Au terme de son mandat, l'ambassadeur de France, Xavier Driencourt, dresse un bilan plutôt positif de sa mission en Algérie et ce, malgré «les crispations» qu'ont connu les relations algéro-françaises juste après son arrivée à Alger. M. Driencourt, qui nous confié ses impressions lors de la réception donnée à l'occasion de son départ, préconise la nécessité de «repenser et refonder»les relations entre les deux pays. Car le risque entre Alger et Paris est que les relations «se banalisent», estime-t-il.
Au terme de votre mission en Algérie, quels sont les dossiers qui ont connu un règlement ou une évolution et quels sont ceux qui demeurent en suspens ? Presque quatre ans en Algérie, pour un ambassadeur, c'est un peu comme au scrabble, cela compte double. Ce sont quatre années denses. Ce fut à la fois un poste difficile, mais en même temps passionnant, très prenant. Le plus passionnant de ma carrière. L'Algérie est un partenaire avec lequel nous avons des relations denses dans tous les domaines, politique, économique, culturel, historique…, donc il y a beaucoup de sujets à couvrir pour un ambassadeur de France en Algérie. Après quatre ans, vient l'heure des bilans. Je suis arrivé en 2008 dans une période difficile. Avant mon arrivée, il y avait eu les visites très réussies du président de la République française, Nicolas Sarkozy, celle du Premier ministre François Fillon. Et puis, quand je suis arrivé il y a eu un certain nombre d'irritants qui ont crispé nos relations pendant deux années. J'ai dû m'attacher à faire en sorte que nous parvenions à des relations plus sereines. Dans un bilan, il y a des points positifs et d'autres négatifs. J'espère avoir été, à mon niveau, un artisan de la reconstruction et avoir apporté ma pierre à l'édifice des relations bilatérales. Dans les points positifs, il y a eu la reprise du dialogue politique après cette période difficile 2008-2010. En 2010, nous avons repris le contact grâce aux missions de Claude Guéant, en tant que secrétaire général de l'Elysée, qui est venu à deux reprises à Alger, puis celle d'Alain Juppé. Je suis allé moi-même à Paris pour convaincre Alain Juppé de venir en Algérie parce que c'est un pays important, exigeant, avec lequel nous devons avoir un dialogue. Je pense que le dialogue a été réamorcé entre les deux pays. La visite de Michèle Alliot-Marie, ministre de la Justice, les cinq visites de Jean-Pierre Raffarin, un certain nombre de «passeurs» ont su garder un contact politique avec l'Algérie, J.-P. Chevènement, Manuel Valls, Jacques Toubon, Claude Estier… le contact a été maintenu. M. Raffarin, de son côté, a pu régler un certains nombres de dossiers économiques. Il y avait une bonne douzaine de dossiers économiques sur la table qui n'étaient pas réglés ; après ses visites, dix sur douze ont été résolus. D'autres le seront bientôt j'espère. J'ai aussi réglé le dossier de la Chambre française de commerce et d'industrie, qui était «franco-française» dans les statuts ; j'ai réussi à convaincre les Français de transformer les statuts pour en faire une Chambre algéro-française avec un conseil d'administration paritaire. C'est désormais une institution très solide et dynamique, qui vient d'ouvrir une antenne à Béjaïa et qui sera un vecteur du développement économique. Autre point positif : la transformation des centres culturels en Instituts français d'Algérie et j'espère que la 6e antenne, à Tizi Ouzou, ouvrira bientôt. Toujours dans le domaine de l'éducation, je peux citer un beau succès : l'ouverture de l'école primaire du lycée français. Une nouvelle école attirera bien sûr les entreprises françaises. Sur les visas aussi, beaucoup d'améliorations ont eu lieu. Il y a en revanche des dossiers que je n'ai pas réussi à faire avancer, comme la nécessité d'utiliser la «force de frappe» que sont les anciens coopérants français arrivant à l'âge de la retraite avec une expérience de quarante ans et pouvant revenir former des formateurs algériens dans différents domaines. Justement au sujet du dialogue politique, l'Etat français a, à plusieurs reprises, affirmé son soutien aux réformes politiques engagées en Algérie à la faveur des révoltes arabes. Dans quel sens ces réformes pourraient renforcer le dialogue bilatéral ? Comme je l'ai souligné, les deux premières années de mon mandat ont été quasiment «blanches». Nous n'avons pas réussi à créer un vrai dialogue politique avec l'Algérie et, finalement, coïncidence bénéfique, le dialogue a été repris fin 2010, peu avant que commencent tous les mouvements dans le Monde arabe et méditerranéen. 