On peut arguer qu'à l'opposé de la France, l'Allemagne, dont 29% de la production électrique est d'origine nucléaire, a décidé de démanteler ses 18 réacteurs d'ici à 2021, aux termes de la loi d'abandon progressif du nucléaire adoptée en 2000, à l'incitation des Verts, alliés du PSU dans le gouvernement Schröder. Ce faisant, elle mise essentiellement sur le gaz dont le principal fournisseur à l'Europe reste la Russie avec environ 45% des importations totales (Norvège = 29% et Moyen-Orient = 26%). Le débat sur l'importance de l'électronucléaire a repris depuis l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement de coalition CDU/PDU. Les partisans de l'électronucléaire ont tiré argument de la récente crise gazière entre la Russie et l'Ukraine. La Grande-Bretagne dispose d'un parc nucléaire vieillissant avec 27 réacteurs et une usine de retraitement des déchets (la seule en Europe avec celle de la Hague, en France). Sa production nationale d'électricité est tirée à 22% du nucléaire. Elle est confrontée à l'épuisement de ses gisements d'hydrocarbures et doit faire rapidement des choix pour garantir ses approvisionnements en énergie dans un futur proche. Un rapport gouvernemental de 2002 donne la priorité au gaz, mais laisse ouverte l'option nucléaire. Au niveau de l'Union européenne, la crise gazière entre la Russie et l'Ukraine et l'envolée des prix du pétrole ont servi la cause des partisans du nucléaire, un sujet toujours controversé sur le vieux continent. Les 25 ont pris conscience de la nécessité de sécuriser leurs approvisionnements (1). Un dialogue de sourds Paris a présenté un mémorandum au Conseil des ministres des Finances de l'Union européenne du mardi 24 janvier 2006 demandant de « prendre en compte la contribution de l'énergie nucléaire à la sécurité de l'approvisionnement, et la contribution de celle-ci à la lutte contre le réchauffement climatique ». Il serait long de passer en détail les débats qui se déroulent actuellement au niveau de l'Union européenne. Il suffit de dire que le président de la Commission vient de déclarer qu' « aucune option ne doit être exclue, pas même le nucléaire » et que la tendance générale penche en faveur du nucléaire, malgré l'opposition des écologistes. Y compris en Allemagne où seule la présence de l'allié socialiste au gouvernement d'Angéla Merkel permet la poursuite de la politique de démantèlement du parc nucléaire. Les Etats-Unis tirent 20% de leur production électrique du nucléaire. Depuis les années 1970 aucune commande de réacteur n'a été enregistrée, mais, l'été dernier, l'Administration Bush a promulgué une loi assez incitative pour encourager la construction de nouvelles centrales d'ici à la fin de la décennie. L'avenir énergétique du pays a été au centre du discours présidentiel sur l'état de la nation, à la fin du mois de janvier dernier. Au niveau international (2), il y a lieu de signaler le projet expérimental ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) qui promet de fournir dans quelques décennies une énergie abondante, respectueuse de l'environnement et pas chère. Les participants à ce projet sont l'Europe, à travers Euratom, la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée, la Russie et les Etats-Unis. En 2005, Caradache, près d'Aix-en-Provence (France), a été choisie comme site pour la construction du réacteur. La Conférence ministérielle internationale qui s'est tenue les 21 et 22 mars 2005, à Paris, sous le thème « L'énergie nouvelle pour le XXIe siècle », a planché sur « les politiques publiques futures eu égard à l'énergie nucléaire ». La majorité des participants a affirmé que, « sous certaines conditions, dont la prévention de la prolifération nucléaire, l'énergie nucléaire peut apporter une contribution majeure à la satisfaction des besoins énergétiques et au développement mondial au XXIe siècle ». Donc, au niveau national aussi bien qu'international (2), l'électronucléaire s'impose de plus en plus comme