les options contractuelles prévues à cet effet.
L'analyse minutieuse du communiqué révèle deux grandes ambiguïtés :
1-La nécessaire et préalable approbation des autorités compétentes sans préciser lesquelles.
2- La formule «sans préjudice de leur positions respectives dans les arbitrages». L'expression «sans préjudice» signifie «sans renoncer à». Il ressort de cela que les deux parties vont continuer à défendre leurs revendications devant les instances arbitrales et qu'il n'est pas mis fin à l'arbitrage contrairement à ce que tout le monde affirme.
Sonatrach est coupable d'un déficit en communication, créant ainsi un secret énergie plu secret que le secret défense. L'opacité est toujours suspecte. Nous ignorons tout de la position initiale des deux parties, des considérants et motivations de l'accord survenu. L'absence de communication officielle a laissé, naturellement la place à la rumeur. J'ai relevé, en consultant les multiples sources disponibles, que l'origine du conflit reviendrait au fait que en 2004, Chakib Khelil, patron de Sonatrach et tout-puissant ministre de l'Energie, «a oublié» de rajouter dans un contrat signé avec l'américain Andarko la taxe sur les superprofits. La question mérite d'être posée, puisque cette omission ne concerne que cette entreprise. Je ne sais pas quel crédit accorder à pareille assertion mais si elle est vérifiée, nous serions devant un véritable crime économique.Il est en outre déploré un style de communication inapproprié à une défense véhémente des intérêts.
Répondant à la question de savoir à quelle date aura lieu la décision de l'arbitrage, Le ministre avait répondu que «Sonatrach est toujours en discussion avec Anadarko, les deux parties sont en tractations et nous espérons parvenir à un règlement» du litige. Il est à remarquer qu'à un ton offensif et assuré du manager américain, Sonatrach répond par un ton neutre, conciliant et défaitiste, quémandant un accord amiable. La bataille, pour Sonatrach, a été perdue d'abord sur le plan de la communication. Les pourparlers et tractations de cette envergure sont préparés sur tous les plans : psychologique, juridique, culturel, etc. et notre modeste expérience nous a permis de constater les limites des entreprises algériennes en compétences et capacités de négociation. Les négociateurs algériens ont donc été lamentablement manipulés par des manœuvres d'intox et de bluff pour accepter ce règlement.
Les précisions chiffrées et le ton offensif d'Anadarko
Les détails de ce deal ont été révélés par le groupe américain dans son communiqué diffusé vendredi sur son site internet. Le compromis auquel sont parvenus les deux groupes prévoit la livraison à Anadarko, sur une période de 12 mois, de quantités supplémentaires de pétrole pour un montant de 1,8 milliard de dollars. En outre, les deux parties ont convenu de modifier leur contrat de partage de production qui prévoit de fournir d'autres quantités supplémentaires de pétrole á Anadarko d'un montant de 2,6 milliards de dollars, soit en tout l'équivalent de 4,4 milliards de dollars en pétrole qui sera fourni par Sonatrach à la compagnie américaine. L'amendement du contrat de partage de production prévoit aussi de prolonger la licence d'exploitation des gisements d'El Merk qu'à Anadarko développe en partenariat avec Sonatrach à 25 ans á compter de la date de la conclusion du contrat. En contrepartie, Anadarko s'est engagé á continuer à payer la taxe sur les profits exceptionnels. Ces modifications doivent être entérinées par le gouvernement algérien dans les quatre prochains mois.
Le PDG d'Anadarko, Jim Hackett, avait indiqué à une agence de presse internationale que le tribunal arbitral nommé par la Chambre de commerce international de Paris statuera en décembre prochain sur le différend qui oppose son groupe à Sonatrach, laissant entendre que le règlement de ce contentieux serait en sa faveur.