2011 a été l'année des grands mouvements dans le Bassin méditerranéen. Evidement, nous avons été et nous sommes toujours très attentifs à ce qui se passe en Algérie, parce que c'est un pays très particulier pour nous. J'ai dit souvent que chaque pays doit trouver son «rythme propre» en matière de réformes. L'Algérie n'est pas la Tunisie ni l'Egypte. Ce n'est pas non plus la Libye, heureusement ; ce n'est pas la Syrie, heureusement. On ne peut pas souhaiter à l'Algérie la violence qu'il y a en Syrie et ce qui se passe en Libye. Donc l'Algérie doit trouver son rythme avec, au calendrier, les élections législatives puis la réforme de la Constitution. Alain Juppé a eu une expression lorsqu'il est venu ici en disant que «nous encourageons les réformes en Algérie, c'est le premier pas» et il avait ajouté qu'«un premier pas, cela suppose un deuxième». Donc les élections ne sont pas une fin en soi, c'est une étape dans un processus de réforme. J'espère avoir donné des avis pertinents à Paris sur la situation en Algérie et avoir contribué, à mon modeste niveau, à ce dialogue. Encore une fois, ce n'est pas à nous, Français, de faire la leçon aux Algériens et de leur dire de suivre la voie de tel ou tel pays. Le peuple algérien est souverain, il faut, dans ce processus de réforme, qu'il puisse affirmer sa volonté. Ces deux pays qui s'observent mutuellement se sont retrouvés en divergence sur la gestion de la crise de la Libye. Est-ce que cela n'a pas impacté négativement les relations après ce réchauffement dont vous avez parlé ? Les deux pays ont eu des approches différentes plus que divergentes. Mais je crois que chaque approche doit être resituée dans son contexte. La Libye est le grand voisin de l'Algérie. Alger a forcément eu une approche différente de la nôtre et, par principe, l'Algérie est contre les interventions militaires étrangères, de surcroît sur le continent africain. Peut-être, avec le recul, nos deux pays auraient pu former davantage un tandem sur ces dossiers importants, réunissant à la fois l'expertise française et l'expérience et la sensibilité algérienne. Cela nous amène à la question de la situation dans le Sahel. Comment les deux pays abordent-ils cette crise ? Existe-il une convergence de vues ? Alors que sur la Libye nous n'avons pas eu cette expérience de tandem algéro-français, en revanche sur le Sahel, je crois que nous sommes sur le même bateau. Parce que le Sahel, c'est la frontière sud de l'Algérie. Ce sont des pays très liés à l'Algérie. Du côté français nous avons aussi, et les Algériens le savent, des intérêts dans cette région. Nous avons beaucoup de Français présents dans cette région, au Mali, au Niger, au Sénégal et en Côte d'Ivoire. Nous avons des intérêts économiques et nous avons hélas un certain nombre de ressortissants qui ont été enlevés. Bien avant le déclenchement de ce conflit, nous avons eu beaucoup d'entretiens et de discussions avec nos amis algériens, des échanges téléphoniques entre le ministre de la Coopération et son homologue algérien, des réunions de travail. Je crois que nous avons une grande proximité de vues. La situation au Sahel était déjà très instable avant les évènements de Libye. Nous sommes en faveur de l'intégrité territoriale de ces pays, en particulier du Mali. Nous ne souhaitons pas d'intervention militaire étrangère. La Franceattend-t-elle un rôle particulier de l'Algérie sur ce dossier ? L'Algérie est directement impactée par ce qui se passe dans cette région en raison de la géographie. C'est quelque part chez elle. Je crois que notre coopération est très forte, nos échanges de vues et d'informations le sont également. Nous allons toujours encourager les initiatives algériennes. Nous avons soutenu les différentes conférences d'Alger qui ont lieu à partir de septembre dernier. Pour rester dans cette région, au-delà de l'insécurité, qu'est-ce qui se joue dans le Sahel ? Certains observateurs vont jusqu'à dire qu'on pousse vers la partition des pays ; d'autres évoquent même une recolonisation. Quelle analyse faites-vous ? C'est la sécurité d'une bonne partie de l'Afrique qui se joue et donc la sécurité de l'Algérie. C'est pour cela que l'Algérie est concernée. Je crois que personne ne peut envisager sérieusement qu'il y ait une zone de non-droit, une zone de trafic qui va de la Somalie à la Mauritanie. Le développement économique de l'Afrique passe par des échanges Est-Ouest, Nord-Sud et personne ne peut envisager qu'il y ait une «bande géographique», une frontière, un mur qui s'appellerait le Sahel et serait cette zone de non droit. C'est cela le principal enjeu. Cela empêcherait les échanges. Comprenez bien que les différents pays sont directement concernés par cette insécurité qui se développe. Avoir une sorte d'Afghanistan au sud de Tamanrasset serait dramatique pour tous. Ce risque existe-il réellement ? Je