I love you more than I can say » (je t'aime plus que je ne peux le dire). Le tube de Léo Sawyer, qui avait fait fureur dans les années 1980, occupe l'espace de la gare centrale de Hong Kong. Les lieux sont bien aménagés. Des box sont occupés par de jeunes commerçants. Le revendeur de CD tente de convaincre les voyageurs en partance pour Shenzhen, à 40 minutes de trajet en train, dans le sud de la Chine continentale (mainland China). La montée dans le train, le célèbre KCR est rapide. L'arrêt ne dure que deux minutes. Dans les compartiments « first class », il est interdit de fumer, de manger ou d'utiliser un appareil musical sous peine de payement d'une forte amende. Un agent veille au grain. Le ticket est à 33 dollars hongkongais (HK), presque 5 euros. Shenzhen est le terminus. C'est également le poste frontalier entre Hong Kong et la Chine continentale. Double passage à la PAF. Sortir de Hong Kong. Il faut remettre le duplicata de la carte d'entrée.“Si vous vous sentez mal, consultez un médecin”, est-il écrit devant le poste de police. La crainte de la grippe aviaire est partout. Les compagnies aériennes, qui desservent Hong Kong et la Chine, distribuent aux voyageurs des prospectus expliquant la maladie et la manière de l'éviter. Des conseils sont donnés pour s'interdire « tout contact » avec la volaille. Pour entrer en Chine, il faut un visa. Visa obtenu au niveau de nombreuses agences de voyages à Hong Kong contre l'équivalent de 19 euros (HK). Généralement, il est accordé un visa avec une seule entrée pour une durée de trois mois. Les Chinois qui veulent se rendre à Hong Kong, région administrative spéciale, doivent se munir d'un passeport. Et cela, en dépit du fait que ces territoires soient mis sous l'autorité de Pékin. Aucune question n'est posée par l'agent de la police des frontières sur les raisons de la visite. La Chine s'est adaptée depuis longtemps au flux touristique. Les réflexes de l'Etat policier ont presque disparu. Les douaniers se contentent de quelques regards furtifs. Au sortir de la gare, une dame, dos courbé, implore la générosité des voyageurs avec une tasse à la main. Ici, Les mendiants se dotent toujours d'un ustensile de cuisine. Selon l'Organisation internationale du travail (OIT), la pauvreté urbaine commence à supplanter la traditionnelle misère des campagnes chinoises. Plus de 320 millions de Chinois sont menacés de pauvreté à niveaux différents en dépit de la forte croissance économique du pays (9,9% en 2005). Les dépenses publiques destinées à la santé et à l'enseignement sont jugées faibles par les organismes internationaux, à peine 5,5 % du produit intérieur brut (PIB). Rien à voir avec le budget consacré à l'armée qui sera de l'ordre de 35 milliards de dollars en 2006. Pékin a adopté, depuis quatre ans, un large programme de lutte contre la pauvreté rurale, doté de 21 milliards de dollars. Le nombre de Chinois qui vivent et qui travaillent en campagne atteint environ 500 millions de personnes dont 360 millions occupées par l'agriculture. Les campagnes, et d'une manière sporadique, ont connu des émeutes de paysans, entourées de silence. Officiellement, le taux national de chômage est de 3%. « Glorieux » de s'enrichir La nuit tombe presque à Shenzhen, quatre fois plus grande qu'Alger. Direction Shennan Road, où se retrouve Wuzhou guest house, l'hôtel le plus en vue de la ville, propriété de l'Etat. Des marques connues, comme Joop ! et 0001 Aristoï, y ont ouvert des boutiques. Une grande image du président américain Bush père est exposée dans la vitrine de Lang Lang, un tailleur de luxe. Jadis village de pêche, Shenzhen, qui est située dans le delta de la Rivière des perles, dans la province de Guangdong la plus peuplée de Chine avec plus de 110 millions d'habitants, a connu un changement spectaculaire. En quinze ans, le nombre de ses habitants est passé de 30 000 à 11 millions d'âmes. L'agglomération compte à peu près 900 tours et gratte-ciel ! Le plus connu est Shun Hing Square, l'un des10 plus grands gratte-ciel au monde. Haut de 384 mètres, il comporte 69 étages. Les architectes chinois ont gagné cette réputation de pouvoir bâtir l'équivalent d'un immeuble de 30 étages...chaque année. Lisa Li, de l'association de l'accueil des visiteurs étrangers, rappelle que Shenzhen a connu une véritable mutation. « On a commencé à construire des tours et des routes. Cela a attiré les jeunes à la recherche du travail. C'est simple, la moyenne d'âge à Shenzhen est de 27 ans seulement », précise-t-elle. « Je suis venu ici pour travailler. La vie est meilleure. C'est plus moderne », nous dit un jeune Tibétain. Quel est le secret de cette mutation unique dans l'histoire urbaine ? En 1978, Pékin décide de « s'ouvrir » sur l'extérieur avec le début des réformes agricoles. C'est le premier pas de ce qui deviendra plus tard la croissance économique la plus rapide au monde. Des programmes d'urbanisation et de création de zones économiques spéciales (ZES) sont lancés à Shenzhen, Zhuhai, Hainan et Shantou à