Lasse de se heurter à une bureaucratie rigide, d'écrire des lettres restées sans écho, désemparée par les portes qu'on lui claque au nez, usée par le temps qui passe sans qu'elle n'entrevoit le moindre espoir de solution à son problème, guidée par la force du désespoir de ceux qui ont atteint le fond de la déchéance morale et sociale, poussée par le sentiment bien ancré qu'elle est victime de la hogra, Guemili Saliha, une femme âgée de 42 ans, s'est présentée au bureau d'El Watan, dans l'espoir, dit-elle, de faire passer son message au premier magistrat de la wilaya. « Le seul après Dieu que j'implore pour qu'il se penche avec humanité sur mon cas et me dire simplement si j'ai été oui ou non victime d'une mesure discriminatoire. J'accepterai son jugement, je le jure. » Cette femme de peine qui gagne durement sa maigre pitance en tant que femme de ménage à la CNAS de Constantine nous présente d'une main calleuse, prématurément flétrie, les documents attestant du bien-fondé du combat qu'elle mène depuis plusieurs années pour faire valoir ses droits. Son affaire remonte au 1er juillet 1998, date à laquelle les services compétents de l'APC lui délivrent un récépissé portant le n° 83 et qui atteste qu'elle occupe une « bicoque » au bidonville dit Metatla, au n° 274, situé dans le prolongement de l'avenue Rahmani Achour. Un site d'habitations parmi les plus précaires du Vieux Rocher et menacé, de surcroît, par d'importants glissements de terrain, en sus des fortes nuisances et des fléaux sociaux qui avaient transformé ce ghetto en une zone de non-droit. A cette époque et sur la base de ces paramètres, la dcision est prise d'éradiquer à terme ce bidonville et de reloger les 450 familles recensées vers la nouvelle ville Ali Mendjeli. Quatre ans plus tard, cette femme qui continuait à survivre tant bien que mal dans son misérable gourbi accuse réception d'un second reçu de recensement établi en bonne et due forme le 13 février 2003. Celui-ci témoigne, à l'instar d'une liste nominative paraphée par l'association de quartier El Wifak, de quittances de Sonelgaz et d'autres documents officiels qu'elle réside bel est bien au n° 274, sis au bidonville Metatla. Quelques mois plus tard, 449 occupants sur les 450 logements recensés sont évacués et relogés à la nouvelle ville Ali Mendjeli. Seul son nom ne figure pas parmi la liste des bénéficiaires. Sa déception est terrible et, dans son désarroi, elle ne parvient pas à trouver un responsable susceptible de lui donner une explication sauf que, face à son désespoir, on répond par une sommation de quitter les lieux pour permettre aux engins de procéder à la démolition. Il ne lui restait que ses yeux pour pleurer et la charité de quelques âmes pour l'héberger. Jusqu'au jour où ses modestes ressources lui ont permis de louer une chambre de quelques mètres carrés et tout aussi misérable que son ex-logis. « A ce jour, se lamente-t-elle, aucune explication plausible ne m'a été fournie si ce n'est des réponses évasives et dédaigneuses, parce que je n'ai que ma petite personne pour tenter de faire valoir mes droits. C'est de la hogra ! On m'a volé le rêve de toute une vie. » Depuis, cette femme de humble condition continue son combat avec son air de chien battu, mais avec la ténacité de ceux qui n'ont plus rien à perdre, sinon la foi envers les institutions de l'Etat, celle de la justice y compris, qui continuent à faire la sourde oreille à des sollicitations entreprises avec la gaucherie et le ton humble d'une personne qui a malheureusement tendance à s'excuser quand on lui marche sur les pieds.