Moment pénible pour les invités de la présentation Nabni samedi dernier. Il s'agit du rapport prospective Algérie 2020, volet dédié à l'économie et à l'emploi. Point de départ, les performances relatives de l'Algérie. Pas comparée à elle-même en 1962. Mais comparée aux autres sur la même période. Un panel d'une vingtaine de pays émergents, voisins et pétroliers. Dans le lot, la Tunisie et le Maroc, les anciens pays pétroliers Indonésie, Mexique, des actuels, Iran, Venezuela, Arabie Saoudite et quelques autres, comme la Hongrie et la Pologne sorties de l'économie étatique comme l'Algérie. Stupeur et tremblements. Le pays est toujours dernier dans le panel. Ou presque. Les classements visent la compétitivité : part de l'industrie dans le PIB, nombre d'entreprises par millier d'habitants, diversité des exportations, valeur technologique des exportations, taux d'investissement privé, environnement des affaires. L'Algérie n'a pas encore entamé le virage du Titanic. Une métaphore du présentateur du rapport, pour bien faire comprendre que cela va se jouer dans les 20 prochaines minutes. A l'échelle du pays, les 20 prochains mois peut-être. Pas plus. Pour éviter l'iceberg, caché dans la nuit tranquille des chiffres cryptés de l'insoutenabilité du modèle économique actuel. 20 minutes qui ont manqué au capitaine de «l'insubmersible » paquebot de 1912, pour virer suffisamment de bord. L'impact de la baisse des revenus des exportations est donc sur la trajectoire de l'économie algérienne. Visible au-dessus de la ligne de flottaison. Divergence sur la distance avant contact. La gouvernance économique de Bouteflika-Ouyahia pense avoir le temps de réfléchir sur le moment opportun ou il faudra faire monter quelqu'un de la salle des machines pour entamer la bonne manœuvre sur le gouvernail. La longueur de la phrase suggère ici le niveau de perception de l'urgence chez les maîtres du pays. Décalé. Un début d'inflexion vers la compétitivité productive en 2015 donnerait des résultats… au-delà du son sourd de la glace qui déchire la coque. Mais comment donc pallier à cette illusion du temps loisible ? En réintroduisant progressivement sur le cortex de l'Etat l'hologramme de la rareté des ressources fiscales disponibles. Nabni propose donc de constitutionnaliser une règle d'or budgétaire. Un échéancier qui au-delà de 2020 rendrait inconstitutionnel le recours au financement par la fiscalité pétrolière de toute autre dépense de l'Etat en dehors de trois exceptions : les investissements dans l'éducation, dans les infrastructures économiques, et la lutte contre la précarité. Il faudrait pour cela revenir au plus vite à une ancienne règle d'or du début des années 70. Pas d'utilisation des revenus pétroliers pour couvrir le budget de fonctionnement de l'Etat. Une règle piétinée depuis deux ans. Les dernières augmentations de salaire de 2010 et de 2011 ont fait passer le rapport recettes fiscales ordinaires sur dépenses de fonctionnement sous le chiffre 1. L'Etat est hébergé à Hassi Messaoud. Il paye son loyer en baril. Le débat européen sur une règle d'or budgétaire peut s'inviter dès cet été en Algérie. Ailleurs, il s'agit de bloquer par la loi suprême l'endettement public en dessous de 75% du PIB. En Algérie, de ne plus utiliser la fiscalité pétrolière comme neige carbonique. Sur les départs de feu. But double. Préserver la soutenabilité de la dépense publique sur l'horizon des 20 prochaines années. Se mettre une pression vertueuse pour prélever de l'argent public non plus sur les pipes, mais sur la croissance hors pipes. A accélérer par conséquent. La dernière campagne électorale a montré combien la préoccupation du moyen terme était absente chez les acteurs politiques. L'urgence d'effacer le dérapage budgétaire de ces deux dernières années est pourtant évidente pour tous les observateurs avisés de la prospective algérienne. Effacer pour revenir à un contexte plus «normal» qui déverrouille le gouvernail, change la courbe de l'écume sur l'Atlantique Nord. Symboliquement, le redressement industriel et compétitif de l'économie algérienne débute là. Par un moratoire de finances publiques. Alors les autres objectifs de la prospective Nabni 2020 peuvent, sous une voûte céleste bienveillante, s'envisager : 7,5% de croissance par an à partir de 2015, remontée de 5% à 10% de la part de l'industrie dans le PIB à 2020, passage de 10% à 20% de taux d'investissement privé à 2020, passage à plus de 10% de par d'exportations hors hydrocarbures à 2020, 25 entreprises par 1000 habitants et être dans les 50 meilleurs mondiaux dans le classement du climat des affaires. Le président Bouteflika aura tout à gagner à laisser une vraie contrainte budgétaire à son successeur au-delà de 2014. En proposant dans le prochain débat constitutionnel une règle d'or fiscale qui réhabilite enfin le long terme lorsque ses mandats n'ont respiré que de la conjoncture saisonnière.