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« La France veut la réciprocité » Jacques Toubon. Président de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, ancien ministre de la Culture, de la Justice
Vous avez affirmé récemment que des négociations étaient en cours pour la révision de l'accord de 1968 relatif à la circulation, au séjour et à l'emploi des Algériens en France. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Ces négociations ont été entamées il y a déjà plusieurs années. L'objectif n'était pas de supprimer l'accord de 1968 et celui-ci a même été révisé trois fois. Trois avenants ont déjà été ajoutés à cet accord ; le quatrième est en négociation. Le but est de chercher à savoir si on ne pourrait pas avoir, dans une certaine position, sur le sol algérien, pour les Français, une situation comparable à celle qu'ont les Algériens sur le sol français. La négociation a déjà fait l'objet de trois rencontres. Lors de la visite à Alger, dimanche dernier, de Claude Guéant (secrétaire général de l'Elysée) et Jean-David Levitte (conseiller diplomatique du président Sarkozy), qui ont été reçus par le président Bouteflika, le Premier ministre Ouyahia et le ministre des Affaires étrangères Medelci, il a été décidé de reprendre une nouvelle phase de négociation qui aura lieu probablement à l'automne pour un quatrième avenant à l'accord de 1968. Depuis 2003, lors de la visite de Jacques Chirac, il est question de renégocier l'accord de 1968. Cet accord stipule dans son aspect essentiel qu'un Algérien qui vient en France avec un visa de court séjour ouvre droit à toute la suite prévue par les règles de séjour : carte de séjour, etc. Les Algériens sont les seuls à bénéficier de ces dispositions. Tous les autres étrangers, y compris les Algériens qui sont devenus depuis 1962 des étrangers à la France – peut-être que ce n'était pas une bonne idée – ça prête à sourire parce qu'on s'aperçoit toujours qu'en réalité, la décolonisation est un phénomène qui a suscité un espoir, peut-être qu'il comporte des avantages, qu'il comporte des inconvénients, il va entraîner beaucoup de changements et que ces changements ne sont pas seulement ceux qui ont fait tout d'un coup qu'un territoire qui était une colonie par exemple de la France s'est trouvé à une date X – 1er juillet, 22 septembre pour le Mali – un état souverain avec toutes ses conséquences notamment que ceux qui étaient des nationaux dans ce pays sont devenus des étrangers par rapport à d'autres, du jour au lendemain. A minuit. Entre minuit moins une et zéro heure une minute. Je ferme la parenthèse. Donc cette situation bénéficiait aux seuls Algériens. La question aujourd'hui est donc de discuter cette disposition, de discuter pour savoir si on ne pourrait pas la limiter, la rendre moins fréquente, ou – une autre manière de prendre le problème – de demander, et c'est le but de la négociation, que les Français bénéficient, en quelque sorte, en Algérie des mêmes facilités comme celles dont bénéficient les Algériens en France. C'est le principe de la réciprocité. C'est là un processus qui participe d'une forme de normalisation, une banalisation de la relation France-Algérie. Je dis ces choses avec le sourire. En France vis-à-vis de l'Algérie, en Algérie vis-à-vis de la France, on a trop tendance à considérer que les problèmes du monde se résument à ce que l'autre pense de nous, à ce que, nous, nous pensons de l'autre. Quand c'est le football, un certain nombre de sujets culturels, économiques, cela ne pose pas de problème, mais quand on commence, d'un côté comme de l'autre, à vouloir refaire l'histoire, à emprunter la machine à remonter le temps, il faut craindre les conséquences tragiques qui peuvent en découler. Je crois que l'accord de 1968 mérite aujourd'hui d'être pris avec une certaine objectivité, une certaine froideur, de la distance. Les discussions de dimanche passé ont beaucoup éclairci les points de dialogue. De cet accord, il ne faudrait pas faire autre chose qu'un élément des relations courantes entre Algériens et Français. Passionnées et passionnelles, les relations algéro-françaises éprouvent des hauts et des bas. Où en sont-elles aujourd'hui ? Ma grand-mère disait : la vie, des hauts et des bas ; les hauts je les méprise, les bas je les reprise. C'était sa façon à elle, humoristique, de dire les choses. Après la rencontre de dimanche dernier, j'ai eu l'occasion de rencontrer moi-même le ministre des Affaires étrangères et le secrétaire d'Etat chargé de la Communauté algérienne à l'étranger. C'est important. Ce que je peux vous dire, à partir de mon expérience d'homme politique, de quelqu'un qui a travaillé pour la diversité, de quelqu'un qui s'est systématiquement efforcé de mettre les relations sous le sceau de la tolérance, on commence à avancer quand on admet la raison de l'autre. Pas pour dire amen ni être un « béni- oui-oui », mais pour simplement se dire que dans ce couple, on est deux, lui et moi, pas seulement moi. Pour les années à venir, y compris dans deux ans, en un moment qui peut être extrêmement périlleux, l'anniversaire du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie, on est parti sur une phase ascendante. Très franchement, pour l'avenir de nos relations, je vois beaucoup plus de hauts que de bas. En mission officielle à Alger, vous avez rencontré (hier) les responsables algériens. Avez-vous ressenti de la volonté, de la prédisposition, côté algérien, à accéder à la demande française portant sur l'application du principe de réciprocité ? Pensez-vous que sur ce point, il y a du répondant ? Non, non. Je ne suis pas en mission officielle. Je