De son extraction et son traitement au sud de Azzaba à son exploitation, comme moyen d'électrolyse au complexe pétrochimique (CP1K) de Skikda, le cinabre a de tout temps suscité les inquiétudes et alimenté toutes les supputations. Sa simple évocation suffisait d'ailleurs pour irriter les pouvoirs publics, cloisonnés, il est vrai, entre les dangers que la production du métal faisait peser sur la santé publique et les pressions de la stratégie économique nationale. Aujourd'hui, le mercure n'est qu'un vieux mais douloureux souvenir. Le 3 juin 2005, deux jours seulement avant la célébration de la Journée mondiale de l'environnement, l'Entreprise nationale des produits miniers non ferreux et des substances utiles (Enof), dont dépend le complexe Ismaël de mercure, décide de fermer l'usine et d'arrêter toute extraction. La décision, très bien accueillie à l'époque, avait tout de même entraîné dans son sillage le chômage de pas moins de 60 employés sur un total de 113. Dix autres ont été « récupérés » par la carrière de Laghdir (Azzaba) et le reste devait bénéficier d'une retraite. Le complexe et ses carrières ont ainsi cessé leurs activités après 30 années. Une période durant laquelle le complexe parvenait à assurer une production moyenne de 15 000 potiches/an plaçant l'Algérie parmi les trois premiers producteurs mondiaux. Au courant de cette même période, l'Algérie a extrait 50 000 t (6000 tde métal) en exploitant trois gisements. Les deux premiers, Ismaël et M'rasma se sont totalement expirés et le dernier, Guénicha, dont les réserves ne pouvaient aller au-delà de 2007, était sujet, au courant de l'année 2005, à d'innombrables contraintes techniques (glissements de terrains). La chute de l'ogre En plus de ces trois gisements, la région dispose d'un quatrième gisement tout aussi important : celui de Fendek, non encore exploité et dont les réserves sont estimées à 1,2 million de tonnes, soit 22 000 t de métal. Beaucoup plus que les trois gisements réunis. Son exploitation ne serait pas à envisager, et ce, pour deux raisons : d'abord, le mercure est en phase d'être définitivement banni à l'échelle mondiale en plus des considérations du fait que ce gisement soit souterrain, chose qui nécessiterait des moyens d'extraction très coûteux. Vue sous cet angle, la fermeture de l'usine de mercure de Skikda semble en partie obéir à des considérations plutôt économiques qu'écologiques. Le 4 juin 2005, dans une déclaration à El Watan, M Tahrat, PDG de l'ENOF confirmait que « nous devions fermer voilà déjà une année. Nous avons préféré étudier toutes les éventualités pour pouvoir poursuivre l'exploitation. Mais à chaque fois que nous nous apprêtions à redémarrer, d'autres entraves venaient encore nous retarder. Les dernières intempéries nous ont énormément gênés en occasionnant de graves inondations. Donc, nous avons estimé pour des considérations économiques, techniques et écologiques que la fermeture serait l'unique solution d'autant plus que le gisement était épuisé. » Et de poursuivre : « Le mercure est un produit qui est en passe de disparaître avec la pollution qu'il génère à travers le monde. » A ces vérités est venue s'ajouter une autre considération qui a précipité la chute de l'ogre de Azzaba. A cette période, l'usine venait de perdre l'un de ses plus grands et des plus réguliers clients : le complexe pétrochimique de Skikda qui allait se défaire de l'utilisation du mercure dans son procédé d'électrolyse pour le changer par un procédé beaucoup plus propre. Mais même si l'aspect économique constitue un vecteur primordial dans la fin du mercure à Skikda, il reste à relever que l'aspect environnemental a aussi compté. Il a même contribué et fortement dans la cessation de l'activité de l'usine qui n'a jamais été indexée par les populations riveraines et aussi par l'administration locale. Cette dernière, par la voix de la direction de l'environnement, a mis en demeure à plusieurs reprises le complexe le sommant de se conformer à la législation en vigueur et de présenter un programme de dépollution. Sans suite, puisque confortée à des difficultés financières, l'usine, et jusqu'à la date de sa fermeture, ne daignera même pas désigner un délégué à l'environnement. Cette réalité confortera quelque part l'idée que se faisait la vox populi des méfaits engendrés par l'exploitation du mercure. Plusieurs études réalisées par les universitaires de Annaba ont depuis longtemps déjà attesté d'une pollution multiformes de la région périphérique du complexe. Ces atteintes ont beaucoup plus concerné les milieux récepteurs directs et par truchement, elles se sont propagées à moindre portée vers la dépression de la ville de Azzaba. L'urgente décontamination La teneur en mercure dans l'air, dans le sol et dans l'eau des zones proches du complexe était et à longueur d'analyses assez élevée par rapport aux nommes. La pollution des eaux et du sol restait la plus expressive et la plus dangereuse, aidée en cela par le dysfonctionnement relevé au complexe et surtout au niveau de ses deux bassins de décantation. C'est surtout cette réalité qui a permis la prolifération de la pollution, car ces bassins à l'air libre, étaient sujets à des débordements liés aux accidents ou à la pluviosité, déversaient leurs eaux techniques. Ces eaux trouvaient dans les inclinaisons naturelles une issue favorable pour aller contaminer les deux courants d'eau de la région à savoir Oued Zebda à 450 m de l'usine et Oued Fendek à 1400 m. Différentes analyses ont prouvé l'existence d'une teneur en mercure assez élevée dans ces deux cours d'eau : 96 ppb dans les eaux de Oued Zebda et une moyenne de 2,25 ppb à Oued Fendek. Ces mêmes analyses ont néanmoins révélé que la pollution mercurielle des eaux superficielles, des sols et de l'air avait nettement tendance à se minimiser avec l'éloignement de l'usine pour disparaître pratiquement. La pollution engendrée par le complexe d'Ismaël était donc une réalité scientifique. La fermeture de l'usine ne peut être que saluée, même si beaucoup de travail de dépollution reste encore à accomplir pour fermer la parenthèse du mercure à Skikda. Les longues années d'exploitation du minerai avaient engendré des quantités énormes de scories (déchets solides) qui gisent encore à côté de l'usine. Des centaines de tonnes, à en croire d'anciens travailleurs du complexe, alors que le ministre de l'Environnement les estime à 1 million de tonnes. Ces déchets devraient, d'après un rapport relatif à l'état de l'environnement en Algérie, faire l'objet « d'une opération de confinement prévue en 2006 ». C'est ce que confirme aussi le directeur de l'environnement de la wilaya de Skikda qui avance : « Le complexe a fait l'objet d'une expertise et les scories qui s'y trouvent font l'objet d'un suivi rigoureux. Aujourd'hui et même si nous nous félicitons de la fermeture du complexe, nous devons accompagner cela par une dépollution du site. Nous disposons de toutes les informations relatives à ces déchets, et nous nous attelons avec la DG de l'Enof dans le cadre de la lois sur les mines à écarter tout risque éventuel ». Cette déclaration, faite au lendemain de la fermeture de l'usine, était accompagnée de la déclaration du PDG de l'Enof qui reconnaissait : « Nous sommes en contact permanent avec le ministère de l'Environnement. Nous n'allons tout de même pas laisser les lieux en leur état. Il y a la loi minière qui nous oblige à faire la reconstitution des lieux ainsi que leur dépollution ».