Quel rôle jouera – ou fera-t-on jouer à – Abdellah Djaballah lors de la prochaine élection présidentielle ? Un rôle de premier plan ? Très envisageable, estiment nombre d'observateurs de la scène politique nationale. Charismatique, ambitieux, opportuniste et surtout radical, cheikh Djaballah a de quoi allécher les architectes du 3e quinquennat pour Abdelaziz Bouteflika, en mal de candidatures d'envergure à même de crédibiliser la prochaine élection présidentielle. Les défections en série des leaders de la mouvance démocratique, réfractaires à toute participation « alibi » au prochain scrutin, pourraient-elles amener le « clan » Bouteflika à envisager un « deal », un savant partage des rôles avec celui qui fut l'un des fondateurs du Front islamique du salut (FIS) ? Scénario plausible, considère le politologue Rachid Tlemçani. La candidature – éventuelle – de Djaballah n'est d'après lui qu'une énième manifestation de « l'alliance stratégique entre les islamistes et l'appareil policier ». Glissement sémantique : « Pour le pouvoir et en prévision de ces élections, la caution islamiste a autant – sinon plus – d'importance que la caution démocratique », considère le professeur en sciences politiques à l'université d'Alger. Le politologue n'exclut donc (ou surtout) pas qu'un islamiste pur souche de la trempe de Djaballah soit enrôlé pour donner la réplique au président-candidat. C'est presque dans l'ordre des choses. « Culturellement, les islamistes sont déjà au pouvoir, dit-il. Si le pouvoir, l'armée, le DRS étaient laïcs en 1999, Bouteflika n'aurait certainement pas pu accéder à la magistrature suprême ». Impasse du régime oblige, Djaballah, naguère « mouton noir » de l'islamisme politique algérien, se mue en « perle rare ». Inespérée planche de salut pour les naufragés d'avril 2009. Dans un entretien publié hier par le quotidien El Khabar, Abdellah Djaballah évoque en termes sibyllins les « tractations » avec le régime. A la question de savoir s'il allait postuler à la l'élection dans le cas où son ancien parti (le mouvement El Islah) lui était « restitué » par le pouvoir, le leader (sans parti fixe car il a aussi été spolié de son autre parti, Ennahda) répond fin et stratège. Le ton est aussi résolument celui du marchandage. « Si on ne participe pas, cela ne veut certainement pas dire qu'on fuit nos responsabilités nationale et islamique mais parce qu'on a jugé les donnes actuelles en défaveur de notre participation. Cela étant, ce n'est qu'un jugement provisoire, notre décision évoluera si les donnes, elles, évoluent ». A propos du troc « Islah contre candidature » qu'il trouve « juste et équitable », il affirme que pour l'heure, le pouvoir ne s'est pas montré disponible à l'accepter. Plus qu'une participation à une élection que lui-même juge réglée d'avance depuis novembre, le cheikh nourrit d'autres desseins. Plus secrets, plus visionnaires. En décembre dernier, il annonçait déjà la couleur. Au journal londonien El Hayet, Abdallah Djaballah déclarait s'engager avec plusieurs personnalités nationales influentes (dont Abdelaziz Belkhadem et Abdelhamid Mehri) pour créer « un pôle regroupant tous les courants politiques » qui va « contribuer à un changement radical de la situation politique que vit le pays ». Les islamistes, une famille recomposée Sans doute pour endormir la couleuvre, il affirme que « les concertations politiques seront engagées même avec des hommes politiques en dehors du courant islamique. Car, l'initiative vise même les démocrates et les nationalistes... L'initiative touchera même les enfants du FIS », a-t-il dit. Pour H'mida Layachi, journaliste spécialisé dans la mouvance islamiste, les « contacts » entre le pouvoir et l'ex-leader d'Ennahda et Islah déboucheront – après l'échéance d'avril 2009 – dans le cas où ils aboutissent sur « une reconfiguration, une recomposition du paysage politique islamiste ». « C'est du gagnant-gagnant », souligne le journaliste. Du pain béni pour Bouteflika qui sauvera son élection, pain béni aussi pour l'islamiste radical qui confortera sa position de leader « incorruptible » au sein du panel politique islamiste. Pourquoi Djaballah ? Il est « le seul à pouvoir fédérer les courants islamistes, à créer une troisième force à partir des éléments de la Salafia (pacifistes), à rallier une partie de la base de l'ex-FIS, à pouvoir récupérer les ‘orphelins' du mouvement Islah, à pouvoir compter sur l'appui, le soutien (financier notamment) et la confiance des (légions) de repentis de l'Armée islamique du salut (AIS) de l'Est et ceux restés fidèles aux émirs du centre et de l'ouest du pays », selon M. Layachi. Djaballah, bon partant pour la présidentielle ? C'est indubitablement la garantie d'une « famille islamiste recomposée » après l'élection. Dans la conjoncture actuelle, estime le sociologue Nacer Djabi, il est fort à parier sur un « pacte » entre les deux camps. Djaballah est un personnage habité par la politique dont « le charisme lui joue souvent des tours. Fidèle à sa ligne de conduite, étranger à toute compromission avec le pouvoir, il fera assurément un candidat islamiste crédible pour la prochaine élection », nous dit-il. Son collège au centre de recherche CREAD, Zoubir Arrous, estime quant à lui les chances d'une implication des islamistes radicaux lors du prochain rendez-vous « nulles ». Les islamistes sont, d'après Arrous, une « force éclatée », « il est peu probable qu'ils acceptent de jouer les lièvres sachant que les jeux sont déjà faits », conclut le sociologue.