Précisons, tout d'abord, que cette contribution n'est pas la première qui soulève des questionnements concernant l'arrêté interministériel, ministère des PTIC/Finances, qui porte la date du 2 août 2011, mais dont la publication a été retardée pendant plus de 6 mois, pour les raisons qui vont être explicitées ci-dessous, jusqu'au Journal Officiel n°6 du 12 févier 2012 (pp.36 et 37). Il faut donc rendre à César ce qui appartient à César en soulignant que le mérite d'avoir soulevé la problématique de cet arrêté revient à notre connaissance à l'article paru dans le ‘‘Supplément TIC'', édité par le Quotidien d'Oran avec la collaboration de Maghreb Emergent, dans l'édition du mercredi 14 mars 2012, page 11 sous la signature de M. Abdelkader Zahar. Cet article livre une analyse pertinente tout à fait exacte des implications négatives de cet arrêté interministériel signé le 2 août 2011, paru le 12 février 2012 (J.O n°6) et qui se réfère à l'art.44 (‘‘gré à gré après consultation'') du décret présidentiel n°12-23 du 18 janvier 2012, publié au Journal Officiel n°4 du 26 janvier 2012, soit moins de 15 jours avant celle de l'arrêté incriminé. De quoi s'agit-il ? Un arrêté interministériel signé le 2 août 2011 par le ministre des PTIC et le secrétaire général du ministère des Finances, «fixe la liste des études, fournitures et services spécifiques aux technologies de l'information et de la communication ne nécessitant pas le recours à un appel d'offres» en mentionnant dans son article 1er que ladite liste intervient dans «en application des dispositions de l'article 44 du décret présidentiel n° 10-236 du 7 octobre 2010, modifié et complété, portant réglementation des marchés publics». S'ensuit une longue énumération dans les trois natures de marchés que ledit arrêté soustrait aux procédures de l'appel à la concurrence. La présente contribution va surtout étayer l'analyse et les conclusions de l'article cité ci-dessus par des avis d'expert. Illégitimité Il y a lieu de rappeler que la réglementation est régie par le cadre juridique de la loi 06-01 du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption (attendu n°26 du décret présidentiel n° 10-236) qui stipule expressément en son article 9 les règles de droit intangibles auxquelles doivent obéir les marchés publics et en l'occurrence que «les procédures applicables en matière de marchés publics doivent être fondées sur la transparence, la concurrence loyale et des critères objectifs». Les conditionnalités prescrites pour souscrire au respect de ces règles de droit indissociables consistent en la mise en œuvre de la procédure d'appel d'offres, qui impose obligatoirement la publicité, accompagnée de l'exercice effectif du contrôle interne et externe selon les nouvelles normes de traçabilité édictées récemment par le décret présidentiel n° 12-23 du 18 janvier 2012 et donnant obligatoirement la possibilité explicite de formulation du recours aux postulants. Quelles sont donc les implications de cet arrêté par rapport à ces conditionnalités ? 1)- Les natures de marchés listés dans l'arrêté (études, fournitures et services) ne sont dans leur ensemble ni nouveaux ni particuliers, ils relèvent même de ‘‘lieux communs'' ne justifiant pas que leur traitement se fasse autrement que par la procédure d'appel d'offres. 2)- Etant donné que le corollaire technique palpable d'éviter l'appel d'offres conduira à exonérer la passation des marchés correspondants du ‘‘contrôle interne'' et en particulier celui de l'ouverture des plis en présence des soumissionnaires, signifierait que ces marchés ne seraient pas soumis aux nouvelles conditions de traçabilité (paraphe de toutes les offres reçues) imposées par l'art.122 du récent décret présidentiel n°12-23 du 18 janvier 2012 (publié comme indiqué plus haut moins de 15 jours avant l'arrêté). 3)- Si donc il n'y a pas de publicité, ni d'ouverture des plis en présence des soumissionnaires, il est évident qu'il n'y aura ni informations sur les critères objectifs sur lesquels se fonderait l'exercice de recours, ni possibilité de recours par les éventuels postulants susceptibles de participer si ces marchés avaient fait l'objet d'appel d'offres. Il en résulte qu'aucune des conditionnalités qui permettent de respecter les règles de droit énoncées par la loi 06-01 ne peut être remplie par cet arrêté qui ne peut déroger à la loi. Généralisation d'une solution palliative et raccourci L'arrêté énonce que la liste en question est exclue de la procédure d'appel d'offres en application de l'article 44 du décret présidentiel n°l0-236 du 7 octobre 2010, modifié et complété qui régit la procédure dite ‘‘de gré à gré après consultation''. Cet article 44 comportait (décret présidentiel n°l0-236) effectivement quatre (4) cas d'éligibilité ‘‘au gré à gré après consultation'' : (nous ne citerons que les trois (3) premiers). Le 1er est celui de l'appel d'offres infructueux : ce cas est ancien et antérieur à la loi 06-01 ; cependant, la mise en œuvre de la procédure de gré à gré après consultation qui correspond à cette situation a été quasiment mise en conformité avec la loi 06-01 (intangibilité du cahier des charges et contrôle externe ‘‘a priori'') par les deux décrets présidentiels n°10-236 et 12-23. En tout état de cause, il s'agit d'une solution palliative et restrictive dont la mise en œuvre est réservée exclusivement au cas d'échec d'un appel d'offres qui ne présente aucune issue bien que traité tout à fait en