L'abstention plane sur les élections. Le chef de l'Etat l'a compris, et c'est la raison pour laquelle il est de nouveau monté au créneau pour appeler les Algériens à voter massivement le 10 mai. Mais avec quels arguments ? Une forte participation, soutient-il, est un moyen de raffermir la cohésion de notre société, renforcer sa solidarité et doter l'Algérie d'une ambition qui soit à la mesure des défis auxquels elle se trouve confrontée… Cela ressemble à de la langue de bois et rien ne dit que son message soit entendu. Car la rue pense autrement. Elle parle de vie chère, de corruption, de chômage, de hogra, de malvie… Des thèmes qui sont toujours d'actualité, qui font campagne chez les plus démunis, et que notre télé nationale ne véhicule pas. Exemple, le jeune qui s'est immolé à Jijel et qui a provoqué la colère de la population. La ressemblance est frappante avec la triste histoire de Bouaziz, le Tunisien dont la mort par le feu à sonné le déclic de la révolution du jasmin. Sauf que chez nous, il n'y a pas de suite. Ceci pour dire qu'en Algérie, la rhétorique politicienne qui émane des gens du Pouvoir est en complète rupture avec les vrais problèmes sociaux vécus par les populations d'en-bas. Appeler les citoyens à se rendre aux urnes pour «sauvegarder la souveraineté nationale», alors que beaucoup d'entre eux souffrent dans leur chair d'un manque flagrant de considération de la part des gouvernants qui ne pensent qu'au renouvellement de leur bail, c'est aller un peu fort en besogne et ne pas prendre au sérieux la grave crise morale et politique qui affecte notre société. On ne sait si l'abstention qui donne tellement de sueurs froides à l'entourage du ministre de l'Intérieur serait la meilleure solution pour exprimer son mécontentement face à un régime en déperdition, qui ne se soucie que de sa survie, mais les réactions des citoyens anonymes, pas ceux sélectionnés par la télé pour des besoins propagandistes, sont souvent des points de référence et d'analyse sur lesquels il faut s'attarder. Quand des responsables politiques de grands partis rencontrent une grande hostilité de la part des citoyens pendant leurs meetings, et sont souvent renvoyés comme de vulgaires intrus, quand les panneaux d'affichage sont taggés de slogans dénonçant la vie chère, la corruption ou le désespoir des jeunes, il y a vraiment matière à réfléchir sur la finalité de ces élections, vitale pour la démocratie côté officiel, une supercherie de plus pour les masses populaires. Entre les gouvernants et les gouvernés, le courant ne passe pas, comme on a tendance à vouloir le faire croire. On ne parle pas le même langage, et cette consultation électorale est venue à point nommé pour nous le rappeler parfois avec violence, pour nous dire que les Algériens qui sont tellement échaudés par des élus qui ne les ont jamais représentés ne se laissent désormais plus manipuler comme avant. A vrai dire, les temps ont changé pour le régime qui n'est plus assuré comme au bon vieux temps de concocter à l'avance les résultats qu'il veut. La fraude devenant de plus en plus difficile à organiser, on comprend aisément le dilemme dans lequel il s'est retrouvé et qui ne semble pas avoir beaucoup d'issues pour lui. Comment, en effet, réussir à élire une Assemblée législative qui ne sera pas comme les précédentes, c'est-à-dire qui sera plus autonome qu'avant, sans risquer d'affronter le danger d'être remise en question plus tard par un jeu institutionnel qui aura à cœur de vouloir s'affranchir des tutelles apparentes ou souterraines. C'est donc tout l'art de vouloir maintenir le système politique dans ses fondamentaux tout en prônant un changement qui doit prendre l'aspect d'un simple vernis. La manœuvre est grotesque, mais Bouteflika a-t-il d'autre choix ? Cela, les islamistes l'ont compris et c'est la raison pour laquelle leur leitmotiv dans cette campagne demeure la dénonciation de la fraude qui risque de fausser tous leurs calculs. A l'évidence, si le Pouvoir ne veut rien lâcher de ses attributions, il sera en revanche comptable de la consolidation du mouvement intégriste qui veut à travers l'alliance verte jouer un rôle plus prépondérant sur la scène politique nationale. La compromission du Pouvoir avec les islamistes est telle que ces derniers se voient déjà occuper la majorité parlementaire et se projeter dans l'avenir comme première force politique du pays pour peser encore davantage sur la société algérienne. Voilà donc ce que la paire FLN-RND aux commandes depuis des années nous a légué comme initiateurs de projet de société, alors que la grande majorité des Algériens avait tranché en optant pour un idéal républicain, moderniste, progressiste. Est-on pour autant revenu à la case départ avec cet ultimatum : le statu quo sous le règne du duo Ouyahia-Belkhadem qui incarne le courant conservateur dans toute sa splendeur, ou l'arrivée des islamistes qui veulent nous ramener au Moyen-âge ? On a déjà connu cette équation maléfique qui s'identifiait à l'époque à la peste ou le choléra avec un FIS qui voulait nous mettre tous sous sa coupe avant de verser dans la barbarie et un pouvoir militaire qui ne voulait rien céder. L'histoire est-elle en train de se répéter mais dans un scénario plus soft ?