On attribue souvent le Mois du Patrimoine à une initiative de l'Unesco, en oubliant qu'il s'agit en fait d'une création purement maghrébine, l'une des rares d'ailleurs – tous secteurs confondus –, à pouvoir se réclamer d'une pérennité appréciable et d'une mise en œuvre réelle des principes de l'unité maghrébine. La décision de cet événement culturel a été prise en 1993 par la Conférence des ministres maghrébins de la Culture qui répondaient ainsi favorablement à la proposition de spécialistes et professionnels du patrimoine des pays concernés. Le Mois du Patrimoine est donc une spécificité régionale dont le vingtième anniversaire se profile pour l'année prochaine. L'idée de départ consistait à relier deux journées internationales institutionnalisées par l'Unesco : celle des monuments et sites, le 18 avril, et celle des musées qui a lieu le 18 mai. Et, entre les deux dates, produire une animation et une promotion intenses autour du patrimoine et de ses enjeux, en sensibilisant la société sur la nécessité de sauvegarder, conserver et mettre en valeur les trésors du passé. Aujourd'hui, grâce à cette initiative, le Maghreb fait figure d'exemple dans le monde, bien qu'il existe, un peu partout, des formules diverses poursuivant des objectifs similaires selon les pays, leurs situations économiques et sociales, leurs types de gouvernance et la plus ou moins grande force de la préoccupation culturelle. Au Canada, par exemple, le Mois du Patrimoine est généralement consacré à la découverte de cultures étrangères et il fait même l'objet de lois votées par l'Assemblée nationale pour en fixer l'objet et le thème de l'année. En France, ce sont les journées du patrimoine qui assurent cette fonction de popularisation. Organisées depuis 28 ans, lors du 3e week-end de septembre, elles ont attiré 12 millions de visiteurs l'an dernier avec la gratuité d'accès à plus de 15 000 musées, monuments et sites divers ! Le tourisme est souvent un facteur influent quant à l'ampleur de ces rituels culturels internationaux. Au Maghreb, par exemple, le Maroc et la Tunisie ont jusque-là célébré ce mois avec une attention particulière, relevant d'objectifs culturels internes mais fortement motivée par les besoins de promotion touristique internationale. Ce n'est pas le cas de l'Algérie où le tourisme étranger est demeuré insignifiant (selon l'APS, le ministre du Tourisme vient d'annoncer 2,5 millions de touristes en 2011) mais où s'est manifestée une volonté d'organiser un Mois du Patrimoine centré sur l'usage interne, soit en direction des citoyens. L'histoire récente a influé sur la naissance de cette tradition dans notre pays. En effet, intervenant au seuil des années noires du pays, la décision maghrébine n'a pu être mise en place pendant longtemps, au point qu'elle avait été oubliée ou se traduisait par des célébrations en catimini. A partir des années 2000, le Mois du Patrimoine a commencé à être marqué en Algérie de manière affirmée avec une programmation animée par les institutions rattachées au ministère de la culture : musées, sites, parcs nationaux… S'incrustant progressivement dans le paysage culturel algérien, il a pris régulièrement de l'importance, développant au fil des ans des programmes de plus en plus étoffés et mobilisant tous les professionnels du secteur. Cette année, cette tendance s'est confirmée encore et le programme se distingue autant par la multiplicité des manifestations que leur extension sur le territoire national. L'offre culturelle du Mois du Patrimoine 2012 est assurément considérable en volume et en diversité. Il faudrait plusieurs pages du journal pour publier l'intégralité des programmes qui seront mis en ligne sur le site du ministère de la culture (www.m-culture.gov.dz) et feront aussi l'objet de communiqués individualisés des différents organisateurs. Quasiment tous les musées, sites et parcs nationaux proposent des activités ouvertes au grand public et quelques unes aux professionnels et hommes et femmes de culture, sous forme de journées d'étude, séminaires ou tables rondes. A ces programmes, s'ajoutent ceux des directions de la culture qui proposent des animations territoriales. On remarque globalement un souci d'attirer les milieux scolaires et les jeunes, de même qu'une idée d'échanges puisque des pans du patrimoine d'une région se trouvent présentés dans une autre. Certains programmes indiquent une implication des autorités locales (wilaya, municipalité…), du moins à travers leurs participations à des ouvertures et clôtures officielles de la manifestation, et l'on pourrait y percevoir une certaine émulation. Ceci pourrait être ainsi la marque positive d'un désir de promotion d'un site, d'une ville ou d'un terroir et donc d'un début de mobilisation pour le patrimoine. Ce pourrait être aussi la marque de la conjoncture, les élections législatives coïncidant avec l'évènement culturel. Mais, même ainsi, cela indiquerait un succès grandissant du Mois du Patrimoine dans notre pays où, jusqu'à présent, seul le stade de football avait la faveur des présences politiques et administratives. Autre coïncidence, l'année 2012 est celle du Cinquantenaire de l'Indépendance. Aussi, le présent Mois du Patrimoine a été placé sous le thème «Patrimoine culturel et mémoire nationale ; pour que nul n'oublie». Un choix qui se réfère directement à la lutte du peuple algérien contre la présence coloniale, depuis les grandes insurrections populaires du XIXe siècle jusqu'à la guerre de Libération nationale. Pour autant, selon les informations que nous avons recueillies, il s'agit de refléter globalement l'esprit de résistance qui a traversé l'histoire de l'Algérie, depuis l'Antiquité jusqu'à