UE-27 : Les pays de l'UE font face au nucléaire en rangs dispersés, malgré son élargissement à 27 membres, dont 15 sont dotés de centrales nucléaires. Il faut souligner que les projections sur les centrales nucléaires ne sont pas seulement soumises à la conjoncture économique, mais aussi aux aléas politiques. C'est ainsi que les gouvernements initialement libéraux en Belgique, Allemagne et Suède ont défini, avec des éléments de flexibilité, des échéanciers pour la sortie du nucléaire, ce qui s'est fait avec beaucoup de tergiversations, en tenant compte de l'avis mitigé des professionnels. Et, ce qui peut sembler paradoxal, c'est que ces choix ne sont pas figés et peuvent être remis en cause demain par d'éventuels nouveaux gouvernements. D'ailleurs, en Allemagne, le lobby de l'atome n'a pas encore perdu tout espoir, même si les immenses progrès des énergies renouvelables (éolienne et solaire) éloignent de plus en plus l'illusion nucléaire dont la fin semble inéluctable. Pourtant, le Livre Vert de la Commission de sécurité d'approvisionnements a fait ressortir, d'une part, l'augmentation de la dépendance vis-à-vis du gaz et du pétrole importés, dépendance qui dépasserait nettement 60% à l'horizon 2025 et, fait nouveau, l'incapacité de ces pays à honorer leurs engagements souscrits vis-à-vis du Protocole de Kyoto, si les réacteurs nucléaires existants n'étaient pas remplacés ou étaient fermés de manière prématurée, d'autre part. D'ailleurs, voulant enfoncer le clou lors du récent débat sur la politique énergétique européenne, la France a explicitement plaidé pour la relance de l'énergie nucléaire en demandant de prendre en considération la contribution de cette filière à la sécurité des approvisionnements de l'Union européenne ainsi qu'à son apport dans la lutte contre les changements climatiques. Cette position réconforte le choix des trois Républiques baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) qui ont lancé l'idée inédite d'un projet de centrale nucléaire commune. Cela dit, les projets français de lancer la construction de leur 1er EPR tête de série en 2007 et leur 2e EPR dès 2011 ne se justifient aucunement par des besoins en électricité, ce pays étant le plus grand exportateur mondial en la matière avec des surcapacités de production de l'ordre de deux décennies. La raison est à rechercher dans le positionnement stratégique et les problèmes aigus que vit l'industrie nucléaire qui n'a rien de consistant à se mettre sous la dent depuis plus de 15 ans et qui a toutes les peines du monde à maintenir à jour son expertise, si ce n'est celle de la maintenance des centrales existantes. Paradoxale est aussi la situation de l'Angleterre qui se retrouve déjà avec un parc nucléaire obsolète et qui, malgré la sortie d'un livre blanc à ce propos, n'a décidé pour le long terme ni le développement ni l'arrêt du nucléaire : c'est le pragmatique « wait and see » british. Il est vrai que dans le cadre de sa politique énergétique, le gouvernement travailliste a remis le nucléaire à l'ordre du jour, alors que les conclusions de la commission parlementaire penchent vers le développement des centrales éoliennes, marémotrices et thermique au gaz. Russie : En ce qui concerne la Russie où le nucléaire est en train de renaître de ses cendres, en autorisant l'entreposage des combustibles irradiés dans d'autres pays ou en pratiquant le « leasing » de combustibles, elle confirme son intention de développer un ambitieux programme de construction de nouveaux réacteurs et cherche, pour ce faire, à se procurer des ressources en conséquence. D'ailleurs, en plus de la centrale nucléaire de 915 MW qu'il est en train d'ériger à Bouchair (Iran) et de celles livrées à la Chine et l'Inde, ce pays construit sur son territoire 5 nouveaux réacteurs totalisant une puissance de 4 525 MW [1], soit la plus grande puissance nucléaire en construction dans le monde. De plus, la Russie vient de lancer la construction de la 1ère centrale nucléaire flottante au monde, un projet futuriste qui pourrait s'avérer avantageux pour maints pays qui voudraient utiliser cette technologie pour…dessaler l'eau de mer. Japon-Corée : L'utilisation de l'énergie nucléaire représente un choix privilégié pour ces pays asiatiques qui ne possèdent pas de ressources énergétiques naturelles sur leur territoire. Le Japon poursuit assidûment son vaste programme nucléaire : aux 55 réacteurs en exploitation, s'ajoutera bientôt un réacteur en cours de construction et 10 tranches supplémentaires sont en projet. Le programme japonais prévoit un accroissement progressif de la part de l'électronucléaire dont la capacité installée devrait atteindre 100 GW en 2030, soit l'actuelle puissance des Etats-Unis. En Corée du Sud, les autorités ont