Le chômage continue d'être le fléau numéro un de la société algérienne, et ce, depuis le milieu des années quatre-vingt. Il y a bien d'autres angoisses qui hantent nos citoyens : le logement, l'éducation, la santé, le transport, la vie chère et le reste. Mais l'inquiétude sociétale fondamentale demeure liée au chômage. Nul autre phénomène ne provoque une plus grande détresse que celle liée à l'exclusion du marché de l'emploi. Le chômeur se sent inutile, trahi, dépossédé de ses rêves et spolié de son espoir. Les refuges sont épouvantables pour lui et la société. Les plus grands maux sociaux – vols, drogues, crimes, suicides - lui sont directement ou indirectement imputés. Seul un chômeur peut comprendre ce qu'endurent ses semblables. Les souffrances de cette large frange de la société doit nous faire prendre conscience de l'urgence de mettre en place un plan de grande envergure, en vue de circonscrire ce désastre économique, social et humanitaire. La résorption du chômage est possible, mais complexe, car nous avons un phénomène multidimensionnel. Le système éducatif est le premier à être interpellé. L'adéquation formation-emploi et la qualité des sortants sont souvent indiquées comme coupables des conséquences qui en découlent, dont le chômage. La culture ambiante y est pour beaucoup : les universitaires refusent des emplois manuels, parfois bien rémunérés. Il y a beaucoup à faire dans ces directions. Ceci résulte de la manière dont nous avons géré le phénomène. Plus que tout autre pays dans le monde, nous avons beaucoup trop responsabilisé l'Etat et déchargé les concernés de toute notion de compter un peu plus sur soi. L'échec est vite imputé totalement et inconditionnellement aux pouvoirs publics. Ce qui est en partie vrai. Nous allons voir la dimension la plus importante du chômage : les aspects économiques qui l'expliquent et qui sont responsables de son enracinement. Une bizarrerie bancaire On peut lire les statistiques du chômage et crier victoire. Les données officielles sont presque euphoriques. En 1999, le taux de chômage se situait entre 27 et 30%. En 2011, le chiffre de 9,8% fut brandi par les pouvoirs publics. Il ne fait aucun doute que le chiffre de 9,8% est grossièrement exagéré. On ne peut pas gérer un phénomène que l'on ne mesure pas avec une approximation suffisante. Il suffit de sonder, même d'une manière non officielle, des familles algériennes moyennes pour se rendre compte que le chiffre de 9,8% est éloigné de la réalité. Le chômage demeure la malédiction de l'ensemble des citoyens. Il est devenu presque aussi difficile d'obtenir un emploi qu'un logement social. D'ailleurs, les sollicitations pour «intervention» en vue d'obtention d'un emploi sont beaucoup plus nombreuses que pour les habitations. Tous les indicateurs pointent vers la même préoccupation. L'inactivité est le fléau national numéro un de notre pays. Nous avons déjà mentionné que le phénomène est multidimensionnel, mais l'aspect économique est primordial. La première cause évidente est l'insuffisance en quantité et en qualité de l'appareil productif. Nous avons à peu près 640 000 PME-PMI, tous secteurs confondus. Au vu de plusieurs paramètres dont la taille de notre économie et le niveau de notre population, nous devrions avoir au moins 1 600 000 PME-PMI pour espérer régler le problème. Les importations de plus de 50 milliards de dollars s'expliquent en partie par la faiblesse de l'économie productive. On importe trop, on produit peu et le secteur des hydrocarbures (45% de la production nationale) emploie moins de 300.000 personnes. L'affectation des ressources est très mal conçue. Le secteur public économique emploie à peu près 480.000 personnes depuis la fin des années quatre-vingt. Malgré les énormes ressources dont il a bénéficié (juste pour fonctionner pas pour investir) il n'est point créateur de richesses. Les quelques entreprises publiques efficientes qui pouvaient investir et créer de l'emploi n'ont pas été autorisées à le faire. Mais la vaste majorité des entités déstructurées incapables de créer des emplois et de rembourser toute sorte de prêts a bénéficié d'énormes ressources qu'elle a dilapidées. Nous avons une politique de l'investissement qui détruit des emplois au lieu d'en