Dans cet entretien, le ministre de la Petite et Moyenne entreprise et de l'Artisanat parle de l'évolution de ce secteur en Algérie depuis près de dix ans et évoque certaines difficultés qui empêchent la PME-PMI de jouer un rôle prépondérant dans le développement du pays. Mustapha Benbada souligne toutefois que l'augmentation des PME a permis de créer des centaines de milliers d'emplois à travers le pays. Liberté : On considère les PME-PMI comme des championnes, des niches à travers le monde entier du fait qu'elles sont les véritables motrices de l'économie nationale et également créatrices d'emplois. Qu'en est-il en Algérie ? Mustapha Benbada : D'une manière générale, les PME-PMI algériennes vont bien. Elles s'organisent de mieux en mieux puisqu'on sort d'une situation vraiment dramatique. Une situation de transition qui a mis un secteur public organisé autour des grandes entreprises publiques, mais avec des PME publiques qui servaient comme accompagnement à ce secteur public. Les PME privées évoluaient en marge de cette dynamique économique publique. Mais à la faveur des grandes réformes qu'a entamées le pays à la fin des années 1980, la PME commence à s'imposer comme alternative réelle de développement. Puisque aussi, les entreprises publiques commencent à perdre du terrain, elles sont de plus en plus concurrencées par les PME étrangères à travers le flux de marchandises qui se déversent dans notre pays. Faire appel à une force de production nationale était plus que nécessaire. Et la libéralisation de l'initiative privée était nécessaire pour équilibrer les choses. Peut-on avoir des données sur le nombre de PME créées en Algérie ? Le nombre évolue chaque année. Depuis 1999, le secteur a augmenté en termes d'effectif. Il a pratiquement doublé. On est donc passé de 130 000 PME-PMI en 1999 à 293 000 PME-PMI à la fin de 2007. Comment avez-vous obtenu ces chiffres ? C'est simple. Le nombre de PME-PMI a évolué de 100%, c'est-à-dire il a doublé. Sachant que les PME-PMI ont une caractéristique qui leur est propre, à savoir qu'elles connaissent un taux de fermeture très élevé lorsqu'elles ne bénéficient pas de mesures d'accompagnement, est-il exact de prendre en considération ces chiffres ? On essaie de développer des mesures d'accompagnement pour augmenter leur viabilité. Mais les chiffres que je vous ai présentés sont un solde. On dit aussi qu'il y a plus de PME-PMI qui disparaissent que celles qui sont créées ? Jamais. Il y a plus de création. Quand il s'agit de cas de fermeture, il s'agit d'exceptions. Combien de PME-PMI existe-t-il en Algérie en 2008 ? Fin 2007, nous avons 293 646 PME privées et 739 PME publiques. En Algérie, on n'a pas tranché en matière de définition statistique de la PME. Sur le plan du contenu, cela diffère d'un pays à un autre. Pour quelles raisons ? Le secteur est nouveau, on commence actuellement à s'organiser. Mais d'autres pays ont des dizaines d'années d'expérience en matière de statistiques économiques. Nous venons de prendre une loi algérienne qui date de 2001 qui définit les PME en fonction du nombre d'employeurs et du chiffre d'affaires, mais nous n'avons pas d'indication sur la nature de l'activité. Il y a des activités qui sont sujettes au registre du commerce, d'autres à la carte de l'agriculture. Les activités libérales, quant à elles, (avocats, médecins, notaires) sont enregistrées dans l'ordre. C'est dispersé et ça n'apparaît pas au niveau des structures chargées des statistiques. Alors que dans d'autres pays, nous ne sommes pas devant ce cas de figure. À ce sujet, nous sommes en train de régler les choses en matière de statistiques car la loi doit définir qu'une entité doit recruter tant d'employés quel que soit son statut juridique. Il s'agit donc d'un problème de lois à travers lesquelles il faut clarifier via la loi ce qui est une PME-PMI en Algérie ? Nous avons tenu en janvier dernier un séminaire international sur les PME. Le bureau d'études international qui a chapeauté cette rencontre a abouti aux conclusions selon lesquelles le secteur de la PME-PMI en Algérie est jeune et les activités des PME-PMI sont faibles. Les travaux publics et les services se taillent la part du lion dans les activités des PME-PMI. Les PME-PMI sont considérées comme créatrices d'emplois. Qu'en est-il en Algérie ? Des centaines de PME-PMI ont offert des centaines d'emplois à travers l'ensemble du territoire national. Des chiffres ? On a environ 1 355 000 emplois créés. Mais sur le plan du ratio, on est loin du ratio international. Nous avons en plus le problème de la déclaration des travailleurs. Les PME-PMI désignent des entreprises de taille modeste en référence à leur nombre de salariés. Comment faites-vous pour classer les PME-PMI à l'épreuve de ce problème de déclaration des employés ? On n'a pas le choix. On prend les statistiques disponibles au niveau de la Cnas, de la Casnos et des services de registre du commerce. Vous travaillez donc avec des chiffres erronés ? L'aspect social de l'entreprise intéresse le ministère du Travail qui doit