donné une nouvelle impulsion au programme électronucléaire : aux 20 réacteurs en exploitation, dont 4 de construction récente, s'ajouteront 8 nouvelles centrales qui devraient être mises en services d'ici 2015. A terme, la réalisation de ce plan aboutirait à doubler la capacité installée qui serait portée à 26 GW. Marché indo-chinois : A la fin de l'année 2004, la Chine a lancé un appel d'offres pour la construction de 4 réacteurs de 3e génération, remporté par l'américano-japonais Westinghouse (avec son modèle avancé AP-1000) devant le franco-allemand Areva, ce que certains médias ont vicieusement essayé de justifier par des considérations politiques et de transfert de technologie. L'année suivante, la centrale nucléaire de Tianwan est construite par la société russe Atomstroïexport, avec son modèle VVER-1000, alors qu'en 2002-2003 ont été mis en service à Qinshan les deux réacteurs canadiens de type CANDU. Après moult tergiversations et suite à un forcing politico-financier, à la fin de l'année 2007, la Chine s'est finalement décidée à acquérir deux réacteurs chez Areva. Le marché chinois est évalué à plus de 30 réacteurs juste pour l'horizon 2020 et ces acquisitions unitaires tout azimuts montrent tout simplement que la Chine ne veut être le débouché de personne et leurs emplettes des technologies américano-japonaise, russe, canadienne et franco-allemande ne peut que leur servir de support pour un meilleur transfert de technologie. Tout comme elle le fait pour les autres produits, demain, la Chine construirait probablement elle-même ses autres réacteurs ; elle pourrait même mettre sur le marché des centrales nucléaires à prix imbattable. Il est pour le moins incongru de voir certains pays européens dénigrer la Chine, en l'accusant outrageusement de vouloir obtenir coûte que coûte un transfert de technologie, alors que ces mêmes pays ne se sont affranchis des licences américaines que dans les années 1980. Signe des temps et sans une apparente contrepartie, les Etats-unis ont signé, en 2005, un généreux accord sur la coopération nucléaire civile avec l'Inde, au terme duquel ils fourniront de la technologie de pointe à ce pays qui n'a pas signé le traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Cet accord amende même la loi de 1954 sur l'énergie atomique aux Etats-unis et il va sans dire que la soudaine générosité de l'administration Bush n'est pas tellement liée au juteux marché indien, mais découle plutôt d'une triple considération géopolitique. En plus de damer le pion à l'insoumise France de Chirac, cet accord permet de poser une pierre juste à côté du jardin de la Chine, davantage traitée comme un ennemi de demain et dont le fulgurant développement commence à donner de l'insomnie à certains stratèges de la Maison-Blanche. Dernier argument, et non le moindre, cette généreuse collaboration peut aider à fermer le chemin sur le projet de gazoduc indo-pakistano-iranien et les aspirations nucléaires de ce dernier pays. Ne se faisant pas d'illusions sur les véritables raisons de la « générosité » étasunienne pour l'instant et pour des raisons de consensus interne, la démocratie millénaire Inde ne se presse pas de sortir de son non-alignement pour devenir un partenaire stratégique des Etats-Unis. A cette date, l'accord est en « stand-by » côté indien, qui tarde à l'envoyer pour une ratification. Lors de la signature de cet accord où les Etats-unis étaient en concurrence ouverte avec la France, la presse de ce dernier pays a gauchement laissé croire que la France a été devancée, car elle ne voulait pas trop s'engager dans le transfert de technologie avec l'Inde qui n'a pas signé le TNP. Uranium, futur problème ? Ces derniers temps, à l'image des combustibles fossiles, le prix du combustible nucléaire a connu de profonds changements, occasionnés par une sorte de ruée vers l'uranium dont les prix sont passés de 7 $/kg au début de ce nouveau millénaire, à 25 $/kg en 2002 [1] et à plus de 45 $/kg durant l'été 2006. Un pic de 112 $/kg a été observé en mai 2006 [1] et seulement en un an et demi, les prix ont augmenté de 300 % ! La disgrâce de cette ressource, au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl, a duré un peu plus d'une décennie et elle a été bonifiée par l'abondance du minerai rendu disponible, entre autres, par le démantèlement et le retraitement des ogives nucléaires russes. Cette disgrâce donne maintenant l'impression de faire partie du passé car le marché est en effervescence, avec une demande annuelle de 67 000 tonnes, couverte pour plus du tiers par le recours aux réserves accumulées les années 1980. Le marché est dominé par l'Australie et le Canada et ce dernier pays est le 1er producteur mondial d'uranium, dont il possède des réserves estimées à