Sans Voile sans Remords, de Leïla Aslaoui Hemmadi, est un livre grave et beau à la fois, qui bouleverse plus d'un, bien au-delà des mots. Après la publication du Cartable bleu, l'année dernière, Leïla Aslaoui Hemmadi, auteure et ancienne magistrate à la Cour suprême et ancienne ministre, revient sur le devant de la scène littéraire avec un roman pathétique intitulé Sans Voile sans Remords, publié aux éditions Dalimen. Ce livre à charge émotionnelle intense - qui se lit d'un trait - revient sur la tragique période du terrorisme. Dans un style soutenu et une narration parfaite, le lecteur est invité à percer les entrelacs de cette histoire, basée sur des faits, à mi-chemin entre la réalité et la fiction. L'incipit du roman s'ouvre sur une note de l'auteur, qui explique comment s'est effectuée une rencontre inattendue, à proximité de la rue Emir Abdelkader, avec une ancienne camarade de lycée. La narratrice est, en effet, interpellée en pleine artère alors qu'elle voulait aller à la découverte de nouveaux titres livresques à la librairie du Tiers-Monde, par une silhouette féminine, enveloppée dans un djelbeb. Cette femme, au visage englouti dans un nikab, n'est autre que Behidja Nihari, une fille qui avait partagé, en 1963, la même classe qu'elle au lycée en première moderne. Après un jeu de devinettes, l'auteure arrive à identifier son interlocutrice. Après avoir convoqué le passé sur certaines séquences de complicités vécues ensemble, Behidja se lance, sans marquer de pause, dans l'histoire de sa vie personnelle atroce. «Si un jour l'envie te prenait d'écrire sur moi, fais-le, peut-être que le fardeau que je porte sur mes épaules sera-t-il plus léger», lance Behidja à son amie de jadis. Une proposition que l'auteur a quand même cogitée un moment avant de se lancer dans l'écriture. Face aux souffrances endurées par cette femme meurtrie à vie, l'auteure a voulu faire entendre ce cri d'indignation contre l'intolérance, la xénophobie et le machisme. Behidja est issue de parents mixtes. Sa mère, Anne- Marie, de nationalité française et de confession chrétienne, a longtemps exercé en qualité d'institutrice. Son père, Hamdane, est un musulman très tolérant. De cette union naîtront trois garçons et deux filles. Tout bascule, en cette année 1956, pour cette famille qui, jusque-là, vivait paisiblement à Miramar. Le 26 novembre de cette année, les parachutistes font irruption dans la maison pour arrêter sa sœur, Nouria, et ses deux frères, Mahmoud et Sid Ali. A l'avènement de l'indépendance, seuls les frères sont libérés. Nouria, affreusement torturée est portée disparue. Le secret de sa disparition est bien entretenu par Anne-Marie, mais pèsera sur la conscience de Behidja. Quand le père décéda, Mahmoud se confine dans le rôle du prédicateur parfait. Ce frère autoritaire et intraitable détruit le rêve de Behidja d'accéder à l'université. Il la séquestre à la maison. Cloîtrée entre quatre murs, elle trouve une échappatoire en se mariant avec un riche entrepreneur. Elle retrouve une vie équilibrée avec sa petite famille, constituée de jumelles et d'un garçon. A la suite d'une altercation conjugale, son mari lui apprend que sa sœur n'est pas morte durant la colonisation. Quarante-huit ans après cette tragique disparition, Behidja apprend que sa sœur aînée est en vie en France... Elle a été sauvée par un militaire français, qui avait rallié dans le camp des combattants algériens. Sous l'émotion des retrouvailles avec cette sœur chérie, Behidja apprend que son fils, Redouane, est un terroriste notoire. Endoctriné à l'extrême, il met à exécution le plan de ses commanditaires. Par une nuit sanglante de 1996, il fait irruption dans la maison de ses parents pour tuer sa grand-mère, son père, sa tante Nouria et son époux ainsi que la gouvernante Ghania. La mère de Béhidja s'en sortira avec de lourdes séquelles. Triste sort pour Nouria, qui était venue fêter ses retrouvailles à Alger avec son mari. Meurtrie au plus profond d'elle-même, Behidja décide de se cacher à travers le port du djelbeb, et ce, jusqu'à ce que soit abattu le pitbull de son fils. En somme, Sans Voile sans Remords de Leïla Aslaoui Hemmadi est un livre percutant sur le devoir de mémoire. Rien de plus à dire sur cet ouvrage, à lire absolument pour mesurer à juste titre sa portée.