Cette pratique ancestrale mérite d'être dotée de plus de moyens pour son redéploiement. La salle d'exposition de la maison de la culture Mohamed-El Aïd Al Khalifa accueille, depuis dimanche, et jusqu'à jeudi, le 5ème Salon de la distillation florale dans le cadre du Mois du patrimoine. Une fusion de parfums, rose, fleur de bigaradier, jasmin, ambre et géranium d'Orient (atarcha), embaume délicieusement les lieux, attirant irrésistiblement une nuée de curieux. Le maître de cérémonie, Zoubir Bouberbara, est d'ores et déjà affairé à ses fourneaux, sous le regard fasciné de l'assistance. Un chaudron en cuivre, couvert du fameux alambic (qettar), est majestueusement dressé: l'opération de distillation est lancée. Notre horticulteur prend deux bonnes brassées de roses dites de Syrie, les met dans le chaudron, ajoute de l'eau et recouvre le tout de l'alambic. Tout en travaillant, il nous explique les différentes étapes de l'opération, à laquelle, dans le temps, les familles constantinoises ne dérogeaient jamais. La vapeur se transforme en gouttelettes, qui s'écoulent du robinet de l'alambic (celui-ci est empli d'une eau qu'on doit absolument maintenir froide), directement dans la tourie (m'ghelfa). Même procédé pour la fleur de bigaradier et autres essences. «C'est une manière de fêter le printemps, précise M. Bouberbara; ces extraits servent à parfumer les entremets, la pâtisserie traditionnelle, le café; ils sont utilisés en cosmétique et en pharmacologie; l'eau de rose est connue pour ses innombrables vertus; en plus d'être un antiride, elle est très apaisante pour les yeux». Cet artisan pépiniériste, membre de la Chambre de l'artisanat et des métiers (CAM), est un passionné de plantes ; il les cultive lui-même à Hamma Bouzane depuis 1989. Intransigeant sur la qualité du produit, il nous confie, à titre d'exemple, que la rose doit être de couleur framboisée, délicate, d'une senteur particulière; elle atteint, selon lui, sa pleine maturité au mois de mai. Une autre eau florale appelée «m'khabel», ou cocktail, est confectionnée à partir d'un panachage de rose, jasmin, ambre, «généréa» et fleur d'oranger. Celle-ci sert également à parfumer certaines confiseries et autres gâteaux traditionnels. Notre artisan souhaiterait avoir un kiosque dans la ville du Vieux Rocher pour y exposer son produit. Ce serait certes un atout pour la cité, eu égard à la terrible déperdition qui guette tous les vieux métiers. Un autre amoureux de Constantine et de ses traditions ancestrales, Slimane Gasmi, que nous avons rencontré sur les lieux, nous révèle que l'art de la distillation florale remonte à loin, voire à la période byzantine. «Cette noble pratique nous est parvenue il y a douze siècles grâce à Ziryab l'Andalou, qui a créé la première distillerie à Cordoue; celle-ci devient très vite un genre de nouba printanière, une occasion de rencontres entre lettrés, de dégustation de fruits de saison, de convivialité, de ballades dans les grands et féeriques jardins d'Andalousie.» M. Gasmi nous fera savoir, en outre, que la distillation des fleurs était avant pratiquée à Alger, Blida, Koléa, Tlemcen et Béjaïa, mais qu'actuellement elle l'est à Constantine uniquement.