Le seul réalisateur de cette envergure à avoir filmé les fantômes de la guerre d'Algérie. Parmi les sélectionnés à la 65e édition du Festival de Cannes, quatre étaient déjà lauréats de la Palme d'Or, dont l'Autrichien Michael Haneke qui a finalement obtenu le «doublé» avec son film Amour. Il entre ainsi dans le club très fermé des «bi-palmés» qui comptait cinq membres jusque-là : Francis Ford Coppola, Bille Auguste, Emir Kusturica, Shohei Imamura et les frères Dardenne, en les comptant pour un. Michael Haneke, connu pour sa vision critique de la société moderne, de la violence qu'elle engendre et de l'éclatement de la famille, s'est aussi attaché, à travers son œuvre, à aborder les démons de l'histoire et leur terrible pérennité. Traitant de ces questions sans ambages, plusieurs de ses films se sont vus interdits aux moins de 16 ans, ou assortis de l'avertissement bien connu sur les «scènes, propos ou images qui peuvent heurter la sensibilité des spectateurs». Bardé de prix et de récompenses, le réalisateur a déjà reçu sa première Palme d'Or en 2009 pour Ruban blanc, également Oscar du Meilleur film étranger. Il a reçu quantité d'autres prix, assortis de plus d'une quarantaine de nominations. Cette deuxième Palme d'Or récompense un drame de plus de deux heures, mettant en scène Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva et Isabelle Huppert dans une performance remarquable d'acteurs, au point que quelques critiques pensent que le réalisateur leur doit beaucoup sa Palme. Il est vrai qu'ils sont extraordinaires dans leur jeu. L'histoire est celle d'un vieux couple dont la femme est condamnée par une maladie. Au début, le huis clos, ajouté au face-à-face, s'annonce insupportable. Deux vieux, leur fille qui passe, une infirmière de temps en temps… Mais, très vite, on est pris par le film. Le face-à-face s'avère un côte-à-côte fort et émouvant. On oublie l'enfermement de cet appartement pour entrer dans la grandeur humaine, celle de la tendresse portée à ses sommets. Haneke, coutumier des films plutôt violents, a désarçonné avec Amour, bien que la violence de ce film soit autre et autrement filmée. Le registre intimiste, déjà abordé avec La Pianiste, l'a amené à se renouveler. Il en a expliqué le sujet par une expérience vécue dans sa propre famille. Mais, en attendant de voir son prochain film, il reste le cinéaste de l'influence des sociétés et de l'histoire sur les destins individuels. Il a traité du nazisme dans plusieurs films ainsi que de la guerre d'indépendance algérienne dans Caché, Prix de la mise en scène à Cannes en 2005. Une œuvre dure et brutale avec Daniel Auteuil, Juliette Binoche et Maurice Bénichou. Critique littéraire, Georges reçoit des vidéos où il est filmé avec sa famille, ainsi que des dessins mystérieux et inquiétants. Il découvrira qu'ils viennent de son frère adoptif, un Algérien dont le père a été noyé lors des manifestations du 17octobre 1961, et qu'il a toujours rejeté, réussissant par un subterfuge à le faire chasser par ses parents. Ils finissent par se rencontrer. Le fils de l'émigré mettra fin, devant lui, à ses jours, horriblement, plongeant Georges dans un abîme de sidération et de culpabilité. Ce film dérangeant et terrible est sans doute le seul d'un cinéaste d'envergure internationale à avoir abordé la question de la guerre d'indépendance algérienne et, notamment, la répression de 1961 à Paris, sous un angle aussi fort et original, bien qu'indirect, ce qui rajoute paradoxalement à son impact. Michael Haneke montre en épilogue les enfants des deux frères ennemis, sortant ensemble d'une piscine. Une manière de dire que les fantômes peuvent se dissoudre au fil des générations...