partir de 1980. « Il est glorieux de s'enrichir », avait déclaré le président Deng Xiao Ping, lors d'une visite à la Bourse de Shenzhen, à l'origine de l'initiative. Ces paroles annonçaient le début d'une nouvelle ère pour le pays : l'Empire du Milieu ne sera plus le même. Deng Xiao Ping, qui a succédé Mao Zedong en 1978, a également impulsé « la révolution silencieuse » dans les campagnes. Celle qui a permis aux paysans de posséder leurs terres. Il a progressivement levé le monopole de l'Etat sur certaines activités dont la vente des graines. Le concept « économie de marché socialiste » est consacrée dans la Constitution en 1993. Des zones de même type que celles de Shenzhen sont créées dans des villes côtières, dont Tianjin, Yantai, Qingdao, Lianyungang, Nantong, Guangzhou et Shanghai. A Pudong, dans la région de Shangaï, une ville nouvelle « économique »est créée sur la rive du Hangpu. Un pôle d'industrie de haute technologie y est créé. Autant qu'à Shenzhen, ville où s'est tenue, fin 2005, la foire High-tech, la deuxième en importance au monde. La surface réservée à cette manifestation est impressionnante : 250 000 m2 ! La capitale du jouet L'industrie des nouvelles technologies de l'information et de la communication représente 60% des activités de la ZES de Shenzhen. C'est ici que sont fabriqués plus de 15 % de la production mondiale de disques durs. Selon une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Chine est le premier exportateur mondial de biens électroniques grand public, comme les téléphones portables, les ordinateurs et le matériel audiovisuel. Elle dépasse les Etats-Unis, le Japon et l'Union européenne. A l'origine de cette prouesse, de grands groupes industriels tels que TCL, Changhong, Greatwall, SVA, Haier, Huawei et Konka. Spécialisé dans la fabrication de téléviseurs, Konka exporte vers 90 pays. La plupart de ces groupes ont leur siège social à Shenzhen. Le secteur privé est dominant dans la zone économique de cette région. Ce secteur, et pour l'ensemble du pays, est, d'après les experts, à l'origine de plus de la moitié du PIB et d'une part importante des exportations. Les entreprises d'Etat qui, à une certaine époque, assuraient logements et écoles aux employés et à leurs enfants, ne créent presque plus d'emplois. Certaines ont été « fusionnées », d'autres carrément fermées ou partiellement privatisées. La restructuration du secteur d'Etat ne s'est pas encore achevée. L'équillibre entre les impératifs du marché et les règles du Plan central n'est pas trouvé pour les entreprises publiques. Une partie des multinationales, qui assurent 40 % des exportations chinoises, est installée dans la région de Shenzhen à l'image de Philips, Intel, IBM, Samsung et ABB. Les groupes internationaux continuent d'arriver à un rythme régulier. Ils tirent profit d'une main-d'œuvre peu coûteuse et peu constestataire. L'américain Wall Mart, numéro un mondial de la grande distribution, fabrique, un partie considérable des produits revendus dans ses surfaces, dans la zone de Shenzhen où il a son siège pour la Chine. Zone d'où provient presque 70% de la production mondiale de jouets. rivalité et affaires La Yitian Road, qui traverse Shennan Road en plein cœur de Shenzhen, est une artère fort fréquentée (il y est dénombré 5 véhicules pour 100 habitants !). Ici, on se rappelle à peine que des opposants avaient occupé la rue en 1989 pour exiger plus de liberté. Contestation réprimée comme à Tiananmen, à Pékin. Deng Xiao Ping (mort en 1997), qui refusait toute idée d'ouverture politique, a voulu faire de Shenzhen, une rivale de Hong Kong, située à 150 km au Sud. Pari presque réussi. Même si le programme de modernisation ne sera réellement évalué qu'en 2010. Le maire de la métropole, Xu Zongheng, semble s'y attacher. Le capital hongkongais est présent dans la région de Shenzhen et profite du régime de facilitation fiscale. Une grande partie du poulet et du poisson consommés à Hong Kong provient de Shenzhen. La rivalité n'empêche donc pas les affaires ! Surtout qu'en week-end, les Hongkongais arrivent en masse pour faire des achats. Shenzhen est dix fois moins chère que Hong Kong. La métropole, qui possède une compagnie aérienne, dépasse Shanghaï, la deuxième ville de Chine, en volume d'exportations avec plus de 148 milliards de dollars chaque année, soit 6 fois les ventes algériennes à l'étranger. Chaque année, 15 millions de voyageurs passent par l'aéroport de Shenzhen. Il est en quatrième position derrière ceux de Pékin (ou Beijing), Shanghai et Guangzhou (ex-Canton). Le nombre de touristes est en hausse. Annuellement, plus de 20 millions d'étrangers visitent Shenzhen qui, en dépit de sa taille, garde toujours sa verdure. Ils sont attirés par « Small world », parc où toutes les merveilles du monde sont miniaturisées à l'image des pyramides d'Egypte, la tour Eifel de Paris ou la statue de la Liberté de New York. Le China folk culture villages, le parc des minorités chinoises, reste toutefois la principale curiosité de Shenzhen.