Tout ça pour ça ! Nous aurons donc une Assemblée «nouvelle» dans laquelle c'est encore (et toujours) le FLN qui trône, talonné naturellement de son clone le RND et des islamistes décidément programmés pour jouer les faire-valoir des positions intermédiaires qui ne font de mal à personne. Bouteflika, il faut le reconnaître, a bien manœuvré. A Sétif, il appelle la jeunesse à prendre en main son destin, mais en même temps, il met tout son poids dans la balance pour sauver un FLN en déperdition qui s'attendait au pire au terme de cette campagne. Comment en effet transmettre le flambeau aux générations montantes avec la prédominance d'un parti dont la raison d'être est précisément de barrer la route aux jeunes. C'est une vérité historique de dire que le vieux parti unique a toujours été un farouche défenseur du conservatisme politique en Algérie. Adossé au concept de la légitimité révolutionnaire qui a donné naissance à la «famille révolutionnaire», le FLN n'a jamais cessé de voir d'un mauvais œil toute tentative d'ouverture démocratique qui remettrait en cause sa suprématie. Balayé au lendemain de la révolte d'Octobre 88, il fera tout pour revenir au devant de la scène comme première force politique du pays grâce au soutien d'une administration totalement contrôlée par le Pouvoir. Entre celui-ci et le FLN, il y a une connivence d'intérêts qui a toujours prévalu dans les moments de crise les plus aigus. Le vieux parti arrange les affaires des cercles du Pouvoir par son imbrication totale dans le système, et le Pouvoir le lui rend bien en inventant à chaque fois que c'est nécessaire les conditions de son maintien, même s'il se trouve en butte à une forte contestation populaire. Cette forme de marchandage apparaît clairement lors des élections. Si les algériens savent à l'avance qui sortira vainqueur, le FLN bien sûr, c'est parce que les scrutins quels qu'ils soient sont toujours truqués. La fraude a tellement existé dans notre pays qu'elle a fini par être presque institutionnalisée. Bouteflika lui-même n'avait-il pas reconnu qu'avant le scrutin de ce 10 mai, toutes les élections organisées jusque-là l'avaient été à la… Naegelen ? En tout cas, après l'avoir longtemps niée, nos gouvernants ont fini par l'admettre implicitement, et qu'à l'avenir elle serait, selon leur propre engagement devant le peuple, bannie de notre exercice électoral. C'est ce qu'on avait prédit pour cette campagne des législatives. Honnête et transparente, pas de fraude donc qui altérerait les bonnes intentions pour laisser émerger librement une autre assemblée nationale. Mais les algériens qui avaient cru un instant à ce discours mielleux destiné à donner certains gages à l'opinion internationale, se sont vite rendus à l'évidence. Comme une fatalité qui renvoie durement à la réalité, les résultats qui en ont découlé ont ramené tout le monde à la raison. Le Pouvoir en replaçant le FLN a démontré encore une fois qu'il n'était pas près à prendre le risque d'un changement qui pourrait être interprété comme le commencement de la fin d'un règne unilatéral qui a pourtant survécu à moult tempêtes. Jamais élection n'a suscité autant de malaise. D'abord, la forte abstention qui l'a entourée a prouvé que les algériens dans leur grande majorité ont préféré la réserve à l'implication inconditionnelle qui donnerait un chèque en blanc au Pouvoir dont ils connaissent les grandes capacités de manipulation. Ensuite, la promotion d'un parti en complète déliquescence comme chef de file d'une structure parlementaire présentée comme un excellent tremplin pour l'approfondissement de la démocratie a été ressentie comme une injure à tous les engagements pris pour donner à l'Algérie une autre image de son système politique et institutionnel. Maintenant que les dés sont jetés, et que le naturel (de la fraude) est revenu vite au galop, on peut se poser la question de savoir comment compte faire Bouteflika pour crédibiliser une instance attaquée de partout, notamment de son propre camp. La plupart des partis qui se sont sentis floués, particulièrement ceux de la mouvance islamiste, tirent à boulets rouges sur le FLN dont le score est considéré comme un produit des manigances, et braquent aussi leurs critiques sur le président de la République qui n'a pas été neutre dans le déroulement de la campagne électorale. Si l'islamisme n'est pas une fatalité à l'heure où les printemps arabes ne voyaient aucune autre issue à leurs révolutions, il reste que nombre de nos partis qui ont pignon sur rue n'ont pas digéré le fait que ces élections législatives n'aient pas été totalement libres. C'est une occasion inespérée, pensent les observateurs, qui a été dilapidée par le Pouvoir d'asseoir encore un peu plus le processus d'ouverture, sachant qu'en-dehors des islamistes qui n'ont plus d'ancrage réel dans la population, les solutions d'une transition démocratique sont bien présentes dans notre société. Le dosage qui a été effectué avec la distribution des sièges n'est pas une pratique qui peut inspirer la confiance, encore moins l'optimisme malgré les quitus de circonstance distribués par les missions d'observation internationales dont seul le critère de stabilité dans la région compte. Mais qui peut assurer qu'avec des manipulations aussi flagrantes cette stabilité serait garantie ? Au demeurant, l'élément central de ces résultats est que la mouvance islamiste (ou intégriste) a confirmé sa perte de vitesse auprès de l'opinion nationale. Le grand perdant dans l'affaire aura été sans conteste le leader du MSP qui a cru que la vague verte était déjà une réalité en Algérie. S'il a cédé naïvement aux injonctions de Ghannouchi qui l'a conseillé pour la circonstance, il a, en revanche, lui le produit du système, totalement mésestimé les coups de boutoir du FLN. Mais à force de vouloir avoir deux fers au feu, on finit par se brûler…