Istanbul, avec ses parterres de tulipes, son Bosphore, son Topkapi, ses loukoums, son bazar et sa Corne d'or, a aussi vécu au rythme du cinéma pendant le 31e Festival international du film. Istanbul (Turquie) De notre envoyé spécial Dans une ambiance très détendue, on a pu voir beaucoup de films et revenir avec des souvenirs tenaces, de bonnes impressions sur le programme de ce 31e Festival d'Istanbul dirigé par Azize Tan. Le très doué cinéaste français, Mathieu Kassovitz (La Haine,1995), confirme son talent et sa position de gêneur de L'ordre et la morale, un film très mal reçu dans son pays. C'est pourtant un travail absolument convaincant et politiquement fort. Kassovitz est allé en Nouvelle-Calédonie pour tourner une fiction. Un film écrit, dirigé et où il a joué lui-même le premier rôle, sur le massacre par l'armée française d'un groupe de militants séparatistes kanaks en 1988. A l'approche des élections en métropole, Paris voulait en finir avec la rébellion du peuple kanak. Quoi de plus efficace qu'une répression féroce, brutale et sans doute politiquement rentable pour le pouvoir en place. Par sa force et la rapidité de son style narratif, L'ordre et la morale est une œuvre à placer aux côtés de Z (Costa Gavras) et même de La bataille d'Alger, qui a fait un tabac lors de sa projection à Istanbul. Deux grandes œuvres que Mathieu Kassovitz a dû voir et revoir quand il était un jeune cinéphile. Un vibrant et exceptionnel hommage aux milliers d'Algériens qui se sont soulevés le 17 octobre 1961 à Paris, à l'appel du FLN, contre le couvre-feu qui leur avait été imposé, est dans l'excellent documentaire de Yasmine Adi : Ici on noie les Algériens. Emouvant retour sur cette date tragique à l'aide d'images d'archives et de poignants témoignages de survivants à la repression fasciste. On pouvait voir, le même jour, le film cambodgien de Rithy Panh intitulé Duch, le maître des forges, sur les conséquences de la prise du pouvoir par les Khmers rouges, dont Duch était l'un des dirigeants de 1975 à 1979. Le royaume du Cambodge a chèrement payé cette période noire, puisque Duch et ses complices avaient ordonné le massacre de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants. Duch a comparu en 2009 devant la Cour pénale internationale. Le jour où on verra un criminel de guerre israélien devant cette institution de La Haye, on aura aussi l'espoir que justice sera rendue au peuple palestinien. L'irruption planétaire de produits «made in China», on en trouve l'explication pas spécialement gaie dans le bon documentaire tourné clandestinement en Chine par Micha Peled : China Blue. Ce titre qu'on pourrait traduire par «bleu de chine», habit célèbre à Alger même pendant la période maoïste, est en fait une enquête sur la fabrique des jean's en Chine, vendus dans le monde entier, y compris aux Etats-Unis. Le réalisateur dénonce les conditions de travail inhumaines, en suivant le parcours de trois jeunes ouvrières. C'est tout simplement de l'esclavage moderne. Quand on achète un jean's à bas prix, on n'imagine pas dans quelles conditions il a été fabriqué. Tout comme les Nike produits au Pakistan et les chemises au Bangladesh, qu'on retrouve en vitrines à Alger... A Istanbul, en 2010, les autorités ont, paraît-il, exterminé les milliers de chiens errants qui donnaient une mauvaise image de la ville. Dans son documentaire Histoire des chiens, Serge Avédikian fait croire que la décision de se débarrasser des quatre pattes, (tout en gardant heureusement ses chats magnifiques qu'on admire partout à chaque coin d'Istanbul), a été prise quand la ville a été désignée «capitale culturelle de l'Europe» et au moment où la Turquie tapait aux portes de l'Union européenne. Un film danois The Ambassador, de Mads Brugger, est un portrait tragi-comique, nettement bouffon, de ce qui se trame en Afrique. Un Muppet Show africain. L'histoire est la suivante : le réalisateur lui-même, peau blanche et cheveux blonds, affirme avoir «acheté» un titre d'ambassadeur, haut représentant du Liberia en République centrafricaine ! C'est un Danois «officiellement africain» qui débarque à Bangui. Il ne perd pas de temps pour indiquer aux autorités ce qu'il cherche, c'est un accès aux vastes réserves de diamants du pays. Quelques caisses de Gin et de Chivas font l'affaire. L'alcool favorise les échanges et établit les bonnes relations. En Centrafrique, on n'est pas ingrat. Une mine de diamants vaut bien quelques Gin tonic !