Elle vit à l'ombre de la commune mère, Aïn El Hammam, mais revendique un patrimoine culturel et historique qui rayonne au-delà de la région. On peut visiter au village Tada une école primaire centenaire fréquentée dans leur enfance par Hocine Aït Ahmed et Ali Yahia Abdenour ; aller au village Aït Hichem, qui abrite chaque été la Fête nationale du tapis berbère, courue par les passionnés de l'art traditionnel et par les ministres ; se recueillir devant le mausolée de cheikh Mohand Oulhoucine, un repère spirituel cardinal en Kabylie ; et aller sur les pas du barde Si Muhand U M'hand, qui avait réservé au tutélaire des lieux le dernier souffle de son génie. Un siècle plus tard, la petite commune d'Aït Yahia se débat dans les vicissitudes de la vie quotidienne et implore la mansuétude de l'Etat, pour obtenir les budgets nécessaires à son développement. Si le gouvernement clame que la moyenne nationale du chômage est de 15 ou 17%, ce n'est pas à deux pas du tombeau du cheikh que l'on va mentir. « Le taux de chômage dépasse ici les 60% », nous dit le P/APC. Mohand Benslimane a été réélu sur la liste FFS en novembre dernier. Il a été élu pour son premier mandat en 2002 dans des conditions régulières, loin de l'empêchement qui avait prévalu dans la région. Il suffisait d'obtenir la bénédiction des aînés. « J'avais rencontré les sages des villages et demandé leur avis sur la participation aux élections. Ils avaient donné leur accord. Je m'étais engagé dans le vote et cela s'était bien passé », explique le maire. L'autorité séculaire avait prévalu, lorsque celle des pouvoirs publics avait volé en éclats. Mais le vent de la colère avait tout de même soufflé au sommet de la colline lors du printemps noir, en 2001. Les jeunes avaient saccagé une quinzaine de logements sociaux, et la rumeur disait qu'ils étaient destinés à une future brigade de gendarmerie. Une sorte de délocalisation préventive. A présent, la commune ne compte ni gendarmes ni policiers, simplement une section de la garde communale, du reste très discrète. Mais ce n'est pas sur cette terre vénérée qu'il peut y avoir du désordre. Il y a peut-être de l'ombre au tableau de la rigueur, ou alors s'agit-il d'un excès de générosité qui étonne le regard extérieur ? Le chantier lancé au cœur du chef-lieu n'appartient pas à la commune ou à des organismes publics, mais à des coopératives immobilières qui ont bénéficié d'attributions au temps de la Délégation exécutive communale (DEC), en 1996. Un véritable don du ciel. La commune dispose toutefois de terrains en périmètre urbain pouvant accueillir des équipements collectifs, pour peu qu'ils soient affectés par les pouvoirs publics. La bonne nouvelle est l'inscription d'un projet de lycée de 1300 places. Le choix du terrain est fait. Pour l'heure, c'est le lycée de Aïn El Hammam qui accueille les élèves d'Aït Yahia. Une crèche communale ne serait pas de trop au sommet de la colline et elle vient d'être accordée par l'administration, indique le P/APC. 5 millions de dinars sont affectés, en outre, sur un programme sectoriel, à la réalisation d'un stade communal, apprend-on. Cela veut dire que les jeunes de la localité se contentaient jusqu'ici de terrains vagues ou d'aires de jeu aménagées à la force de leurs bras. Il n'y a pas de maison de jeunes, cela avait été oublié dans les programmes de financement. Il y a par contre une maison du tapis, réalisée entre 1999 et 2002 sur Programme communal de développement (PCD), mais elle n'a pas tellement fonctionné, faute de moyens humains et matériels et vient d'être mise sous l'autorité du secteur de la culture. L'APC a, de toute manière, fait amende honorable, puisque, à la création de la commune en 1985, elle s'était littéralement « assise » sur le seul centre artisanal qui existait dans la localité. On sortait les sections d'apprentissage pour installer les bureaux du maire et de l'état civil. Ce n'est pas un morceau d'anthologie en matière de découpage administratif. L'artisanat local a finalement sa maison toute neuve. Reste à l'équiper d'affecter du personnel et d'ouvrir ses portes. Loin des errements des hommes, les gardiennes des traditions restent confiantes et savent que leur art ne mourra pas. Au chapitre social, cette commune