Assuré de sortir victorieux de cette crise, Anadarko affirme dans un communiqué que le «règlement» conclu avec la compagnie pétrolière Sonatrach devrait obtenir «l'approbation» des autorités algériennes dans les quatre prochains mois. Notons le ton offensif et assuré du manager américain certain de la victoire à l'amiable ou au contentieux. Les Américains ont préparé un climat favorable à leur négociation.
Même WikiLeaks s'est mis de la partie. Dans un câble daté de février 2010, David Pearce, ambassadeur US à Alger, exprimait clairement ses craintes de voir Sonatrach refuser de payer en cas d'arbitrage favorable à Anadarko. Dans ce contexte, selon le Financial Times, Anadarko envisage de saisir des avoirs de Sonatrach à l'étranger. Le message voulait faire entendre et croire à Sonatrach que la sentence arbitrale est déjà acquise et qu'Anadarko a une longueur d'avance en se préparant aux difficultés d'exécution. C'est peut-être cette opération d'intimidation qui a poussé M. Attar (ancien ministre et ex-PDG de Sonatrach) et les décideurs à préférer un règlement à l'amiable ruineux qui «limiterait les dégâts au vu des résultats de l'arbitrage».
Le fond de l'accord et ses conséquences
1-Deux grandes ambiguïtés
Qui donc – une personne, une fonction, une structure, un organe – a déjà donné ce pré-accord amiable ? Quelles sont les autorités algériennes compétentes qui sont appelées à l'approuver pour qu'il devienne définitif ?
Ma modeste expérience en contentieux m'a emmené à remarquer une peur bleue des dirigeants des entreprises publiques de conclure des accords amiables. Leur inquiétude est de se trouver soupçonnés de connivence avec les adversaires. J'ai même vu des directeurs refuser d'honorer des dettes dont ils reconnaissent l'exigibilité et demander aux requérants d'intenter un procès pour l'obtention d'un jugement justifiant juridiquement et comptablement la créance.
Nous ne savons pas, pour l'heure, si ce compromis a été accepté par la direction générale de Sonatrach ? Le ministre de l'Energie ? Le Conseil des ministres ou le conseil du gouvernement ? Ou qui sais je encore ?
Les contrats de partage de production sont approuvés par décret présidentiel et ne peuvent être modifiés que dans la même forme. Ainsi, toute modification de ce contrat d'association requiert le respect des procédures de son adoption ; il tombe sous le sens de soumettre un contrat à l'approbation du niveau le plus élevé des structures de l'Etat et permettre sa modification par des structures subalternes, à savoir la direction d'une entreprise.
2-La face immergée de l'Iceberg
Je souhaiterais préciser aux défenseurs de cet accord amiable qu'il y aurait au bas mot une dizaine d'accords d'association conclus avant la loi de 2006 et qui attendent le résultat de ce contentieux pour demander à être alignés sur son dispositif. L'Algérie aura intérêt, continueront-ils à soutenir, à être conséquente avec elle-même et accorder un traitement non discriminatoire à tous ses partenaires en gratifiant les autres contrats d'association des mêmes faveurs.
Le règlement Anadarko fera sans doute jurisprudence. Telle est la face cachée de cet iceberg.
3- Une concession intrigante, inutile, consentie sans résistance
Cette concession immense a été consentie pour «retenir les partenaires» alors que nous sommes dans le seul secteur où nous n'avons pas besoin de faire la danse du ventre ou baisser le pantalon (en parlant crûment) pour attirer les investisseurs étrangers. Il est quand même troublant qu'une bataille à l'enjeu de cette envergure ait été abandonnée sans combat. D'aucuns l'ont justifiée par la volonté d'éviter des décisions plus graves qui auraient résulté d'une sentence arbitrale. Tout d'abord, je demeure convaincu que non, et le combat se devait d'être livré. Si Anadarko et Maersk ont accepté l'accord, c'est qu'il leur est plus profitable que l'arbitrage. Engager ou pousser à un contentieux et s'arrêter au milieu des procédures est un signe de mauvaise gouvernance juridique. Cela ne peut découler que d'une mauvaise évaluation préalable des chances et des risques.


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