Révision de la Constitution, rôle des islamistes et l'avenir d'Ahmed Ouyahia. Le résultat des législatives d'hier va chambouler le système politique algérien. Décryptage. Que va devenir Ahmed Ouyahia ? Une certitude. Après les législatives, le secrétaire général du RND devra faire ses cartons et quitter son poste de Premier ministre, qu'il occupe depuis le 23 juin 2008. Ce départ est acté et devrait permettre au président de la république de se débarrasser d'un homme qu'il n'a jamais apprécié. «C'est la fin d'un calvaire pour Ouyahia, estime Rachid Grine, politologue. Sa position était extrêmement inconfortable. Il était snobé par ses propres ministres qui préféraient s'en référer à la Présidence plutôt qu'au premier d'entre eux.» Mais le secrétaire général du RND joue aussi son avenir politique. «La position de Ouyahia est délicate, estime Riadh Bourriche, professeur en science politique à l'université de Constantine. Si le RND obtient un faible score aux législatives, c'est son avenir politique qui pourrait être remis en cause. Son bilan est plombé par un volet social catastrophique et par une image qui lui colle à la peau, celle du «Premier-ministre-qui-s'est-plié-aux-injonctions-du-FMI» durant les années 90, qui ont mis au chômage des centaines de milliers de travailleurs du secteur public. Malgré tout, je pense qu'il pourra compter sur le repêchage de ses amis en cas de désastre électoral, pour service rendu.» Car au-delà des législatives, c'est la présidentielle de 2014 qui est en ligne de mire du futur ex-Premier ministre. Ce scrutin doit lui permettre de mesurer son poids politique et sa popularité auprès des Algériens. Un faible score pourrait donc affaiblir ses objectifs politiques. «L'enjeu de ces législatives pour Ahmed Ouyahia, ce sont les présidentielles qui auront lieu dans deux ans, rappelle Rachid Grine. Ahmed Ouyahia a été présenté pendant de nombreuses années comme le candidat du sérail. L'est-il encore aujourd'hui ? C'est toute la question. C'est pour cela que son score sera scruté à la loupe par ses soutiens et qu'en cas de mauvais score, ils pourraient décider de se reporter sur quelqu'un d'autre. Après tant d'années d'attente, Ahmed Ouyahia pourrait tout perdre le 10 mai.»
A quel gouvernement doit-on s'attendre ? Qui dit nouvelle assemblée, dit… nouveau gouvernement. «Cela paraît inévitable, juge Zoubir Arrous, professeur à l'Université Alger 2. Le changement qu'on veut vendre aux capitales occidentales doit s'accompagner du renouvellement de l'équipe ministérielle en place. De plus, cela va permettre au président de se libérer d'un gouvernement que les Algériens détestent, constitué de ministres incompétents et maintenus en poste pour service rendu et par calcul politique. Personne ne va pleurer leur départ.» Là, deux choix se présentent : soit un gouvernement issu des formations politiques vainqueurs des législatives, soit une équipe de technocrates issue de la société civile, sans attaches politiques. Un gouvernement à durée de vie limitée -deux ans- qui aura à prendre en charge de très importantes réformes. «Je pencherais plutôt vers la formation d'un gouvernement de technocrates issus de la société civile, estime Rachid Grine. Cela me paraît plus conforme à la mission qui va être la sienne, durant ce court laps de temps.» Un avis que ne partage pas Zoubir Arrous qui estime que «le Président ne peut travailler qu'avec des hommes qui lui sont proches et fidèles. C'est dans la culture politique de Bouteflika.» Quelle que soit la composante du prochain gouvernement, celui-ci aura à gérer d'importants dossiers : les élections locales, la révision de la constitution, et l'organisation des présidentielles. «C'est pour cela que la composante de ce gouvernement sera intéressante à observer. Elle donnera une indication de ce qui se trame au plus haut sommet de l'Etat pour la succession de Bouteflika. Soit c'est lui-même qui la prépare, soit ce sont d'autres qui décideront à sa place», juge Riadh Bouriche. Nouvelle constitution ou simple toilettage ? C'est le principal chantier auquel doit s'attaquer la prochaine assemblée nationale : la révision de la constitution et l'instauration du poste de vice-Président. «Il sera très intéressant d'étudier les articles sur lesquels le pouvoir décidera de se pencher, estime Rachid Leurari enseignant à la faculté de droit de Ben Aknoun. Une indication sur la volonté du pouvoir de procéder soit à un changement radical de la constitution ou juste à un toilettage…» Les précédentes révisions constitutionnelles n'avaient pas défini clairement l'aspect relatif à la représentation, aux droits des citoyens et au principe de séparation des pouvoirs. Les interrogations se portent désormais sur le modèle qui sera privilégié par le pouvoir. Deux systèmes sont en balance : un système parlementaire, caractérisé par un équilibre des pouvoirs entre le gouvernement et le Parlement, ou un système semi présidentiel, avec des prérogatives du président de la République moins importantes que ce n'est le cas actuellement. «On se dirige plutôt vers un régime semi-présidentiel, estime Rachid Leurari. L'Algérie n'est pas encore armée pour basculer vers un régime parlementaire. Quand on voit et entend les candidats qui se présentent aux élections, on ne peut imaginer qu'on leur confie les clés du pays…» L'autre grande bataille qui s'annonce, c'est l'instauration du poste de vice-Président. Le président Bouteflika, adepte d'un régime présidentiel fort, veut le mettre en place pour parer d'éventuelles vacances du pouvoir et l'instabilité des institutions de l'Etat. Quels rôles pour les islamistes ? Ils se voient à la tête du prochain gouvernement. L'Alliance verte, coalition formée des partis du MSP, Ennahda et El Islah, a commencé à composer son prochain gouvernement et à se partager les portefeuilles ministériels avant même le début du scrutin. Quels que soient les résultats, ils sortiront grands vainqueurs de ses élections. En cas de législatives sans fraude, la victoire ne peut leur échapper car la nature même du régime et les aspirations de la société penchent vers les thèses défendues par les partis islamiques. Dans le cas où ils seraient privés de la majorité à l'assemblée nationale, ils pourront toujours dénoncer la fraude et adopter une posture de victimes. Mais quel que soit le résultat des votes, les partis islamiques n'engageront pas de bras de fer avec le pouvoir. En réalité, ils ne souhaitent pas gouverner le pays mais veulent demeurer aux côtés du pouvoir pour continuer à peser sur la vie économique du pays. «Les islamistes ont intérêt à faire le dos rond si jamais on les prive de victoire, estime Rachid Grine. Ils ont toujours fait preuve de pragmatisme et ne sont pas disposés à tout lâcher. Ils sont prêts à des concessions si on leur permet de continuer à gérer des ministères qui leur sont importants, comme celui du commerce, pour continuer à faire du business.» Pour l'heure, l'éparpillement du vote islamiste voulu par le pouvoir, ne permet pas l'émergence d'un grand courant islamique. «Le pouvoir était conscient qu'avec l'arrivée des islamistes au pouvoir en Egypte, Maroc et Tunisie, il lui serait difficile d'éviter une victoire islamiste au parlement, analyse Zoubir Arous. Alors, il a fractionné le mouvement en plusieurs partis et surtout, a choisi d'agréer des partis dont les leaders se détestent…»