l'alternative la plus crédible pour pallier l'épuisement des combustibles fissiles. Les pays qui ont décidé de se faire les champions de la lutte contre la prolifération - ils sont les plus nucléarisés au monde - tentent de contrôler l'accès aux technologies et au savoir-faire. Ce que rejettent les PVD qui invoquent leur droit à l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire, conformément aux dispositions du TNP. Un dialogue de sourds s'est instauré, illustré par le bras de fer en cours entre les pays occidentaux et l'Iran. Qu'en est-il ? La question du nucléaire revêt au moins deux aspects 1 Un aspect sécuritaire qui tient aux garanties de sécurité auxquelles ont droit les pays non nucléaires et que les P5 refusent de leur accorder. Tant que les arsenaux nucléaires ne seront pas démantelés (ce qui n'est pas pour demain), ces garanties continueront à être réclamées et les Etats qui se sentiront menacés (ceux de « l'axe du mal », par exemple, mais pas seulement) éprouveront le besoin irrépressible d'assurer leur sécurité et saisiront toute occasion qui se présentera pour s'en donner les moyens. Les pays nucléaires devraient commencer par faire un premier pas comme mesure de confiance : accepter d'ouvrir le dossier du désarmement nucléaire dans le seul organe de négociation multilatéral en la matière, la Conférence du désarmement de Genève dont les travaux sont gelés depuis 1996. Cela dégagerait la voie à la négociation d'un Traité sur les matières fissiles qui prendrait en charge les stocks existants pour être un véritable instrument de désarmement et pas seulement de non-prolifération. 2 Un aspect économique qui est aussi fondamentalement sécuritaire. En effet, l'énergie est essentielle pour la vie de tous les jours et conditionne le développement économique et le progrès social. L'objectif de tout pays est donc d'assurer sa sécurité d'approvisionnement au meilleur coût (compétitivité économique). Les projections de l'AIEA donnent une augmentation de 60% de la demande mondiale d'énergie entre 2002 et 2030. Or, les combustibles fossiles s'épuisent et tout indique que le monde est entré dans l'ère de l'après-pétrole. Les énergies renouvelables ne représentent pas un substitut fiable aux hydrocarbures. Leur part dans le bouquet énergétique mondial sera de 14% en 2030, soit le même pourcentage qu'aujourd'hui, si l'effort d'investissement est maintenu. L'option nucléaire (fission) apparaît comme l'alternative, en attendant l'aboutissement du projet ITER (fusion) dont les perspectives se situent à long terme. L'utilisation de l'énergie nucléaire offre plusieurs avantages 1 Elle est à même de ralentir et probablement d'enrayer le réchauffement de la terre qui est devenu une préoccupation sérieuse en raison de la dégradation rapide de la couche d'ozone, d'autant plus que les objectifs fixés par le Protocole de Kyoto ne sont pas suffisants. Ce n'est pas le lieu de revenir sur les conséquences de ce phénomène, principalement pour les PVD. Il suffit de dire qu'elles seront d'une extrême gravité. 2 Il est aujourd'hui largement admis que parmi les filières de production d'électricité, le pétrole, le gaz, le charbon, la biomasse, l'éolien, le solaire, le géothermique, l'hydroélectricité, le nucléaire, seuls les deux dernières remplissent les conditions d'un développement énergétique durable : une énergie accessible, disponible et acceptable (respect de l'environnement). Et parmi les sources d'énergie renouvelables, l'électronucléaire reste l'option la plus viable dans la mesure où il s'agit de disposer d'une énergie abondante, sûre et à moindre coût (compétitivité économique). C'est surtout ce deuxième avantage qui interpelle les PVD. La population mondiale a atteint 6 milliards en 1999 et approchera les 9 milliards au milieu de ce siècle. Ce sont les PVD qui connaîtront l'accroissement le plus significatif couplé à une urbanisation accélérée. La croissance de la demande d'énergie se fera sentir surtout dans