Autour du cinquantenaire, une expérience de création bientôt visible au CCA de Paris. -Quelle est la genèse de cette exposition qui a pour objet l'indépendance de l'Algérie ? C. Pastor Ce projet fait suite aux expositions organisées dans le XXe arrondissement de Paris autour du cinquantenaire de la Commune de Paris, au printemps 2011. Et comme, en 2012, l'Algérie s'apprête à célébrer le cinquantenaire de son indépendance, j'ai eu l'idée de consacrer une exposition collective à cet événement historique. J'ai conçu le projet avec l'aide de Mireille Weinland. Puis, nous l'avons proposé à d'autres artistes, algériens et français, d'horizons divers, dans le but d'expérimenter sur une même toile l'enrichissement de deux cultures. C'est à la mi-octobre 2011 que ce projet est devenu collectif. A la fin novembre, un appel à écriture a été lancé afin que les artistes s'inspirent des textes pour créer des œuvres spécifiques. Cette exposition repose sur l'interaction de l'écriture et de l'Histoire. Elle s'inscrit dans le cadre d'une dynamique collective et favorise la création en duo et à partir de textes d'auteurs reconnus et de témoignages. -Quelles sont les raisons qui ont présidé au choix de cette thématique ? Z. Boudjema : parler artistiquement de l'Algérie m'a sensibilisé naturellement. L'idée de l'indépendance est très belle et noble, car elle a permis au peuple algérien de se libérer du joug colonial. Cependant, c'est une période que nous ne connaissons pas très bien et qui suscite bien des interrogations. Ma participation à cette exposition poursuit deux objectifs. D'une part, célébrer l'indépendance de mon pays. Et d'autre part, la questionner car l'Algérie post-indépendante se cherche encore. C. P. Toute la construction de ce projet part de l'Algérie. Je suis habitée par cette histoire. Et l'occasion m'était donnée d'organiser une exposition sur l'indépendance de ce pays. Je souhaitais me positionner artistiquement. L'indépendance est, de mon point de vue, un état naturel. Cette exposition est une prise de position contre le colonialisme. -Quel sens symbolique donnez-vous au terme «interactivité» ? Z. B. La notion d'interactivité évoque l'échange, le partage et la complémentarité, qui sont l'essence même de notre projet. Ce terme présente un double intérêt. Si on accepte de partager un espace avec l'autre, c'est déjà une performance, car il y a une culture de tolérance qui doit s'imposer. Accepter l'autre, c'est être en harmonie avec cette personne. Le second aspect a un lien avec mon histoire personnelle. Lorsque Christine m'a parlé de ses parents qui ont vécu en Algérie, cela m'a rappelé les histoires de partage avec nos voisins pieds-noirs que mes parents m'ont racontées. Ils s'échangeaient des plats, des gâteaux... Ils partageaient une histoire humaine. Ce travail en interactivité est quelque part un défi. C'est une forme de performance, car en réalisant le projet, on essaye de se connaître. Mais travailler collectivement est très complexe car il faut ménager les égos et les sensibilités. -L'un des axes de l'exposition concerne la création en duo à partir de textes. En quoi consiste cette démarche ? Comment s'est elle déroulée ? C. P. Le premier duo a été réalisé avec Zouhir. Au début, chacun peignait sur sa toile pour ensuite la céder à l'autre. Cette démarche s'est avérée particulièrement difficile à réaliser. C'est pourquoi nous avons modifié notre approche pour peindre chacun à notre tour sur la même toile. Il y avait des moments de silence, car nous avions besoin de concentration. Le travail en duo aiguise notre regard et oblige à l'écoute de l'autre. C'est une expérience qui a modifié en profondeur mon acte de créer. L'échange était très intéressant. Z. B On travaillait et on se posait des questions. C'était très complexe, car il n'y a pas plus intimiste qu'un peintre face à sa toile. Travailler à deux sur la même toile, c'est un peu comme si on intègrait dans son intimité une