Tahar Djaout possédait un don précieux : aux heures des plus redoutables tournants de l'histoire, il savait porter son attention sur les forces du bien, de l'avenir. Il détachait pour ainsi dire du contexte de l'histoire l'essentiel. Il trouvait à cet effet des traits saillants, des signes caractéristiques où il puisait la force vitale de sa création. Son œuvre est indissociable de son temps. Ses romans, ses poèmes, ses chroniques et autres écrits journalistiques témoignent de l'époque et de la voie ardue où a marché cet écrivain qui avait connu les pires souffrances dans une Algérie chancelante. Dans les moments les plus difficiles, il s'était toujours montré un citoyen courageux et un travailleur infatigable, n'épargnant ni son temps ni sa peine. En créateur engagé, il pénétrait au plus profond d'une poésie engendrée par la conscience de son peuple souffrant cruellement. Cosmos Ils ne sont pas tellement nombreux, les hommes qui lui ressemblent. Tahar Djaout, poète, se distinguait également par une gravité surprenante de pensées et de sentiments : il parlait rarement de choses secondaires et aussi par la gravité de toute la fracture du vers : intonation, rythme, mots, auxquels il restituait leur valeur et leur portée véritables. Au centre de la poésie de Tahar Djaout fut toujours et demeure l'homme, la recherche de sa place dans l'existence, son monde intérieur enrichi par sa vie, son combat. Mais de sonder les profondeurs du cœur humain ne l'a pas empêché d'aller plus loin, de questionner l'histoire et même le cosmos. La poésie de Tahar Djaout constitue pour ainsi dire une espèce de chronique de la perception du monde par un créateur ayant le sens aigu du moment, du temps et alliant la connaissance de l'histoire à l'expérience du passé et l'ouverture sur l'avenir. AMITIé Cette poésie, qui joint les hauts sentiments et la méditation philosophique à l'amour du prochain et de la patrie, s'inscrit avec naturel dans le monde intérieur si complexe, de l'homme. L'amitié est un mot merveilleux et sans défense. Sans défense, car beaucoup trop de gens l'emploient trop promptement et trop inconsidérément. Ils l'usent et le déprécient. Mais le mot «amitié» a la merveilleuse faculté d'acquérir un nouveau prix, un nouvel éclat, une nouvelle efficacité, quand il en est fait un bon usage. Sur les lèvres d'un homme qui aime la vérité et la défend, le mot «amitié» retrouve sa valeur première. Tahar Djaout était un tel homme. Spontanément parfois, mais toujours sincèrement, il appelait la vérité par son nom, nom effrayant, noirci par la fumée, et aussi nom plein de tendresse, réchauffé par les rayons du soleil. Le poète martyr voulait conduire les hommes dans des voies meilleures en leur disant la vérité : «Dis et meurs».Quelle force dans cet homme ; quelle parole sincère portait sa plume ! Indépendance Les poèmes de Tahar Djaout nous ont conservé la mémoire de l'homme remarquable qu'il fut, la mémoire de tous «les vivants et les morts» ces hommes et femmes honnêtes, sincères, épris de liberté, aimant la paix, la mémoire de «ces anonymes» qu'il a chantés, à qui il a consacré de beaux vers. Chaque poème de Tahar Djaout nous fait admirer son courage, son indépendance d'esprit, l'éclat de son talent et sa générosité humaine. Lui qui maniait le verbe avec une rare conscience humaine, assumant la responsabilité de chacune de ses paroles, lui qui ne craignait pas de dire bien haut l'amère vérité, il fut un de ces poètes dont la plume a pu être comparée à un faisceau de lumière. La vie était pour lui le front où se livre jour après jour, dans les tranches, la lutte contre le bien et le mal, entre les idées d'avant-garde et les éléments obscurantistes, entre le neuf et le vieux*. Il émane de lui une lumière, comme celle qui s'irradie de l'ambre translucide de l'Algérie. (*) Voir l'excellent livre écrit par Rachid Mokhtari