suis invité pour une conférence au CCF. Avec le ministre des Affaires étrangères, on n'a pas du tout parlé de cela. On a évoqué deux points : celui relatif à ce nouvel état d'esprit que j'évoquais tout à l'heure. On a parlé de manière générale de la communauté algérienne en France et du rôle que celle-ci – les Franco-Algériens de France – peut jouer dans les relations bilatérales. Un rôle très important dans les relations économiques entre les deux pays et dans le développement économique en Algérie. Vous savez que l'une des conclusions de la rencontre de dimanche dernier est qu'il fallait maintenant se tourner vers ce qui était l'objectif majeur du gouvernement algérien, à savoir le développement économique, et en particulier la relance de l'investissement français en Algérie. Ce que le ministre Medelci m'a dit, c'est que les Franco-Algériens peuvent jouer un très grand rôle justement dans l'investissement français en Algérie. Pour revenir à l'accord de 1968, je ne fais pas de prévision. Je sais simplement qu'il y a eu trois séances de négociations entre fonctionnaires français et algériens en 2008 et 2009. Les négociations ont été arrêtées à la fin 2009. Depuis, il y a eu un phénomène important : les autorités françaises et algériennes sont de nouveau dans une situation de dialogue et en particulier à la suite de la dernière visite du secrétaire général de l'Elysée, reçu par le président Bouteflika et le Premier ministre Ouyahia. C'est dans cet esprit-là qu'on va reprendre les négociations en automne. D'ici là, je ne peux pas prédire si la conclusion sera positive ou pas. Je sais simplement qu'il y a un état d'esprit, nouveau, qui règne aujourd'hui sur les relations franco-algériennes. Au plus haut niveau. Personnellement, je souhaite que ces négociations aboutissent. Ceci dit, je ne suis pas un diplomate. Les diplomates disent qu'il y a deux façons de faire échouer une négociation : lui donner une limite ou ne pas lui donner de limite. A votre question, je n'ai pas de réponse absolue. Je pense qu'il faut que la négociation – lorsque celle-ci reprendra en septembre ou en octobre – doit se faire dans un esprit constructif et, incontestablement, la visite de dimanche marque un esprit constructif dans nos relations. M. Medelci me l'a dit ce matin : « Nous sommes de nouveau dans un dialogue fructueux entre l'Algérie et la France. » Vous avez été désigné secrétaire général de la Commission du cinquantenaire des indépendances, une célébration que le gouvernement français compte organiser cette année. L'événement concerne 14 de vos anciennes colonies africaines. Certains relèvent, non sans ironie d'ailleurs, qu'après avoir célébré, comme dans les années 1930 en Algérie, le centenaire de la présence française, la France veut aussi célébrer l'indépendance de ses anciennes colonies. Qu'en pensez-vous ? Non, non. En réalité, il se trouve qu'il y a une relation tout à fait spécifique entre la France et ses anciennes colonies françaises qui sont devenues depuis cinquante ans des Etats souverains. Cette relation est un fait. On peut évidemment la juger comme on veut. C'est une histoire partagée, pendant 100 ans, 150 ans. Avec le Sénégal, ce sont trois siècles et demi de présence française et une culture commune. C'est cet héritage que, un demi-siècle après l'indépendance de ces pays, il faudrait expliciter, revenir sur l'histoire coloniale de la France non comme un passé mais comme un capital pour l'avenir. L'Afrique, notamment l'Afrique noire, c'est certainement le continent de l'avenir, un des endroits où l'avenir du monde se jouera dans les vingt, trente ou quarante années. Car c'est là qu'il y aura des hommes, des terres, des ressources. Et si l'Afrique trouve, avec le soutien de la France et de l'Europe, un modèle de développement durable, de croissance qui ne soit pas simplement la copie de la révolution industrielle de l'Europe au XIXe siècle ou de ce qu'ont fait la Chine et l'Inde depuis vingt ans, à ce moment-là, l'Afrique va tenir une place essentielle dans le monde. Ce cinquantenaire est, en quelque sorte, à travers ce que les pays vont célébrer – le Sénégal a commencé le 4 avril –, à travers ce que, nous, nous allons faire aussi, les 13 et 14 juillet, à travers des colloques, des événements culturels, etc, d'essayer de faire en sorte que cette relation soit explicitée, tournée vers l'avenir, qu'elle devienne un capital pour l'avenir. Comme dans le passé, nous avons une histoire partagée, nous avons aussi un avenir commun. A propos de l'écriture de l'histoire, dans un entretien paru mardi dans la presse algérienne, vous vous dites « partisan d'une mise au clair de l'histoire, d'une manière pluraliste, afin que l'opposition des mémoires n'empêche pas d'écrire l'histoire telle qu'elle a été »… Les mémoires sont par définition subjectives. Chacun ressent librement sa propre histoire. Les mémoires doivent contribuer à l'histoire et non s'y opposer. Même lorsque les mémoires sont conflictuelles, l'histoire doit s'écrire – ce sont les historiens qui doivent le faire – telle qu'elle a été et non comme un événement, un fait ressenti vingt ou cinquante ans en arrière. On le voit bien pour l'immigration, quand on écrit une vraie histoire de l'immigration, on arrive peu à peu à réconcilier les mémoires, même lorsque celles-ci étaient opposées au départ. Sur un même événement, il y a une seule histoire. Il faut bien qu'elle soit écrite d'une manière pluraliste parce que l'histoire quand elle ne reflète que le point de vue de l'un ou de l'autre, elle ne sera pas admise et elle deviendra une nouvelle mémoire, c'est-à-dire subjective, donc sujette à caution.