Fin et suite… Ainsi peut être résumée l'issue du procès du «siècle» en Egypte, qui a vu hier l'ex-raïs déchu, Mohamed Hosni Moubarak, condamné à la prison à vie pour la mort de près de 850 manifestants durant la révolte de 2011 contre son régime. Il y aura forcément une suite puisque six anciens hauts responsables de la sécurité, qui faisaient office de bras armé de Moubarak, s'en sortent à bon compte avec des acquittements. Pour les jeunes de la révolution et les familles des victimes, la fête n'a pas été totale même s'ils auraient souhaité que le raïs soit fusillé sur la place publique.Précisément, le verdit tant attendu a fait froid dans le dos à de nombreux Egyptiens qui ne comprennent pas pourquoi les six sécuritaires directement impliqués dans les tueries soient lavés du sang des martyrs. Plus insupportable encore pour ces milliers de personnes massées aux abords du tribunal du Caire, les deux fils de M. Moubarak, Alaa et Gamal, qui comparaissaient également, n'ont pas été condamnés. Sentence du président de la cour, le juge Ahmed Rifaat : les faits de corruption qui leur étaient reprochés étant prescrits. Une argutie juridique difficile à avaler pour des millions d'Egyptiens. Réflexe presque pavlovien en Egypte : aussitôt la lecture du verdict terminée, des processions humaines affluent vers l'emblématique place Tahrir pour replanter l'étendard de la révolution. Eh oui, le feuilleton égyptien regardé en live dans le monde entier garde un incroyable suspens. Un verdict aigre-doux Hier, en tout cas, les images en provenance de cette place, laissent des lendemains incertains dans un pays qui s'apprête à choisir le successeur de Moubarak entre un islamiste et un ex-compagnon du raïs. Si presque tout le monde a éprouvé la joie de voir l'ex-pharaon Moubarak enfin condamné à la prison à vie, la surprenante clémence dont ont bénéficié ses deux enfants et ses six acolytes liés aux «moukhabarate» ont laissé un goût d'inachevé. Un verdict qui n'échappe pas aux questions et aux interprétations politiques, d'autant plus que l'ex-ministre de l'Intérieur, Habib El Adli, jugé lui aussi pour la mort des manifestants, n'a pas eu les même «faveurs» de la justice égyptienne que ses six collaborateurs. Le bras droit Moubarak a été en effet condamné à la réclusion à perpétuité. Ce procès d'entre les deux tours de la présidentielle dégage une forte odeur de manipulation. A la place Tahrir, qui a repris hier ses couleurs et ses douleurs, l'ambiance de la révolution paraît intacte. Les Egyptiens ne semblent pas prêts à se laisser écraser sous les bottes des militaires dont ils perçoivent la volonté via le verdict du procès. Aussi, la qualification du général Ahmed Chafiq, l'ex-Premier ministre de Moubarak, au deuxième tour de la présidentielle, renforce-t-elle cette crainte d'une reprise en main musclée du destin égyptien par les hommes en uniforme. Un avenir en pointillé… Il y a objectivement des signes qui créditent l'hypothèse d'un scénario contre «révolutionnaire» qui consisterait pour les militaires de reprendre la main. A commencer par ce commentaire quasi arrogant de Yasser Bahr, l'un des avocats de M. Moubarak : «Ce verdict est plein de failles juridiques. Nous allons gagner (en appel) à un million pour cent». D'où est-ce qu'il tire cette certitude alors qu'au même moment, des familles de victimes ont fondu en larmes parce qu'insatisfaites du verdict qui n'a pas vengé leurs enfants et proches ? Il y a aussi cette réaction toute «militaire» de Ahmed Chafiq selon lequel«les décisions de justice doivent être acceptées», y compris «l'acquittement des six hauts responsables de la sécurité». Ce candidat-général adoubé par le Haut conseil de Tantaoui ne pouvait logiquement retourner le fusil contre son camp. Cela se comprend. Le candidat officiel joue (faussement) le légaliste sachant qu'il pourrait compter sur certains de ceux qui ont échappé aux peines dans sa course à la présidence. Sa posture de militaire droit dans ses bottes tranche avec celle du concurrent Mohamed Morsi qui a tôt fait de qualifier le verdict d'hier de «farce». Surfant sur la colère qui gronde à place Tahrir, le candidat des Frères musulmans a tout de suite promis de rejuger les prévenus s'il est élu président. «Si les chefs de la police sont innocents, alors qui a tué les manifestants ?», s'écrie un haut responsable des Frères musulmans, Mahmoud Ghozlan. A l'arrivée, le procès Moubarak n'a fait que creuser davantage le fossé entre les militaires et les tenants de l'ancien régime d'un côté, et les partisans de la révolution, dont les islamistes, de l'autre. A quelques jours du deuxième tour de la présidentielle (les 16 et 17 juin), l'avenir de l'Egypte s'annonce en pointillé…