Professeur Salah Belaïd est enseignant à l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Spécialiste en linguistique arabe, il est aussi l'auteur de plusieurs ouvrages sur tamazight, dont Au fond de la question berbère (1996) et Tamazight en danger (2011). Dans l'entretien qui suit, il apporte son appréciation sur la question amazighe. - Au moment où des militants de tamazight notent une relative évolution de la question, vous affirmez au contraire que tamazight est en danger. Pouvez-vous, vous en expliquer ? La Constitution reconnaît que tamazight est langue nationale, des colloques, des journées d'étude et des rencontres scientifiques sont consacrées à la question, une chaîne de télévision diffuse dans cette langue, mais le constat de régression dans l'enseignement est fait par tout le monde. Des 18 wilayas où était enseignée la langue amazighe durant les années 1990, il n'en reste que 8 aujourd'hui. Pour moi, cette voie vers l'échec est tracée par la manière de prodiguer les enseignements et la formation des formateurs au niveau de l'université déjà. Mon constat a choqué bon nombre de personnes, mais la réalité est là, douloureuse : dans les départements de tamazight, l'enseignement se fait en langue française. Ils devraient donner l'exemple. L'affichage, les rencontres, les cours se font dans la langue de Voltaire. On n'utilise pas tamazight. J'ai mené une étude dans ce sens et le résultat est que tamazight est en danger, d'où le titre de mon ouvrage. - Les enseignants universitaires ne sont quand même pas responsables de la régression. Ne pensez-vous pas que c'est à cause du fait que l'enseignement soit facultatif ? A mon sens, tout le monde est responsable ; les universitaires au même titre que l'Etat. Des considérations idéologiques ont déclassé l'intérêt propre de tamazight. La controverse sur les caractères de transcription freine l'essor de cette langue. Pour certains chercheurs, les débats sur la transcription sont clos. Les caractères latins se sont imposés. C'est là, la grosse erreur, une supercherie même. Ils disent que ces caractères sont universels. Ce n'est pas vrai. Qu'est-ce qu'utilisent les Chinois, les Grecs, les Hindous ? Ce sont les caractères originels et cela a contribué au développement de ces pays. Nous aussi, nous avons nos caractères tifinagh et il faut les utiliser. C'est vrai qu'ils sont archaïques, mais je suis persuadé que tamazight gagnera plus à les développer qu'à persister à débattre des caractères à utiliser, arabes ou latins. Il faut en convenir que de part et d'autre, il y a rejet, et c'est bien sûr au détriment de tamazight. Dans ce sens, il faut suivre l'exemple marocain. Un dahir royal a définitivement réglé le problème ; écrire tamazight en tifinagh. C'est une question politique et j'estime que l'Etat doit intervenir pour régler cette question. Il faut dire aussi que les caractères latins n'ont pas permis à tamazight d'avoir une acceptation nationale et que les caractères arabes ne vont pas la développer non plus, car elle reste une langue des sciences humaines et des oraisons funèbres, pas une langue des sciences et des technologies. - L'officialisation de la langue amazighe demeure posée. Quelle démarche entreprendre pour faire aboutir cette revendication ? Je suis d'avis contraire. Nous avons six langues nationales, le targui, le chaoui, le chenoui, le kabyle, le mozabite et le chleuh. Chaque langue doit être enseignée dans la région où elle est pratiquée. C'est le cas du catalan, du basque et la langue qui unifie les Espagnols, c'est le castillino. Pour que tamazight soit langue officielle, il faudrait des siècles et peut-être des guerres, des exterminations de milliers de personnes, comme l'a fait Louis XI pour imposer la langue de l'Île de France. La langue arabe avait 191 variétés et c'est l'islam qui l'a unifiée. Aucun pays développé sur le plan industriel ne dispose de plusieurs langues officielles.