Le gouvernement marocain que dirige, depuis le mois de janvier dernier, Abdelilah Bekirane, le secrétaire général du Parti islamiste de la justice et du développement (PJD), n'aura bénéficié que d'un bref état de grâce. Arrivé au pouvoir après une victoire sans bavure aux élections législatives de novembre 2011, le PJD fait aujourd'hui face à une crise sociale aiguë à laquelle il peine à trouver des solutions. La crise est accentuée par la sécheresse et une baisse de plus de 30% des recettes du tourisme. Pour corser le tout, selon un rapport de la Banque mondiale (BM) rendu public le 14 mai à Rabat, près de 30% des jeunes âgés de 15 à 29 ans sont au chômage. Autant dire qu'il s'agit là d'un véritable casse-tête pour la formation islamiste qui avait pourtant promis, il y a quelques mois encore, d'améliorer le quotidien des Marocains et de faire régner la justice sociale. Mais en l'absence de rentrées suffisantes de devises et en raison du ralentissement du secteur agricole qui se trouve être un important moteur de croissance au Maroc, le parti islamiste aura visiblement bien du mal à tenir parole. Pis encore, il risque même de se voir piégé. Près de cinq mois après son arrivée au pouvoir (le gouvernement Benkirane a été installé le 3 janvier 2012), le PJD découvre en effet à ses dépens les difficultés liées à la gouvernance et, surtout, la complexité des problèmes auxquels est confrontée la société marocaine. Pour dénoncer justement son incapacité à atténuer les contrecoups de la cherté de la vie et à apporter des réponses à la crise, des milliers de personnes (50 000 selon les organisateurs) ont manifesté, hier, à Casablanca, la plus grande ville de Maroc, à l'appel de la Confédération démocratique du travail (CDT) et de la Fédération démocratique du travail (FDT). Les trois autres centrales syndicales que compte le monde du travail – l'Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), l'Union nationale du travail au Maroc (UNTM) et de l'Union marocaine du travail (UMT) – n'ont pas participé à cette journée de protestation du fait que certains de leurs membres ont été cooptés par le nouveau gouvernement Benkirane. Benkirane piégé par la crise Cette manifestation, qui a surpris par son ampleur, est la plus importante contre le gouvernement. En réussissant leur démonstration de force, la CDT et la FDT prennent en quelque sorte le relais du Mouvement du 20 février qui s'est quelque peu essoufflé et prouvent qu'elles sont des partenaires incontournables dans tout dialogue social. Un dialogue que le gouvernement Benkirane tarde justement à ouvrir, alors que le pouvoir d'achat ne cesse de baisser. La décision de ces deux centrales de recourir à la rue s'explique en partie par le refus du gouvernement de répondre à leur appel au dialogue à propos de la hausse des salaires et de l'amélioration des conditions sociales des salariés. C'est ainsi que du rond-point de Dakar à celui de Mers Sultan, au cœur de la capitale économique marocaine, des milliers de manifestants ont sillonné les grandes artères de la ville en scandant des slogans hostiles au gouvernement. «Benkirane et Fouad Ali El Himma (un très proche conseiller du roi Mohammed VI, ndlr) deux faces d'une même monnaie», ont notamment crié les contestataires. Dans le cas où Benkirane et ses ministres continuent à faire la sourde oreille, ces deux centrales, que l'on présente comme étant proches de l'Union socialiste des forces populaires (USFP, opposition parlementaire) montrent ainsi qu'elles ont les moyens de pourrir la vie aux islamistes, et cela bien que leur parti détient la majorité au Parlement. Il est certain aussi que l'opposition marocaine tentera profiter de cette situation de bouillonnement social pour tenter de reconquérir leur électorat et de mettre des bâtons dans les roues du PJD afin de discréditer durablement ses chefs, qui sont venus au pouvoir dans des habits de sauveurs du Maroc.Et au vu du niveau de mécontentement de la rue, il est à prévoir que Abdelilah Benkirane gouvernera sous pression durant les prochains mois. Eu égard à la difficulté de la crise, son gouvernement risque même de se voir débordé. Le tout est de savoir, justement, combien de temps il résistera avant que le roi Mohammed VI ne décide de redistribuer les cartes.