ces pays qui comptent déjà aujourd'hui 1,5 milliard d'êtres humains vivant sans électricité, donc en marge de tout progrès économique et social. Sans une énergie abondante et à un prix abordable, les pays pauvres s'enfonceront davantage dans la pauvreté durant les deux prochaines décennies et tous les objectifs fixés par la communauté internationale en matière de lutte contre la faim et la pauvreté ne seront pas réalisés. Il y a là un problème économique et social qui risque de devenir une question de sécurité internationale. Il est donc impérieux de concilier les impératifs de non-prolifération et l'accès des PVD qui en ont les moyens aux technologies nucléaires et au savoir-faire pour maîtriser la filière de l'électronucléaire et assurer leur indépendance énergétique. Aucune solution sérieuse ne se profile à l'horizon tant le débat déchaîne les passions. Un débat qui cache mal les enjeux, puisque la maîtrise de l'énergie nucléaire (à des fins civiles) déterminera dans un avenir pas éloigné le rapport de force entre les nations dont la vie est une éternelle course à la puissance. L'administration Bush a bien proposé un Partenariat mondial sur l'énergie nucléaire (Global Nuclear Energy Partnership) dont l'idée centrale est de réserver l'enrichissement à un groupe restreint de puissances nucléaires qui fourniraient le combustible aux autres pays et se chargeraient du retraitement des déchets. En contrepartie, les bénéficiaires s'engageraient à renoncer aux activités d'enrichissement. Les pays sollicités par les Etats-Unis pour faire partie du nouveau club sont, outre les membres du P5, le Japon, qui a montré son intérêt, l'Inde et la Turquie. Qu'en est-il des autres pays en mesure d'apporter leur contribution ? Conditions essentielles du développement humain Le choix des éventuels adhérents du club ne devrait pas être fait arbitrairement en raison de l'énormité des enjeux. Par ailleurs, un tel partenariat poserait la question de l'avenir du TNP qui deviendrait obsolète. Si, comme le proclame le Communiqué final qui a sanctionné la Conférence ministérielle sur l'énergie nucléaire de Paris, en mars 2005, « la disponibilité de l'énergie et l'accès à cette dernière sont des conditions essentielles du développement humain », on peut penser que l'acharnement des Occidentaux à priver les PVD qui en ont les moyens de leur droit légitime de maîtriser le cycle du combustible nucléaire pour développer l'électronucléaire vise à les placer, dans un avenir très proche, dans une situation de dépendance énergétique insoutenable. En effet, il leur est proposé de renoncer à l'enrichissement, qui est un droit légitime, en échange d'un approvisionnement en combustible pour alimenter leurs centrales. Pourquoi un pays qui peut produire son combustible doit-il se résigner à dépendre d'un autre dans un domaine aussi stratégique que celui de l'énergie ? Quelles garanties seraient offertes pour un approvisionnement continu ? Et à quel prix ? Des solutions consensuelles doivent être trouvées. Or jusqu'à présent, c'est la politique de force qui semble prévaloir. Ce n'est pas une solution dans la mesure où il est question de la destinée des nations. Notes : 1) D'après les estimations de la Commission énergétique, le bouquet énergétique de l'UE se présentait comme suit en 2005 : pétrole = 37%, charbon = 15%, gaz = 26%, nucléaire = 15%, renouvelable = 7%. Projections pour 2030 : pétrole = 35%, charbon = 15%, gaz = 32%, nucléaire = 9%, renouvelable = 9%. Ces projections subiront certainement des changements en faveur du nucléaire. 2) Le nucléaire représente 16% de la production mondiale d'électricité qui est inégalement répartie comme en attestent les productions de certains pays : France 80%, Lituanie 80%, Slovaquie 65%, Bulgarie 47%, Suède 45,5%, Slovénie 40,5%, Suisse 39,5%, Hongrie 36%, Finlande 30%, Allemagne 29%, Pays du Benelux 26%, Espagne 26%, Tchéquie 24,5%, Grande Bretagne 22%, Etats-Unis 20% - contre Inde 2,5% et Chine 2%.