plus de 400 000 tonnes, assurant à lui seul, le tiers de la production mondiale dont il exporte plus de 80%. Mais, c'est l'Australie qui possède les plus grandes réserves mondiales d'uranium. Le Kazakhstan et plusieurs pays africains (Afrique du Sud, Zambie, Niger, Tchad…) possèdent aussi des réserves non négligeables. Néanmoins, il convient de relativiser l'impact réel de l'augmentation du prix de l'uranium car, contrairement aux centrales thermiques au gaz, ce combustible entre encore pour une faible part dans le prix de revient de chaque kwh généré par les centrales nucléaires.Par contre, on devrait commencer à se poser des questions sur les réserves réelles d'uranium, estimées à 50-70 ans, surtout si on se place dans une perspective de relance de cette filière. D'ailleurs, certains pays, à l'image de l'Inde, comptent lancer la construction d'un nouveau prototype de réacteur à eau lourde fonctionnant au thorium, davantage disponible chez eux et, ainsi, susceptible d'assurer une meilleure sécurité énergétique que l'uranium. Opinion Selon les lobbies nucléaires, la traversée du désert de cette industrie tire à sa fin. Il faut dire que depuis le début de ce nouveau millénaire, les annonces de nouveaux projets et les alliances et manœuvres politico-industrielles sont présentées comme les prémices d'un renouveau nucléaire. Pourtant, à cette date, ce n'est que de la rhétorique car le succès commercial est loin d'être au rendez-vous, surtout que les multiples annonces et demandes de licences ne se traduisent pas du tout par des ouvertures de chantiers. En effet, un bref regard sur les chiffres réels montre que d'ici 2015, près d'une centaine de réacteurs atteindront l'âge critique de 40 ans ou fermeront pour d'autres raisons, ce qui suppose que 60 nouvelles centrales doivent être construites juste pour maintenir le niveau actuel. En tenant compte des délais de construction et du manque de projets d'envergure, cela semble, aujourd'hui, hors de portée. A plus long terme et pour maintenir le niveau actuel, ce sont près de 200 nouveaux réacteurs qui sont requis pour 2025 et plus de 300 pour 2030.Or, il faut convenir que, sans assurance de recouvrement des coûts, les producteurs d'électricité, tout comme les banques et les financiers hésitent à consentir les investissements massifs que requiert cette filière qui est, plutôt, à la recherche de subventions. Bien plus, contrairement aux affirmations de plusieurs analystes dont le parti pris nucléaire est évident, il se dessine encore aujourd'hui, que la renaissance du nucléaire est encore une perception faussement colportée et que le nombre total des réacteurs nucléaires dans le monde va, probablement, décroître au cours des deux prochaines décennies. Dz : selon plusieurs journaux locaux, conformément à son droit d'accès à l'énergie nucléaire civile, l'Algérie prévoit l'adoption d'une loi sur l'énergie atomique, qui va réglementer la construction de centrales nucléaires. Certains avancent même que le constructeur franco-allemand Areva est largement consulté et que la 1re centrale serait construite au cours de la décennie à venir. Pourtant, le débat ne devrait pas se situer à ce niveau-là, surtout que le timing, la géopolitique et bien d'autres facteurs ne plaident pas pour un développement de centrales nucléaires. Par contre, l'Algérie ne peut se permettre l'économie d'un débat technique et socio-économique sur le futur énergétique du pays car les options à retenir doivent être, avant tout, le résultat d'une large consultation, pour ne pas dire d'un choix de société. Toutes les options et opinions doivent être mises sur la table et il y aurait lieu de privilégier les filières qui présenteraient le plus de perspectives en termes de positionnement stratégique, de création de richesse et d'emplois. Si, dans le domaine de l'énergie, il est sage de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, il est encore plus pragmatique de s'assurer de mettre ses œufs dans son propre panier. L'aisance financière actuelle peut servir comme locomotive pour promouvoir les sources d'énergie propres et renouvelables. Dans le domaine solaire, il y a un alignement des astres qui se dessine et, pour reprendre une expression nord-américaine, c'est le momentum pour faire preuve d'audace et sortir des sentiers battus. L'autorité de régulation du marché de l'énergie est probablement l'instance la mieux indiquée pour orienter un futur débat sur l'énergie et nul doute que nombreux sont les algériens qui ne manqueraient pas d'apporter, alors, leur contribution. L'auteur est expert en énergie, professeur associé à l'Ecole polytechnique de Montréal. Auteur de Dilemmes énergétiques, publié avec G. Olivier aux Presses de l'Université du Québec PUQ en avril 2008