Le code des marchés publics a fait l'objet d'amendements publiés au Journal officiel n°14 du 6 mars 2011, sous le décret présidentiel n° 11-98 du 1er mars 2011. Cette révision concerne des aménagements sur l'obligation d'investissement faite aux soumissionnaires étrangers(1) ainsi que sur les contrats de gré à gré. Rappel de la principale modification Dans l'élan de la promotion du privilège accordé aux entreprises algériennes soumissionnaires, et dans le même esprit de la nouvelle réglementation applicable à l'investissement étranger, la sélection de fournisseurs étrangers était subordonnée à un engagement d'investissement. Cet engagement devait résulter d'une obligation portée aux cahiers des charges des appels d'offres internationaux soumissionnaires étrangers, à investir dans le cadre d'un partenariat, dans le même domaine d'activité, avec une entreprise de droit algérien, dont le capital est détenu majoritairement par des nationaux résidents. Tel était le contenu de l'article 24 du décret présidentiel n° 10-236 du 7 octobre 2010 portant réglementation des marchés avant sa dernière modification. L'article 24 du décret présidentiel du 6 mars 2011, modifiant le décret présidentiel n° 10-236 du 7 octobre 2010, permet que certains projets de soumissionnaires étrangers soient exemptés de cette condition d'investissement en laissant la prérogative de décider la désignation des projets devant donner lieu à l'engagement d'investir et la nature de l'investissement à l'autorité de l'institution nationale de souveraineté de l'Etat, de l'institution nationale autonome, du ministre concerné ou du Conseil des participations de l'Etat, selon le cas. Comme le vecteur porteur de l'amendement de la réglementation des marchés publics était principalement sur le sujet de l'obligation d'investissement faite aux fournisseurs étrangers, il importait de modifier la rédaction de l'article 27, du même code, qui prévoyait l'obligation d'investir aux fournisseurs étrangers, dans certaines des situations de contrats conclus sous la procédure de gré à gré. A propos de la procédure de gré à gré Sous son sens générique, le marché de gré à gré est un contrat conclu d'un commun accord, dans l'esprit d'une entente amiable, où la sélection du fournisseur cocontractant intervient de façon spontanée, sans présélection préalable pour diverses raisons motivées. La transaction qui en résulte est forcément bipartite et le plus souvent concrétisée par une convention ou un contrat. Le fondement du contrat de gré à gré résulte donc de la libre convention entre les fournisseurs détenteurs de l'offre et les institutions porteuses de la demande. La liberté et la capacité contractuelles suggèrent le plus souvent que les parties s'accordent selon les termes qui leur siéent au mieux. Appliquée au contexte des marchés publics, la procédure de gré à gré correspond à l'hypothèse où le marché public est passé librement, en dehors de toute publicité et de mise en concurrence préalable. Dans ce cas, les entités administratives ou économiques de l'Etat contractantes s'adressent directement à l'entreprise de leur choix. La base réglementaire du gré à gré Cette possibilité est d'ailleurs donnée par l'article 27 de la réglementation des marchés publics qui dans sa partie non amendée définit le gré à gré comme «la procédure d'attribution d'un marché à un partenaire cocontractant sans appel formel à la concurrence.» L'article 27 précise que «le gré à gré peut revêtir la forme d'un gré à gré simple ou la forme d'un gré à gré après consultation ; cette consultation est organisée par tous moyens écrits appropriés.» Une autre précision importante donnée par le même article est que la procédure du gré à gré simple est une règle de passation de contrat exceptionnelle et qu'elle ne peut être retenue que dans des cas précis. Ces cas sont énumérés à l'article 43 de la réglementation des marchés publics et correspondent notamment à des situations où il faut inéluctablement s'en remettre à un fournisseur unique, lorsque l'urgence prévaut dans l'exécution pour des impératifs de réactivité dans des situations exceptionnelles ou encore lorsque le fournisseur est en situation de monopole. Le gré à gré simple est effectivement la seule alternative lorsque l'institution ne peut consulter qu'un seul fournisseur, lorsque ce dernier est le seul à détenir le procédé technologique où qu'il le détient par délégation du seul fabricant à titre exclusif. Tel devrait être également le cas d'un agent ou d'un distributeur exclusif, ou exclusivement désigné, représentant une marque sur le territoire national. Par contre, les situations d'urgence appellent à des appréciations que la réglementation suggère indirectement ; tel est le cas de l'urgence impérieuse motivée par un danger imminent que court un bien ou un investissement déjà matérialisé sur le terrain et qui ne peut s'accommoder des délais de l'appel d'offres. L'article 43 précise que les circonstances à l'origine de cette urgence sont dans l'incapacité du service contractant à les avoir prévues et qu'elles ne sont pas le résultat de manœuvres dilatoires de sa part. A ce niveau, l'appréciation se complique d'autant que le texte réglementaire laisse comprendre que des situations peuvent être organisées pour « échapper » à la procédure d'appel d'offres. Cette appréciation est par contre largement atténuée dans les cas d'accord préalable en conseil des ministres, notamment pour les projets prioritaires et d'importance nationale et lorsqu'il s'agit de promouvoir l'outil national public de production. L'autre forme de gré à gré est le gré à gré après consultation qui résulte forcément d'un appel à la concurrence infructueux. L'article 44 de la réglementation des marchés publics précise que l'appel à la concurrence est infructueux si seulement une offre est réceptionnée ou si, après évaluation des offres reçues, une seule offre est préqualifiée techniquement. Le gré à gré après consultation est également possible pour les marchés d'études, de fournitures et de services spécifiques dont la nature ne nécessite pas le recours à un appel d'offres ainsi que pour les marchés de travaux relevant directement des institutions nationales de souveraineté de l'Etat. Les