de 18 000 habitants connaît les mêmes difficultés vécues dans les montagnes et les zones rurales. En l'absence de réelles perspectives de développement, les aides de l'Etat arrivent avec une disproportion que personne ne cherche à cacher. Si l'on compte 265 allocations forfaitaires de solidarité (1000 DA destinés aux personnes sans ressources), la commune n'a bénéficié que de trois postes de pré-emploi, payés 6000 DA par mois et attribués aux universitaires. Dans ce grand écart de l'aide publique, la commune a reçu 62 postes IAIG (emplois d'intérêt général) et 30 autres dans le programme Esil (initiatives locales), payés entre 2500 et 3000 DA/mois et profitant essentiellement aux jeunes filles qui sont durement touchées par le chômage. Les hommes ne se bousculent pas au guichet pour bénéficier de ces subsides, préférant le travail journalier dans les rares chantiers ou prendre le dur chemin de l'agriculture de montagne. Les jeunes les plus déterminés se sont engagés dans l'arboriculture et l'apiculture, mais il est de notoriété publique que le Programme national de développement agricole (PNDA) est loin de connaître un succès dans les localités retirées, faute d'information en direction des agriculteurs, et en raison des lourdeurs dans la finalisation et l'approbation des dossiers. Les demandeurs de subventions sont extrêmement sévères à l'égard de l'administration chargée, à différents niveaux, de mettre en œuvre le programme d'aide publique auquel l'administration centrale a pourtant affecté des financements non plafonnés. Le P/APC tient par contre à signaler l'obtention d'une opération dans le cadre du Plan de promotion du développement rural (PPDR) au profit du village Toukache, d'un montant de près de 3 milliards de centimes. Cela consiste en la réalisation d'un réservoir d'eau, du revêtement de piste, d'éclairage public et d'acquisition d'outils d'apprentissage et de travail pour les filles. Les milliards risquent de dormir encore longtemps dans les caisses de l'Etat, car l'on ne se précipite pas à les consommer. « On vient de récupérer trois métiers à tisser », nous dit-on simplement à l'APC, où l'on souligne avoir rempli l'engagement de la commune, à savoir la réalisation d'un tronçon d'assainissement sur 1 km. Le village Ihenachène bénéficiera de travaux d'assainissement sur 800 m, entrant dans le programme communal de développement. Les PCD, pour cette année, ont été dotés de près de deux milliards de centimes, répartis sur quatre opérations, les trois autres étant l'achat d'un engin, le revêtement de la piste Tafrout et l'aménagement de la source Igures. Le maire compte régler le problème d'alimentation en eau potable après la réalisation d'un projet en sectoriel doté de 2,2 milliards de centimes. « 6 à 8 villages seront soulagés une fois le projet réalisé », nous dit le P/APC. Les programmes d'aide ou de développement au profit des populations ont cette fâcheuse particularité d'être « en cours », c'est-à-dire non réalisés. La commune d'Aït Yahia a bénéficié, à titre d'exemple, de 330 subventions pour l'autoconstruction (une enveloppe de 50 millions de centimes par bénéficiaire), mais les 600 demandes d'attribution restent encore au stade d'examen. Les administrations chargées au niveau de la wilaya de gérer ce dossier tiennent en haleine depuis un an des milliers de modestes citoyens qui se sont endettés pour payer l'architecte, le géomètre et le ... placard publicitaire exigé pour le certificat de possession. Il y a plus de discours que d'exécution et il existe un incroyable déphasage entre les programmes promis et la réalité du terrain. Les montants inscrits ne servent-ils finalement qu'à faire rêver les gens et à les dépouiller de leurs maigres économies ? Des écoles primaires d'Aït Yahia attendent l'arrivée des 70 poêles à mazout « demandés » par la commune, lors d'une réunion tenue il y a une dizaine de jours au siège de la wilaya. La requête sera sans doute transmise au gouvernement et ce sera déjà le printemps. « Nos parents étaient pauvres. On allait à l'école pieds nus. Je m'étais résolu à ne plus rentrer chez moi en hiver, car le poêle aidant, j'avais plus à gagner à rester à l'école au chaud », (témoignage en 1996 au centenaire de l'école de Taqa).