Plus d'une année après la chute de Hosni Moubarak, 57 millions d'Egyptiens sont appelés à se rendre, aujourd'hui, aux urnes pour désigner son successeur. La société égyptienne va faire l'expérience inédite, en effet, d'une élection présidentielle dont le nom du vainqueur n'est pas connu à l'avance. Historique, le scrutin déterminera bien évidemment aussi l'avenir politique de la révolution.En bien des cas, il représente le second acte du printemps égyptien. Douze candidats briguent le poste de chef d'Etat après la chute de Hosni Moubarak, dans un pays mené par une armée omniprésente. Au plan formel, l'élection du nouveau président est présentée comme la dernière étape d'une transition démocratique gérée par l'armée mais entachée de nombreuses violences. Au terme de ce scrutin, il est attendu effectivement que l'armée rende le pouvoir aux civils. Il est à rappeler que près de seize mois après la chute du raïs et en dépit de l'élection d'un parlement dominé par les islamistes, le pouvoir n'a pas encore changé de mains. La question est de savoir maintenant si les militaires ne continueront pas à tirer les ficelles en coulisse au-delà du 1er juillet, date devant marquer le retour de l'armée dans ses casernes. Officiellement, l'armée a promis de rentrer dans ses casernes une fois élu le nouveau président, mais ce retrait pourrait bien n'être qu'un trompe-l'œil en raison de son poids politique et économique considérable. Son rôle dépendra beaucoup du président qui sortira des urnes. S'il est issu de l'ancien régime (comme Amr Moussa ou Ahmad Chafik), l'armée pourrait garder un rôle important. Si une autre personnalité est élue, il est à parier que le débat concernant la place de l'armée sera tendu, surtout que l'Egypte ne s'est toujours pas dotée d'une nouvelle Constitution. L'armée trop influente pour s'effacer du jour au lendemain Depuis la démission de Hosni Moubarak en février 2011, c'est le Conseil suprême des forces armées (CSFA), commandé par le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, qui dirige l'Egypte. Durant cette année de transition mouvementée, l'armée a souvent été accusée de vouloir maintenir l'appareil répressif du passé ou de s'accrocher à ses privilèges. Plus globalement, l'armée constitue la colonne vertébrale du système égyptien depuis la chute de la monarchie en 1952. L'institution a depuis donné au pays tous ses présidents. Elle détient un vaste et opaque empire économique, qui comprend d'innombrables sociétés dans les domaines les plus divers (construction, hôtellerie, ciment...). Tous ces éléments font que les militaires resteront influents quoi qu'il advienne. Bien qu'il n'est pas évident pour le moment de savoir quel candidat succèdera à Hosni Moubarak, chassé du pouvoir par la rue le 11 février 2011, il est difficile, pour autant, d'ignorer la partie à quatre qui oppose d'une part deux islamistes, le Frère musulman Mohamed Morsi et le dissident de la confrérie Abdel Moneim Aboul Fotouh, et d'autre part deux «libéraux» incarnant une forme de continuité avec l'ancien régime, l'ex-ministre Amr Moussa et l'ex-général Ahmed Chafik, favori de l'armée et de la minorité chrétienne copte. Les Frères musulmans en pole position Face à ces poids lourds, seul le «président des pauvres», le nassérien Hamdine Sabahi, qui se présente en «seul défenseur des idéaux révolutionnaires», semble en mesure de tirer son épingle du jeu. Mais s'il est effectivement ardu de faire un pronostic sur cette présidentielle, il reste que les résultats du vote expatrié donnent déjà une avance à Mohamed Morsi et Abdel Moneim Aboul Foutouh. Le score réalisé par chacun de ces deux candidats islamistes va d'ailleurs à l'encontre des sondages, qui placent le candidat des Frères musulmans au mieux en troisième position. Contrairement à l'Algérie où les islamistes enregistrent un important recul, il se pourrait donc bien que les Frères musulmans égyptiens contrôlent bientôt les principaux leviers de l'appareil exécutif après avoir raflé la majorité au Parlement. L'hypothèse est d'autant plus probable que la majorité des Egyptiens manifestent une envie de rompre avec l'ancien régime. Mais au-delà des enjeux politiques de cette présidentielle, l'ensemble des observateurs s'accordent à dire que le principal défi de l'ère post-révolution est le même que celui de l'Egypte de Moubarak : comment relancer une économie en panne, lutter contre la pauvreté et le chômage qui affiche un taux des plus inquiétants. Si le prochain président ne parvient pas à trouver de réponses à ces problèmes concrets, il est fort possible qu'il subisse le même sort que Moubarak. Et le constat vaut également pour les Frères musulmans. La raison tient au fait que la société égyptienne, sinistrée dans son ensemble, est lasse d'attendre et ne croit plus aux sornettes des politiques.