créer. Par ailleurs, les banques qui monopolisent 90% des dépôts orientent leurs énergies à faire fonctionner surtout les importations et les grosses entreprises publiques déstructurées qui ne rembourseront jamais. Un secteur bancaire demeure public pour financer des activités stratégiques. Si la PME/PMI est stratégique, alors le secteur bancaire doit lui allouer 80% de ses crédits. Mais le secteur bancaire public national dépense beaucoup de temps et d'énergie pour faire aider l'importation de produits finis. L'importation est-elle stratégique pour lui consacrer tant de structures bancaires ? Et l'importation en l'état tue l'emploi en Algérie avec l'aide de ses propres banques. Nous avons là une victime que l'on pend avec sa propre corde. Des choix malheureux Nous payons aujourd'hui les conséquences des choix économiques malheureux faits depuis 1962. Mais le dernier virage raté date de 1999. Nous avons choisi une voie de sortie de crise par un surdosage d'infrastructures. Ce qui ne peut qu'aboutir au résultat qui est le nôtre : des restes à réaliser, des surcoûts, et un secteur productif insuffisant en nombre et en qualité. Les pays émergents ont choisi d'autres priorités : les qualifications humaines, la modernisation managériale et le financement de l'économie productive. Nos choix ont été tout à fait l'inverse des pays qui ont réussi (Chine, Pologne, Brésil, etc.). Nous avions besoin d'injecter 100 milliards de dollars pour moderniser des infrastructures, mais pas 500. 65% des emplois créés sont précaires. La qualité des ressources humaines demeure insuffisante, le management de nos entreprises et administrations archaïque et l'investissement dans l'économie productive demeure insuffisant. Dans ces conditions-là, il est impossible d'arriver à un taux de chômage acceptable (moins de 5%). Nous avons mentionné à plusieurs reprises comment opérer des mutations en vue d'améliorer les qualifications humaines et les pratiques managériales. Nous allons consacrer quelques lignes aux réformes financières indispensables à une prise en charge sérieuse de l'emploi. Au début des années quatre-vingt, les banques publiques avaient reçu des directives pour financer au moins à hauteur de 10% la construction de logements. La décision est judicieuse. Plusieurs banques avaient commencé à consacrer plus de ressources à ce secteur créateur d'emplois. Dans le futur, nous aurons besoin d'orienter 80% des crédits au secteur de la PME/PMI et aux grandes entreprises privées et publiques qui ont une bonne santé financière et des plans de développement ambitieux et rigoureux. On privilégie les activités d'exportation et de substitution à l'importation. Il faut se fixer comme objectif de ramener les importations à 20 milliards de dollars en dix ans. Pour cela, il est nécessaire de transformer 80% de ces nos institutions financières en banques d'investissement. Nous avons des experts nationaux capables de réaliser l'ingénierie financière nécessaire pour opérer ces mutations bancaires. Les fonds propres des banques seront renforcés en plus d'émettre des obligations à très long terme pour reconfigurer la structure des bilans. En termes plus simples, nous aurons un secteur bancaire public constitué surtout de banques d'investissement qui créent de la richesse, des emplois et réduisent les importations. Le reste des activités sera légué aux banques privées et internationales. Nous disposerons d'un secteur bancaire stratégique qui financera les activités stratégiques. Mais la reconfiguration bancaire ne suffit pas. Il faut doter le pays des institutions indispensables au développement des entreprises (incubateurs, pépinières, culture de l'entrepreneur hip, administration experte). Lorsque les politiques économiques seront centrées sur les préoccupations des entreprises, nous ne manquerons pas d'avoir des résultats sur la création de richesse et d'emploi. De nombreuses autres facettes du problème demeurent. Nous avons évoqué seulement l'aspect lié au financement sans prétendre l'avoir totalement épuisé. Mais nous avons formulé une proposition incontournable : transformer nos banques commerciales en banques d'investissement. Sans cela, nous allons continuer à financer l'importation et les mauvaises entreprises.