On avait tenu à me mettre en garde contre un éventuel «déchaînement climatique» dans cette région de l'Afrique de l'Ouest où je m'étais rendu en reportage. Or, celui-ci, pour une raison que j'ignorais, n'était pas au rendez-vous. La nature paisible, pour autant qu'on puisse parler de nature en pleine ville, me conviait au contraire à la sérénité et je m'y livrais pleinement en pensant au passage à la fragilité des prévisions humaines. A dix heures du soir, dans la chambre d'hôtel, j'étais déjà sur le point de finir la lecture du roman Week-end à Zuydcote de Robert Merle, Prix Goncourt 1949, qui avait donné le film éponyme d'Henri Verneuil en 1964, avec un Jean-Paul Belmondo exceptionnel dans le premier rôle. Mais je n'avais pas vu le film et je pouvais donc déguster le roman sans images préconçues. Soudain, l'écho d'un bourdonnent lointain me parvint comme un roulement de tambour qui déchirait le ciel. Puis, en un laps de temps d'une brièveté incroyable, ce fut la déferlante cosmique, dirais-je. Contrairement aux normes physico-chimiques généralement admises – du moins telles que je croyais les connaître –, l'éclair ne fit proprement son apparition qu'après coup. Et moi de me demander alors, non sans une certaine appréhension : depuis quand le son allait beaucoup plus rapidement que la lumière ? Une pluie drue et compacte s'abattit soudainement, des trombes d'eau en fait, comme si la puissance divine déversait une bassine astronomique sur la ville, faisant vaciller sous sa violence et son débit inimaginable pour moi, le paysage huileux et glauque qui se présentait devant moi à travers la vitre qui me paraissait trop fragile. Le firmament, peut-être, le cosmos entier, se transforma en un lieu de toutes les batailles assourdissantes que l'homme ait eu à connaître depuis sa présence sur terre. On aurait dit une apocalypse météorologique ! Toute cette scène avait coïncidé avec la mort du personnage central du roman que je lisais et la concomitance du déchaînement des éléments naturels au-dehors avec le triste épilogue littéraire qui courait sur les dernières pages et donc en moi, commençait à agir sur moi, favorisée par la fatigue du voyage. C'est à instant même que la crainte commença à s'emparer de moi ! Tout s'était mis à valser comme si le centre de la terre s'apprêtait à éjecter son magma. Mon ami, me disais-je, tu es au septième étage de l'hôtel qui paraît bien solide, et l'Arche sur lequel tu as pris place ne va tout de même pas faire des siennes au point de te livrer au déluge ! Pourquoi n'avoir pas choisi de lire une pièce théâtrale de Wole Soyinka ou un roman de Chinua Achebé, une lecture beaucoup plus apaisante ? Le réceptionniste de l'hôtel auprès duquel je cherchais quelque soutien moral me dit tout bonnement : «Monsieur, chez nous, il n'y a que l'homme qui soit en mesure de troubler notre tranquillité !» Tant bien que mal, j'eus droit à un sommeil syncopé à ravir le plus virtuose de tous les violonistes. A l'aube, une clameur étrange me parvint du rivage avoisinant. La tornade avait disparu. Plusieurs femmes étaient occupées à ramasser les poissons qui s'étaient aventurés avec le flux de la mer sans songer, peut-être, au moment où elle se retirerait. [email protected]