La très lente ascension du roman réaliste au Nigeria à partir de la fin du XVIIIe siècle est, pour qui veut découvrir la littérature de ce pays africain immense et surpeuplé, un phénomène capital. Diverses influences tendront à accentuer la recherche d'un rendu objectif, neutre et fidèle du décor et des hommes. D'abord, la présence du colonisateur anglais fournira une matière abondante aux romanciers. Puis l'intention sociale, dépouillée peu à peu d'un didactisme émotif, peut très bien doubler le propos de vérité générale et rejoindre l'idéologie démocratique traditionnelle. Du reste, cette orientation, plutôt que par un contact direct avec la pensée littéraire universitaire, sera imprimée au roman par des modèles étrangers, anglais en particulier. Encore que l'imitation véritable demeure l'exception, des réputations comme celles de Charles Dickens et T. H. Lawrence seront prestigieuses. Mais ces noms rencontreront jusqu'au début du XXe siècle, et même au-delà des résistances, celles précisément qui allaient ralentir l'essor du roman d'observation. Les tabous africains excluaient, en effet, la plupart des grands sujets réalistes ; bien plus, ils interdisaient toute observation, toute interprétation de la vie qui ne se ramenait pas au fond au combat moral. Les censures exercées au nom de la décence étouffent le roman, mais beaucoup, comme Chinua Atchébé ou Wole Soyinka(1), ne s'en plaindront guère car éditant leurs livres à Londres et même s'ils sentent la supériorité de la nouvelle esthétique, les existences imaginaires qu'ils décrivent sont, à l'instar de leurs univers personnels, aimantées par des impératifs moralisants. S'il y a antinomie entre l'appréhension totale de la réalité nigériane et les exigences d'un décorum rigoureux, ce conflit demeurera, avant 1930, encore latent pour les principaux romanciers. Trois écrivains, Chinua Atchébé, Oloda Shenunu et Wole Soyinka, poursuivant dans des parties différentes du pays leur effort de transcription littéraire, dépassent de loin en vérité et en force la plupart de leurs contemporains. Cependant, à des localités délaissées, comme le sud pauvre, ils appliqueront non pas une curiosité férue de pittoresque ou d'idylles, mais une critique objective. Leur originalité à tous les trois est d'avoir voulu être vrais plutôt qu'aimables et elle est considérable. (1) Prix Nobel de littérature