Le culte des planches est toujours présent dans la ville du Vieux Rocher, qui, encore une fois, confirme sa longue tradition théâtrale par ce pur et nouveau produit de son cru. Constantine retrouvait hier, dans l'après-midi, sa tradition de ville du théâtre avec la présentation de la générale de la pièce El Kaftane (Le Cafetan), écrite par Alloua Boudjadi et réalisée par Mohamed-Tayeb Dehimi. Les comédiens, par leur jeu vif, leurs réparties rapides et pleines d'esprit, dans le pur parler constantinois d'antan, avec des tournures et jeux de mots surannés, -que n'utilisent plus que quelques anciens des quartiers de la Médina- ont d'emblée conquis les spectateurs. L'on n'entendait, invariablement, que rires jubilatoires et applaudissements. Le rideau s'ouvre sur une scène de la rue au temps des beys. Le décor est très sobre. Quelques repères, des petits détails, comme les costumes d'époque, y transportent l'assistance. Des notables pleins de morgue, vilipendent, dans une langue truculente, leur Bey déchu, qui avait, selon eux, toutes les tares du monde. Un crieur arrive sur la place publique, invite la population constantinoise à assister, le lendemain, à la pendaison de ce Bey, et à faire allégeance au nouveau (dont peu importe le nom). Ces bourgeois, opportunistes et habiles, jurent fidélité et totale soumission au prince du moment, avec toute la servilité que l'on peut attendre de pareille engeance, allant même jusqu'à réciter quelques versets coraniques, en témoignage de leur indéfectible subordination, de peur de perdre leurs immenses privilèges. En réalité, la pièce évoque des problèmes sociaux complètement transposables dans notre temps: corruption et bakchich sont les seules notions qui régissent le système de gouvernance. La condition de la femme est évoquée à travers la fille du Bey (ce dernier campé par Allaoua Zermani), la princesse Aïchouch (Mouni Boualem). Recluse et désespérée, elle n'a pour tous compagnons que sa servante, bossue et farfelue, et son malin et irrésistible bouffon, Bouhadba. Ce dernier, moyennant libéralité, lui apporte des nouvelles de son bien-aimé, un janissaire, qu'elle avait entr'aperçu un jour, et dont elle était tombé éperdument amoureuse. Le réalisateur, Mohamed-Tayeb Dehimi, nous livre, en marge du spectacle, les impressions suivantes: «Nous travaillons dans un espace ouvert, selon une technique moderne, avec très peu de décor. Nous mettons les conflits en évidence, entre la rue et le sérail, où se trament les complots. La pièce parle de l'instabilité des systèmes politiques, d'une projection; il y a forcément un parallèle à faire avec ce que nous vivons aujourd'hui, avec le principe du bakchich qui perdure. C'est aussi une comédie loufoque, qui donne du plaisir et du rire aux gens». Selon l'avis de beaucoup de personnes présentes, la pièce est une réussite, surtout qu'elle redonne un bon coup de fouet à la langue vernaculaire constantinoise. Elle est programmée pour être présentée au grand public à partir du 16 du mois en cours.