Professeur de sciences économiques à l'université de Tlemcen, Zine Barka nous explique dans cet entretien les spécificités du système fiscal algérien et les raisons qui conduisent à une inégalité des contribuables devant l'impôt. Il nous dit également le rôle de la pression fiscale «insupportable» dans la prolifération du secteur de l'informel et souligne les limites de l'impôt sur la fortune. -D'un côté, on a des salariés prélevés à la source et les contribuables non salariés, à qui il est donné la possibilité de frauder. Le système fiscal algérien ne cultive-t-il pas une inégalité devant l'impôt ? Il importe de préciser au départ que le système fiscal algérien se distingue par deux traits essentiels qui coexistent en même temps : un système déclaratif (IBS) et un système basé sur le prélèvement à la source (IRG). Cette distinction est de nature à donner en quelque sorte un «avantage au système déclaratif» dans le calcul de l'impôt. Quand la sincérité est totale, le système est sans faille. Il en est de même s'il est accompagné d'un contrôle rigoureux et impartial obéissant à des règles simples, claires, transparentes et équitables. L'impôt sur le revenu global (IRG) est un impôt perçu au profit du budget de l'Etat et qui grève les revenus des personnes physiques et ceux des sociétés de personnes, après cotisation d'un certain nombre de frais (cotisations d'assurance sociale, notamment). Le taux de l'IRG prend la forme d'un barème progressif de 0% pour atteindre 40% pour les revenus supérieurs à 120 000 DA. Ce qui rend l'impôt inégal entre les contribuables, c'est la répartition des charges fiscales. Or, la Constitution algérienne est claire sur ce point. Elle énonce le principe de «l'égalité de tous devant l'impôt». Cette inégalité peut être également perçue quand les capacités contributives des citoyens et des entreprises, quelles que soient leurs tailles, ne sont pas prises en compte dans le calcul de l'impôt.Les contributions directes – retenues à la source – représentent 19.61% du total des recettes générales du budget général de l'Etat dans la loi de finances pour 2012. -Le gouvernement donne des milliards de dinars d'exonération aux entreprises pour aider l'emploi et l'investissement. Pensez-vous que le retour sur ces avantages est à la hauteur de ce qui est attendu ? Il est vrai que depuis un certain nombre d'années maintenant, l'Etat, accorde, généreusement, à l'occasion de la promulgation de la Loi de finances, nombre d'exonérations fiscales pour encourager les entreprises à créer de l'emploi et à accroître leur capacité productive par l'investissement, lui-même source de création d'emplois supplémentaires. Ajouter à cela les dispositifs de création d'emplois en direction des jeunes : Ansej, Angem, Cnac, etc., qui accordent ces mêmes avantages. Ce principe n'est pas spécifique à la législation fiscale algérienne, mais existe aussi dans beaucoup de pays qu'ils soient développés ou en développement. Il est apparu à la suite du désengagement de l'Etat de la sphère productive qui cède un certain nombre de ses activités au secteur privé en y accordant des aides – à travers les exonérations fiscales qui peuvent varier dans le temps et l'espace géographique. Cela vise aussi à une plus grande incitation des entreprises pour se délocaliser ou s'implanter dans des zones spécifiques à travers ces exonérations. Il s'agit ici d'assurer un meilleur équilibre régional. Les avantages attendus se situent principalement au niveau de l'accroissement de l'investissement qui à son tour engendrera une embauche supplémentaire et donc fera baisser le niveau de chômage. Cela participe aussi à la contribution d'une plus grande compétitivité de ces entreprises en diminuant leurs coûts d'exploitation. La grande question qui reste posée est celle de l'évaluation chiffrée de ces aides fiscales qui reste à faire par les pouvoirs publics et des chercheurs. Mais, il faut souligner que l'entreprise algérienne souffre également d'un certain nombre d'autres contraintes liées à son environnement qui handicapent son rendement et pénalisent son efficacité. -L'informel représente un manque à gagner considérable pour le Trésor. Peut-il s'expliquer, selon vous, par le poids de la pression fiscale ? La question de l'informel peut être analysée comme étant la réponse à l'existence d'un fardeau fiscal insupportable ou injuste. En Algérie, on peut à partir d'une observation empirique du système et de la structure fiscale, retenir les deux aspects. Il est un fait que