crois qu'il faut envisager sérieusement les choses. On ne peut éviter la question du cinquantenaire de l'indépendance qui a été fortement célébré en France. La question de la mémoire continue d'«empoisonner» les relations entre Alger et Paris. Comment faire de cet anniversaire un nouveau départ ? C'est la question essentielle. Parce qu'à travers elle, il y a la mémoire, l'Histoire et surtout l'avenir de nos relations. Donc c'est une question particulièrement difficile et sensible. Ce cinquantenaire on en a beaucoup parlé en France et assez peu en Algérie pour l'instant, pour une «raison mécanique». Les six premiers mois de l'année 2012, ce sont des mois un peu «franco-français» avec les différents évènements, les Accords d'Evian, la rue d'Isly, etc. Le cinquantenaire de l'Algérie commencera en Algérie le 5 juillet. La deuxième partie de l'année sera donc algérienne. En même temps, ce cinquantenaire est celui de l'Algérie. C'est aux Algériens de célébrer l'indépendance de leur pays, le choix de l'indépendance fait par le peuple algérien en 1954 et en 1962. Il y a eu en France beaucoup de commémorations depuis la fin 2011 jusqu'au cinquantenaire des Accords d'Evian, beaucoup d'émissions de télévision, de livres. Il y a une littérature abondante. Cela a été perçu comme négatif vu du côté algérien du fait des blessures rouvertes avec parfois un côté nostalgique. L'accent a été mis davantage sur la fin de l'Algérie française, le départ des pieds-noirs, la fin de la colonisation, sur les souffrances des pieds-noirs et des harkis que sur votre indépendance. Or, il ne faut pas s'arrêter là, il faut aussi commémorer ce qui a été un nouveau départ pour l'Algérie. La construction d'un pays nouveau avec ses forces et ses défis. Cela dit, ce cinquantenaire intervient dans un contexte délicat, une double année électorale en Algérie comme en France. Il est vrai que c'est difficile de célébrer ce cinquantenaire dans la sérénité en période électorale. Ce qu'il faut dans les relations algéro-françaises, c'est vraiment de la sérénité. Après les élections, les deux pays doivent trouver un moyen de repenser, refonder leurs relations. Qu'ils prennent une initiative forte, parce que de mon point de vue, il existe une fenêtre de tir (comme disent les stratèges) assez brève pour cette refondation. Il faut la saisir pour parvenir d'abord à une normalisation de nos relations et, si possible, aller vers une refondation de ces relations. Comment faire pour y parvenir ? Dans des relations compliquées, il faut faire une refondation ou bien ce que j'appelle un «reset» au sens informatique du terme. Quand l'écran devient brouillé, il y a trop de «bugs» dans l'ordinateur, il faut faire un «reset», on l'arrête et on repart à zéro. Avec l'Algérie, il faut faire la même chose. S'il y a trop de bugs dans nos relations, si l'écran se brouille, il faut formater le disque dur. Il restera toujours dans ce disque quelque chose. Toute la mémoire de l'ordinateur et donc de nos relations, ne sera pas effacée mais on pourra aller de l'avant. Le grand risque de nos relations, c'est la banalisation. La France et l'Algérie ne peuvent pas et ne doivent pas avoir des relations banales. Nous devons mettre dans les relations de la densité, de la chair, de la substance et de l'affection autant que de la sérénité, pour que nos relations soient vivantes et pas «banales» ou banalisées. Les générations nées en France après la guerre d'Algérie connaissent mal l'Algérie parce que, longtemps, il y a eu un silence sur la guerre d'Algérie. Ce n'est que récemment qu'on a reparlé de cette période. La génération de l'indépendance a eu la responsabilité historique d'assumer le choix du destin de l'Algérie entre 1954 et 1962, les générations suivantes doivent avoir la responsabilité historique d'éviter cette banalisation et de parvenir à une normalisation pleine de nos relations et à une densification. Cela pourrait-il se faire si l'actuel Président est réélu, avec son rival ou bien dans les deux cas ? Je pense que les prochaines équipes, quelles qu'elles soient, doivent se poser la question. Pour terminer, vous savez, j'ai beaucoup aimé mon séjour en Algérie. Etre ambassadeur de France en Algérie n'est pas un poste banal. Bien au contraire, c'est un poste de haute responsabilité. Je suis venu pour la première fois en Algérie en 1978 ; j'ai appris à l'époque à aimer l'Algérie et son peuple. Et pendant ces quatre années, j'ai rencontré beaucoup de monde, j'ai voyagé dans l'Algérie profonde. Partout où je suis allé, j'ai été accueilli avec beaucoup d'hospitalité et d'affection. C'est cette image que j'emporterais. C'est le terme «affection» qui doit caractériser les relations entre nos deux pays.