projets inscrits dans le cadre de stratégie de coopération du gouvernement, ou d'accords bilatéraux de financement concessionnels, de conversion de dettes en projets de développement ou de dons, permettent également à l'institution contractante de recourir au gré à gré après consultation. Lorsqu'il s'agit d'accords de financement, de tels accords doivent formellement prévoir le recours à cette procédure. Le gré à gré après consultation est une procédure qui correspond à plus de transparence et apporte l'équité sur les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des fournisseurs et de transparence des procédures. Pourtant dans l'esprit du public, la notion de gré et à gré est souvent rattachée à l'image de malversations et de pratiques frauduleuses. Faut-il forcément suspecter les contrats de gré à gré ? : Les griefs portés aux marchés de gré à gré sont liés au fait qu'ils facilitent les détournements, les vols, la corruption en pratiquant le favoritisme et dans certains cas le délit d'initiés. Il est clair que, dans ces situations, la transparence et la libre-concurrence disparaissent au profit d'intérêts qui sont à l'encontre de ceux de l'Etat et de la moralité nécessaire à ce type de contrats appliqués au domaine public. Il peut s'en suivre des manœuvres frauduleuses contribuant à des enrichissements non fondés tels que les majorations de prix ou des paiements de commissions. Au plan international, la tendance est de recourir aux appels d'offres plutôt qu'une négociation de gré à gré pour renforcer la transparence des marchés et favoriser la libre concurrence. En Algérie, les textes de la réglementation sont aux normes, puisque des seuils sont prévus pour l'appel d'offres sans dispenser de la consultation d'au moins trois fournisseurs dans les contrats de gré à gré après consultation. Nos textes renforcent également la transparence dans le cadre des appels d'offres notamment par un délai de suspension obligatoire d'au moins dix jours entre l'attribution d'un marché et la conclusion du contrat. Ce délai permet aux soumissionnaires écartés d'engager une procédure de recours et de corriger, le cas échéant, toute attribution irrégulière. La moralisation des actes contractuels de marchés publics est également renforcée la loi 06-01 du 20 février 2006, relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, notamment sous son article 9, qui précise que les procédures applicables en matière de marchés publics doivent êtres fondées sur la transparence, la concurrence loyale et des critères objectifs. Il ne faut cependant pas assimiler systématiquement l'entente directe du gré à gré simple à la malversation car, dans le strict respect des textes, ce mode de passation de contrat peut être le seul mode applicable, lorsque les situations citées par l'article 27 de la réglementation des marchés publics se présentent. Pourtant la loi 06-01 est souvent invoquée dans le cadre de procédures pénales appliquées à des affaires dites de corruption d'agents publics, d'avantages injustifiés dans les marchés publics et de toute situation s'apparentant ou facilitant la corruption. Il reste que l'ancrage avec le code pénal est trop général et que l'interprétation du texte a souvent conduit à des injustices notamment à l'emprisonnement, à tort, de cadres d'institutions ou d'entreprises. Sur ce sujet, les fondements du droit pénal, notamment sur les éléments matériel et intentionnel, doivent être réhabilités à l'occasion du débat sur la dépénalisation des actes de gestion. Tel devrait également être le cas de l'appréciation du bien-fondé de la situation contractuelle en adéquation les dispositions de l'article 27 de la réglementation des marchés publics. Les raisons du dernier amendement La nouvelle rédaction de l'article 27 n'a fondamentalement pas apporté de modification sur les situations justifiant la procédure de gré à gré. Le gré à gré reste une procédure d'attribution de marché sans appel formel à la concurrence et comme une règle de passation de contrat exceptionnelle, lorsqu'il s'agit de procédure du gré à gré simple. Dans l'ancienne rédaction, l'attribution d'un marché selon la procédure de gré à gré après consultation ou de gré à gré simple, obligeait à ce que l'offre du soumissionnaire, lorsqu'il est étranger, comporte, sous peine de rejet de son offre, un engagement d'investissement dans le cadre d'un partenariat, dans le même domaine d'activité, avec une entreprise de droit algérien, dont le capital est détenu majoritairement par des nationaux résidents. Cette obligation s'appliquait seulement aux cas où les projets de contrats concernaient un projet prioritaire et d'importance nationale, ou à engager pour la promotion de l'outil national public de production, les deux situations recevant préalablement l'accord du conseil des ministres. La nouvelle rédaction de l'article 27 de la réglementation des marchés publics précise que les marchés de gré à gré simple ne sont pas soumis à cet engagement d'investissement. Par contre, les cahiers des charges des appels d'offres internationaux doivent toujours prévoir l'obligation, pour les soumissionnaires étrangers, d'investir dans le cadre d'un partenariat, dans le même domaine d'activité, avec une entreprise de droit algérien, dont le capital est détenu majoritairement par des nationaux résidents dans le cadre des marchés de gré à gré après consultation, Les marchés de gré à gré simple, contractés par les institutions nationales de souveraineté de l'Etat, ne sont pas soumis à ces obligations. Ces modifications trouvent leur base dans le fait que dans les situations exceptionnelles, justifiant la procédure de gré à gré simple, les cocontractants ne sont pas forcément enclins à investir, surtout lorsqu'ils sont en situation de monopole et que comme c'est souvent le cas, lorsqu'ils sont détenteurs d'une maîtrise de process, de procédés et de formules protégés qui n'ont pas vocation a être partagés. L'amendement apporté par le décret présidentiel n° 11-98 du 1er mars 2011 est donc un compromis dans ce qu'il était convenu de systématiser à l'origine : le transfert de savoir-faire. Samir Hadj Ali. Expert-comptable - (1)En 1re partie : El Watan. Supplément économique du 21 mars 2011.