conformité avec les prescriptions de la loi et de la réglementation. - Le 2e cas est celui «des marchés d'études, de fournitures et de services spécifiques dont la nature ne nécessite pas le recours à un appel d'offres». Le 3e cas est celui «des marchés de travaux relevant directement des institutions nationales de souveraineté de l'Etat». Le décret présidentiel n°10-236 mentionnait que l'éligibilité de ces marchés au ‘‘gré à gré après consultation'' est assujettie à un arrêté interministériel. L'arrêté incriminé vise en réalité le 2e cas (ci-avant) de l'art.44 dont les dispositions d'application ont été élaborées nouvellement en concomitance avec la liste des marchés non assujettis à l'appel d'offres qui y figurent. (voir ci-dessous § énigme...). Conséquences : la généralisation de la disposition palliative réservée pour l'appel d'offres infructueux (1er cas ci-dessus) à la liste mentionnée dans l'arrêté (2e cas) s'avérerait être donc un artifice légal autorisant à se passer des conditionnalités requises par le respect des principes de droit qui régissent les marchés publics mentionnés ci-dessus (§ illégitimité). En tout état de cause, le cadre juridique et réglementaire généré par la loi 06-01, bien compris n'autorise pas d'utiliser cette procédure directement et de façon aussi systématique comme raccourci sans passer par l'appel à la concurrence. La question de ‘‘la spécificité'' Comme indiqué ci-dessus, le tiret n°2 de l'article 44 énonce que sont éligibles à la procédure de marché de ‘‘gré à gré après consultation des marchés d'études, de fournitures et de services spécifiques dont la nature ne nécessite pas le recours à un appel d'offres'' sans toutefois préciser les critères à remplir pour répondre à cette «spécificité». Manifestement, la lecture de l'énumération contenue dans l'arrêté ne révèle aucune ‘‘spécificité'' et pour cause les opérateurs économiques pouvant y répondre sont légion d'une part et cette nature de marchés (études, fournitures et services) n'est pas l'apanage exclusif du seul ministère des PTIC et peut aussi bien concerner d'autres institutions et entités étatiques, sans nécessiter de les exonérer de l'appel d'offres. La panoplie de procédures La réglementation offre une panoplie de procédures appropriées conçues en conformité avec la loi 06-01 susceptibles d'être mises en œuvre dans tous les cas de figure de spécificité, parmi lesquelles on peut citer : - l'art 5 : importation de produits et services dont la nature, les prix et la disponibilité sont sujets à fluctuations rapide ; - l'art 43 : le gré à gré encadré par le conseil de gouvernement ou par le Conseil des ministres, ou en procédure d'urgence incompatible avec les délais de passation des marchés publics (délai du contrôle externe ‘‘a priori'' + délai de préparation + délai d'analyse des offres), ou situation monopolistique ou exclusivité du produit technologique retenu ; - les art.31 et 32 : la short liste ou consultation sélective en deux étapes : technique et financière. L'énigme de la date du 2 août 2011 Celle-ci réside dans la rédaction de l'alinéa de l'art. 44 relatif aux modalités d'établissement de l'arrêté interministériel. La rédaction initiale était la suivante : «la liste de ces études, fournitures, services et travaux est fixée par arrêté conjoint du ministre des Finances et du ministre concerné». La nouvelle rédaction figurant dans le décret présidentiel n°12-23 du 18 janvier 2012 a été remaniée et complétée comme suit : «La liste des études, fournitures, services spécifiques et travaux cités aux 2e et 3e tirets du présent article est fixée par arrêté conjoint de l'autorité de l'institution nationale de souveraineté ou du responsable de l'institution nationale autonome ou du ministre concerné, selon le cas, et du ministre chargé des Finances» (en italique les modifications intervenues entre les décrets présidentiels n°10-236 et 12-23). Il y a donc lieu de comprendre que l'arrêté interministériel (ainsi que la liste) étaient établis dès le 2 août 2011, et que sa publication (J.O n°6 du 12 février 2012) ne pouvait légalement intervenir qu'après celle du décret présidentiel n°12-23 (J.O. n°4 du 26 janvier 2012) qui comportait la modification nécessaire et en particulier le qualificatif ‘‘spécifiques'' inséré entre «études, fournitures, services» qui est relatif au 2e cas (2e tiret dans l'article 44 et «travaux» qui est relatif au 3e cas (3e tiret de l'art.44). Conclusion L'étude de cet arrêté interministériel montre, à l'évidence, que les deux cas (2e et 3e cités ci-dessus correspondant aux 2e et 3e tirets de l'article 44 ainsi que les modalités d'établissement de l'arrêté interministériel (nouvelle rédaction ci-dessus) génèrent une situation dérogatoire qui ne présente pas les garanties de conformité avec le respect des règles de droit énoncées par la loi 06-01 (art.9) et n'est pas compatible avec les attributions des commissions sectorielles créées par l' art. 152 bis du décret présidentiel n°12-23 du 18 janvier 2012. L'article 44 gagnerait donc en légitimité et retournerait à sa vocation d'origine en étant expurgé de ces trois alinéas. En ce qui concerne l'arrêté interministériel du 2 août 2011, qui en est un avatar dont les implications négatives ont été mises en évidence dans les développements qui précèdent, il est recommandé de le rapporter avant qu'il ne provoque des dégâts irrémédiables (cf.art.125 ter du décret présidentiel n° l 2-23 du 18 janvier 2012).