autre émotion pour partager le geste, la couleur... C'est comme si on peignait avec quatre mains au lieu de deux. C'est une gymnastique un peu kafkaïenne. D'ailleurs, au début, je me posais des questions sur la faisabilité et l'utilité de ce travail en duo. Quand on peignait ensemble, Christine parlait en même temps. C'était un peu perturbant, mais cette attitude m'a permis de mieux la connaître. Avec Mireille, c'était complètement différent. Elle peint en silence et, des fois, je me demandais si elle était présente. -Comment ce travail en duo fait-il écho au thème de l'indépendance de l'Algérie ? C. P. Le groupe d'artistes impliqué dans ce projet à vocation artistique est motivé par l'histoire. En tant qu'enfant de pieds-noirs, née en Algérie, je suis très en colère contre la colonisation et les membres de ma famille et leur manque de philosophie éthique à l'égard de l'autre. Ce qui est grotesque, c'est que les autorités coloniales ont fait venir des Espagnols, des Italiens… en leur disant que l'Algérie était leur pays. En travaillant avec des Algériens, j'ai pris conscience qu'ils sont en colère contre leurs dirigeants, car l'indépendance n'a pas toujours donné les résultats escomptés. Z. B. Ma colère est double. Je suis né à l'indépendance. Je me pose des questions sur cette France dont je porte un héritage culturel, car, très tôt, je me suis exprimé en langue française et me suis imprégné de cette culture. Cependant, je me demande pourquoi la France refuse de reconnaître ses crimes de guerre en Algérie coloniale. Je suis également en colère contre l'Algérie, car au moment de l'indépendance, il y a eu un tas d'événements dont on ne connaît ni les tenants ni les aboutissants. La France et l'Algérie ont en quelque sorte abandonné le peuple algérien. -Comment cette démarche de duo s'inscrit-elle dans l'esprit de partage et d'acceptation de l'autre que vous prônez ? Z. B. L'acte de peindre est synonyme de paix, de partage et d'humanité. Chaque artiste porte en lui cette humanité. Quand on est avec l'autre, quel que soit son origine ou ses appartenances, l'essentiel est le partage des émotions. L'art facilite la communication et le dialogue. C'est le moyen par lequel on peut appréhender l'Histoire de manière pacifique. L'art encourage l'esprit d'ouverture et l'acceptation de l'autre. La forme artistique est subjective. Elle ne pose pas les questions de manière directe. La peinture s'appréhende principalement par les couleurs et les émotions. C. P. Lorsqu'on a commencé à peindre en duo, nous n'avions pas d'idée préconçue du résultat. Ce qui était important, c'était de vivre l'expérience émotionnellement. La création en duo est différente selon les personnes. Avec Zouhir, comme j'étais l'ancienne «colonisatrice», j'ai accueilli ce qu'il demandait sans mettre de limites. En peignant avec d'autres personnes, des Français notamment, j'ai pris conscience que j'avais également mes propres limites. Lorsque j'ai travaillé sur le collage avec Abdelkader, j'étais en grande difficulté, car il fallait que je peigne à partir de personnages et de textes qu'il collait sur la toile. Au début, il a été difficile d'allier collage et peinture abstraite. -Quels sont les objectifs que vous poursuivez à travers cette manifestation ? C. P. Notre objectif principal est de nous retrouver collectivement au cœur d'un espace commun pour rendre hommage à la fin d'une guerre. Le cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie est, de mon point de vue, le moment opportun pour organiser un événement artistique qui célèbre l'Algérie et la fin du colonialisme. Nous aspirons à être entendus par la France et par l'Algérie. Notre souhait est que cette exposition continue à être vue en France et qu'elle soit accueillie en Algérie. Parallèlement à l'exposition, deux vidéastes ont réalisé une vidéo qui sera en quelque sorte la mémoire de notre action en faveur de l'indépendance de l'Algérie. Notre démarche est innovatrice.