l'histoire moderne, en adaptant les sujets aux éléments du patrimoine présents dans telle ou telle région ou en fonction des collections dont disposent les musées. Les grands événements historiques de même que l'ensemble du patrimoine immatériel (musique, traditions, culture orale…) ont été considérés également comme des points d'inspiration pour l'élaboration des programmes. Enfin, comme pour les autres années, le thème générique de cette édition ne constitue pas une figure exclusive, mais représente un axe de programmation ou de focalisation autour duquel chaque organisateur peut mettre en valeur, au mieux de ses capacités, l'ensemble du patrimoine dont il a la charge. Le programme proposé reflète ces orientations et se caractérise, «autour» du thème, par une certaine diversité des propositions. Sa conception dénote d'un effort louable des diverses institutions culturelles en charge ainsi que des professionnels qui les animent. Mais, si des améliorations sont relevées dans la programmation, dans la pertinence et le contenu des manifestations proposées, et parfois dans la recherche d'une certaine originalité, il reste à franchir de nouvelles étapes. Parmi celles-ci, l'introduction des techniques de communication et de relations publiques apparaît désormais comme nécessaire, au diapason de l'évolution du secteur dans le monde ou toutes les institutions importantes du patrimoine disposent de spécialistes en la matière. De même, il serait souhaitable d'introduire plus d'imagination et de punch dans «l'emballage» des manifestations. Les niveaux, les centres d'intérêt et le langage des professionnels du patrimoine ne peuvent capter et captiver les larges publics et, notamment, la jeunesse dont le peu d'intérêt pour l'histoire et le patrimoine est un enjeu majeur de la société algérienne, bien que partagé par le monde entier aujourd'hui. Les thèmes et sujets nécessitent en quelque sorte d'être «traduits» sous des formes plus didactiques et, en tout cas, attrayantes. Enfin, on ne peut aujourd'hui imaginer une nouvelle progression du Mois du Patrimoine, mais aussi des comportements et mentalités tout au long de l'année, sans un indispensable partenariat avec les médias dits lourds (télévision et radio) et, surtout avec l'Education nationale. Les directions de la culture et les professionnels du patrimoine se sont attachés à réserver une bonne part de leurs programmes aux établissements scolaires dont quelques-uns se manifestent notamment à travers l'organisation d'excursions et de visites. Mais ces actions semblent plus relever d'initiatives locales, sinon personnelles, que d'un véritable programme national de l'Ecole. Le Mois du Patrimoine est parvenu effectivement à produire une offre culturelle importante. Mais il reste à se pencher sur la demande sociétale à l'égard du patrimoine. Et là, les données précises manquent, à tel point qu'à notre connaissance, les seuls chiffres récents disponibles sont ceux annoncés par le Musée Ahmed Zabana d'Oran (40 210 visiteurs en 2011, dont 4847 scolaires et 277 étrangers) et par le Musée d'art moderne et contemporain d'Alger pour certaines expositions, comme celle consacrée à Issiakhem, en 2010, avec 35 000 visiteurs recensés durant deux mois. Cependant, on peut constater, de manière empirique, que les musées n'attirent généralement pas les foules. Même la belle performance du musée d'Oran – belle relativement – donne seulement 128 visiteurs par jour, en ôtant 52 jours de fermeture hebdomadaire. Quant aux grands sites archéologiques, toujours faute d'informations précises, on peut constater que leurs plus grosses «fréquentations» semblent liées à la tenue de festivals, comme à Timgad et Djemila, encore que leurs spectateurs sont rarement des visiteurs, déjà en raison du caractère généralement nocturne des spectacles. Il y a donc bien une question de demande dans le secteur du patrimoine et celle-ci ne peut plus être abordée par l'approximation ou même le seul aspect quantitatif. Les différents témoignages de professionnels des musées et des sites, de même que certaines de nos observations, indiquent une avancée sur ce plan, durant les différentes éditions du Mois du Patrimoine, de même que dans le cours des dernières années. Doit-on parler d'un frémissement ou d'une tendance ? Tout cela doit être mesuré et analysé. Combien de visiteurs ? A telle ou telle saison ? A tel ou tel jour de la semaine ? Et même à quelles heures ? Quel type de visiteurs du point de vue des âges, des catégories socioprofessionnelles, etc. ? Quelles motivations et attentes ? Quelle prise en charge et système d'accueil ? D'innombrables questions se posent et le recours à une enquête nationale scientifique pourrait être d'un grand apport. Il existe sans doute des moyens de mobiliser la recherche nationale à travers des institutions comme le CRASC (Centre de recherche en anthropologie et sociologie culturelles) ou la Faculté des Arts et des Lettres de l'Université de Mostaganem. Ou alors recourir à des sociétés de sondage ou des expertises avérées. Mais l'important est d'abord de souligner la nécessité de mener de telles études afin d'outiller et d'orienter l'action pour la promotion du patrimoine. Bien sûr, de telles enquêtes et recherches pourraient concerner d'autres pans de la culture mais, s'il faut commencer, c'est bien le patrimoine qui mériterait une certaine priorité car sa fragilité et sa préciosité pour la vie du pays – sinon son âme – le justifient pleinement. Et sans l'adhésion et la conscience des citoyens à son égard, toutes les bonnes volontés du monde et les actions les plus professionnelles, ne pourraient assurer durablement sa sauvegarde et sa mise en valeur.