s'organiser davantage. Peut-on avoir une véritable cartographie des PME-PMI en Algérie ? Oui, car nous maîtrisons les sources d'enregistrement. On est en train de travailler sur une cartographie sur le système sig. Nous avons deux problèmes, l'un lié au problème de la déclaration et l'autre aux capacités de production. Les capacités de production des entreprises ? C'est-à-dire les quantités de produits fabriqués par les entreprises, surtout dans les industries manufacturières. Il est, par exemple, difficile de connaître les quantités de production dans une briqueterie. Quelle est l'origine de cette difficulté ? Parce que nous n'avons pas les capacités de contrôle, mais aussi parce que les patrons ne déclarent pas avec exactitude leurs quantités produites. Il faut savoir que les patrons minorent leurs quantités de production pour ne pas verser beaucoup d'impôt. Les gens trichent sur les quantités produites et ça nous fausse les choses. Qu'est-ce qui vous empêche de contrôler la production des entreprises ? On n'a pas l'expérience pour le faire. L'industrie algérienne a de tout temps fonctionné d'une certaine manière où l'administration était publique et les entreprises transmettaient de manière administrative leur chiffre d'affaires. Et c'était transparent. Maintenant, le privé a tendance à tricher. Il ne déclare pas tout ce qu'il a produit. Quant on envoie une fiche de renseignement statistique, on n'a pas dans la majorité des cas des statistiques réelles sur le volet production. Car ce dernier renseigne sur le chiffre d'affaires qui le renseigne sur les impôts à payer. Mais pourquoi ne contrôlez-vous pas la production de ces entreprises ? Ce n'est pas au secteur des PME-PMI de le faire. C'est au secteur des impôts et du commerce de le faire. Ces secteurs doivent s'organiser en conséquence pour inciter les gens à déclarer réellement leur production et à payer. Mais il faut savoir que ces gens posent parfois des problèmes objectifs. Ils me disent, “Monsieur le Ministre, si je payais correctement mes impôts, je ne deviendrais plus compétitif”. On reçoit des produits de l'étranger qui nous faussent le jeu de la compétition légale, on essaie donc de tricher pour se maintenir. Donc, avant de demander des comptes à ces gens-là, je préfère jouer mon rôle en tant qu'Etat régulateur. Et c'est ce que je suis en train de demander tous les jours au gouvernement et à mes collègues en son sein. Les douanes aussi doivent se doter de moyens de régulation et de contrôle. Les services du commerce doivent également être organisés. Les services des finances à travers un réseau de contrôle des services des impôts et des importateurs sont plus que nécessaires. Il faut que l'Etat organise mieux le marché et prépare comme il se doit l'environnement économique pour que nos entreprises puissent jouer un jeu sain et correct. Il n'est pas possible de le faire actuellement. Il y a en l'occurrence trop de tricheurs, notamment dans le commerce international. Notre marché est inondé de marchandises en tous genres qui, souvent, ne répondent pas aux normes mondiales et qui nuisent à l'économie nationale car ils mettent en difficulté l'outil de production national. C'est une moins-value pour le Trésor public et parfois ça représente un danger pour le consommateur. Que faut-il faire face à cette situation ? Il faut se doter d'instruments de régulation. Je vous cite l'exemple de la France qui, pour la chaussure, s'est dotée du centre technique de la chaussure. Ce centre contrôle la qualité des chaussures mais développe aussi des techniques de fabrication des chaussures en faisant des enquêtes auprès des consommateurs. Qu'est-ce qui empêche l'Algérie de se doter de cet instrument ? Rien. Il faut des initiatives. J'ai essayé de le faire depuis 2003, on m'a dit que ce n'est pas de mes prérogatives. Les industries manufacturières, c'est le ministère de l'Industrie. On peut créer tout de suite une dizaine de centres techniques de filières pour l'agroalimentaire. Il s'agit des premières limites de défense. Car ça nous protège en tant que consommateurs et ça protège l'économie nationale. Il faut savoir à ce sujet que les lignes de défense classiques, comme les droits de douane et les lignes tarifaires, sont interdites du fait de l'UE et de l'OMC. Dans le cas de PME-PMI créées dans le cadre d'un dispositif de soutien aux jeunes, y a-t-il un contrôle sur le fait que l'argent ait été ou non utilisé à bon escient ? On ne le fait pas au niveau du ministère car on n'a pas l'instrument de création d'entreprise à notre niveau. C'est bizarre et anormal, mais c'est comme ça. Que manque-t-il aux PME-PMI algériennes pour qu'elles soient au moins au niveau de performance de nos voisins marocains et tunisiens ? Il nous manque beaucoup de choses : il faut notamment un marché plus organisé et plus sain, un système financier plus performant, il faut que les banques soient plus coopératives et réceptives avec les entreprises, un transfert de technologie plus intensifié. On a également besoin d'une grande dynamique à l'export. N. M.