la fiscalité algérienne n'a jamais été propice au développement de l'entreprise privée. Les rapports sont souvent conflictuels et résultent dans la recherche de solutions de survie ou de correction de cette incompréhension en adoptant la fuite en avant à travers la fraude fiscale. Je ne plaide nullement le secteur privé, mais dans tous les pays du monde, la richesse est créée essentiellement par les entreprises et non le secteur public. Ceci étant, n'oublions pas que le secteur privé est récent en Algérie après avoir été décriée dans le passé. Ce n'est que vers le milieu des années 90 qu'on a commencé à parler d'un secteur privé productif, compétitif, exportateur et créateur d'emploi. Si on estime que le manque à gagner fiscal du Trésor trouve son origine dans le civisme fiscal, alors je réponds qu'il appartient à l'Etat de montrer aux citoyens le bon usage de leurs impôts en procédant à des publications régulières de toutes les sources de rentrées fiscales. Le débat à ce moment-là sera plus fourni en données incontestables et en analyses objectives. En outre, il faudrait peut-être songer à associer le citoyen-contribuable à la discussion budgétaire, notamment au moment de la préparation des options budgétaires et fiscales, je ne parle pas des entreprises privées qui ont déjà leurs représentations qui négocient avec les services centraux. Ici, il y a tout un travail de proximité et de sensibilisation à faire auprès des citoyens-contribuables. A ce sujet, je me permets de mentionner le cas de l'Angleterre qui a décidé depuis cette année d'envoyer par courrier aux contribuables, en même temps que le montant de l'impôt et la façon dont il a été calculé, un tableau détaillé sur la manière dont les impôts sont dépensés annuellement. Cela vise bien entendu à accroître le civisme et participe aussi à une plus grande transparence budgétaire et fiscale. Car tous les pays sont confrontés à la fraude fiscale et à une baisse du niveau de civisme. L'important c'est de prendre des mesures pour faire face à la situation et empêcher le phénomène de prendre des proportions considérables comme c'est souvent le cas des pays en développement frappés par une crise économique et financière. -Le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution du budget 2009 a été très critique vis-à-vis de l'administration fiscale, notamment en matière de recouvrement des impôts. Qu'est-ce qui explique cette inefficacité ? Après un long silence, la Cour des comptes fait enfin parler d'elle en publiant le rapport sur l'exécution du budget 2009. Dans ce rapport, il est mentionné la faiblesse du recouvrement des impôts. A mon sens, cette inefficacité trouve son origine dans plusieurs facteurs liés. Cela peut être le signe d'une présence de plus en plus importante de la fraude fiscale malgré la présence d'une administration fiscale structurée et fournie en moyens humains et matériels. Pour les gros contribuables, la tentation est parfois grande de tenter des actions de séduction en direction de fonctionnaires chargés du recouvrement ou du calcul de l'impôt. La frontière n'étant pas étanche, ni parfois bien encadrée par les dispositifs réglementaires et juridiques, ce qui peut provoquer les collusions entre certains contribuables avides de gains à n'importe quel prix et certains agents du fisc qui peuvent plier devant les offres alléchantes en abusant de leurs privilèges. Les administrations des recettes souffrent souvent d'une insuffisance et d'une mauvaise allocation des ressources, ainsi que d'une faiblesse des compétences de niveau intermédiaire. Enfin, il est important de mentionner que la gestion de la fiscalité se caractérise principalement par une faible maîtrise de l'assiette fiscale et une inefficacité dans la mise en place des poursuites judiciaires à l'encontre des contribuables récalcitrants. Mais, la question de l'inefficacité du recouvrement des impôts n'est pas exclusivement à mettre sur l'institution hiérarchique, mais plutôt une constatation qui peut être faite au niveau de l'administration algérienne dans son ensemble. Là on pose le problème de l'évaluation des actions et politiques publiques non encore pleinement analysée. In fine, ajoutons un des aspects qui montre le dysfonctionnement du système fiscal algérien quand la Cour des comptes affirme que l'administration fiscale ne maîtrise pas les déclarations d'impôt et de redevance pétrolière fournies par Sonatrach et ses associés. Il s'agit du plus gros contribuable dans le système fiscal national !