On n'aura jamais autant évoqué en France la «guerre d'Algérie» sur les ondes de la télévision. Tandis que l'Algérie attend plutôt la date anniversaire de l'indépendance, le 5 juillet, pour en célébrer le cinquantenaire, la France a plutôt opté pour la signature des accords d'Evian du 18 mars 1962, afin de marquer la fin des hostilités par le cessez-le-feu, au lendemain de cette dernière date. Faut-il s'en étonner, côté français, où la donne des rapatriés et des harkis «joue» d'autant plus à la veille d'une échéance électorale aussi importante que la présidentielle des 22 avril et 6 mai prochain ? Une chose est sûre, on n'aura jamais autant évoqué en France la guerre d'Algérie sur les ondes de la radio et de la télévision, dans les journaux ou le monde de l'édition (plusieurs dizaines d'ouvrages parus ou à paraître en 2012…). Evénement télévisuel entre tous, la diffusion, le 11 mars dernier, sur France 2, du documentaire «Guerre d'Algérie 1954-1958/1958-1962, la déchirure», cosigné par l'historien Benjamin Stora et le réalisateur Gabriel Le Bomin. Evénement dans la mesure où jamais le thème de la guerre d'Algérie n'a été traité en «prime time» sur la plus grande chaîne du service public, avec un débat organisé dans le prolongement du film-documentaire. Signalons au passage que l'effort télévisuel relatif à cette commémoration concerne France Télévision et Arte, quand TF1, la chaîne leader, et M6, troisième en tenue d'audience, sont restées totalement muettes. De tous ces films, il faut bien reconnaître – hormis le surprenant «Palestro, Algérie : Histoires d'une embuscade» sur Arte – que l'approche française est axée sur la «guerre d'Algérie» plutôt que sur la «guerre d'indépendance». Mais cela ne reviendrait-il pas plutôt à la partie algérienne ? Ce qui montre combien il est peut-être encore trop tôt pour rapprocher des mémoires encore antagoniques tant que les historiens n'auront pas pris le pas sur les politiques. «La guerre d'Algérie, la déchirure» fait la part belle à l'armée (appelés, paras et généraux putschistes) et à la politique française, les références du côté algérien servant simplement de points de repères dans l'avancée de la résolution du conflit. Il n'en demeure pas moins que, la chronologie aidant, la compréhension des enjeux ressort bien grâce à une approche où l'on reconnaît la pédagogie de Benjamin Stora, lequel vient de cosigner avec Renaud de Rochebrune, chez Denoël, un remarquable La guerre d'Algérie vue par les Algériens, tome 1, sur lequel nous reviendrons prochainement…Plus originale, dans son approche et sa démarche, nous est apparue l'excellente «Une histoire algérienne» de Ben Salama, diffusée sur France 5 (malheureusement à 22 heures …), le dimanche 18 mars. Tournant le dos au sempiternel documentaire qui alterne interviews et images d'archives, le réalisateur, algérien d'origine, alors âgé de 10 ans en 1962, est partie prenante de son film en apparaissant à l'image et en commentant à la première personne du singulier. Et, au lieu d'empiler les mémoires de façon manichéenne, Ben Salama les fait se répondre dans une perspective qui éclaire les histoires différentes plutôt qu'elle ne les oppose. Ainsi, Maïssa Bey, romancière, fille de chahid, «dialogue» avec Raphaël Draï, politologue qui a quitté Constantine en 1962 à 19 ans, et Fatima Besnaci, écrivaine et fille de harki à la mémoire apaisée, tandis que Pierre Joxe, ancien ministre socialiste et fils de Louis, présent aux négociations d'Evian, et Michel Rocard, alors inspecteur des finances et auteur d'un rapport accablant de 1959 sur les camps de regroupement, apportent un éclairage pertinent. «Une histoire algérienne» a donc le mérite de dénouer la complexité des histoires et des enjeux plutôt que de proposer un point de vue univoque sur une guerre de libération, certes, mais à dimension de tragédie humaine. Pour sa part, France 3 a surpris positivement avec une fiction télévisuelle qui narre l'histoire vécue de Djamila Boupacha, héroïne de la lutte de Libération nationale, qui devint une icône du combat du peuple algérien pour sa liberté grâce à la pugnacité d'une jeune avocate, Gisèle Halimi, qui eut à affronter les manœuvres d'officiers français, soucieux d'échapper à la justice de leur pays pour faits de tortures et d'exactions. «Pour Djamila» est l'adaptation du livre de Gisèle Halimi paru en 1962 et cosigné par Simone de Beauvoir, très engagée elle aussi pour la cause de Djamila. La réalisatrice n'est autre que Caroline Huppert, sœur de la comédienne Isabelle, et dont le travail est à féliciter, même si certains épisodes du film prêtent à contestation selon Djamila Boupacha dont nous publierons le point de vue. Saluons au passage la performance d'actrice de Hafsia Herzi (révélée par La Graine et le mulet et La Source des femmes) dont l'origine algérienne par sa mère a sans doute fait qu'elle se soit totalement investie dans le projet. Mais la surprise, à nos yeux, est venue de la chaîne Arte dont le «Palestro, Algérie : Histoires d'une embuscade», écrit par Rémi Lainé et Raphaelle Branche, et diffusé le 20 mars, est le seul documentaire qui, relatant un fait de guerre (les 21 rappelés français tombés dans une embuscade tendue le 18 mai 1956 à Palestro), remonte aux sources et aux causes profondes de l'affrontement algéro-français, à savoir le processus de la colonisation qui a enclenché un autre processus, celui des exactions-répressions et en rappelant le litige originel : la dépossession des terres au profit des colons. Voilà le genre de film à montrer sur les deux rives de la Méditerranée tant il explique et démonte, plutôt qu'il n'accuse ou promeut, les fumeux arguments du genre : «Mais les horreurs sont des deux côtés !» ou «Il faut renvoyer les adversaires dos à dos !». Mentionnons encore sur Arte «Algérie, notre histoire» de Jean-Michel Meurisse avec Benjamin Stora (toujours lui) qui met l'accent sur des mémoires à la fois personnelles et collectives et la diffusion du film culte, La Bataille d'Alger (1966), sur Arte le 12 mars dernier à 20h30, grande première à la télévision française. Car, il faut rappeler que le film de l'Italien Gillo Pontecorvo, grande œuvre de reconstitution, a été censuré en France jusqu'en 2005 !