Le Conseil militaire, au pouvoir depuis la chute de Moubarak, est sorti de son bunker pour brandir la menace contre ceux qui veulent déstabiliser le pays. Le Caire (Egypte) De notre envoyé spécial C'est un pays au bord de l'explosion. Le Caire a connu, hier, un vendredi des plus angoissants. La crise politique dans laquelle s'enferre l'Egypte a franchi, hier, un nouveau cap dangereux dans le choc qui oppose le Conseil suprême des forces armées (CSFA) aux forces révolutionnaires. Alors que des dizaines de milliers d'Egyptiens manifestaient sur la place Tahrir et dans d'autres villes du pays contre «le coup d'Etat de l'armée», le Conseil militaire, au pouvoir depuis la chute de Moubarak, est sorti de son «bunker» pour brandir la menace contre «ceux qui veulent déstabiliser le pays». Dans un communiqué aux relents guerriers, le CSFA a clairement signifié sa volonté à frapper d'une main de fer «toute tentative qui porterait atteinte aux intérêts publics et privés». Tout en garantissant respecter le droit de manifester pacifiquement, le Conseil militaire a appelé «toutes les parties à éviter toute action qui mettrait en danger la sécurité du pays», auquel cas il agirait «avec la plus grande fermeté». Le CSFA a vertement attaqué le candidat des Frères musulmans à la présidentielle, Mohamed Morsy, en lui faisant porter la responsabilité «des divisions et de la confusion» dans la rue égyptienne. «La précipitation dans l'annonce des résultats de la présidentielle est l'une des causes principales de la division et de la confusion qui règnent dans la rue égyptienne», a indiqué le communiqué des généraux. Accusés d'avoir fomenté un coup d'Etat institutionnel et de velléités de se maintenir au pouvoir, les militaires signifient que «ce qui est émis du Conseil militaire est dicté par notre conscience de l'intérêt du pays et la déclaration constitutionnelle complémentaire est imposée par les impératifs de gestion des affaires du pays en cette période critique». Les militaires finissent leur communiqué avec une phrase lourde de sens… et de conséquences : «Nous mettons en garde contre le non-respect de la légalité.» Ainsi, l'armée sonne la fin de récréation et affiche clairement sa fermeté à imposer son ordre. Mais sur la place Tahrir, épicentre de la révolution de janvier 2011, les forces révolutionnaires ne l'entendent pas de cette oreille. Leur réplique ne s'est pas faite attendre. «Yaskout yaskout hokm el asker» (à bas le pouvoir des militaires), rugissent en chœur et à gorge déployée les dizaines de milliers de manifestants massés sur cette mythique place de Tahrir, sous un soleil brûlant. La mobilisation d'hier a drainé d'importantes foules rappelant celles des journées d'insurrection de janvier 2011 qui ont fait chuter Hosni Moubarak et son clan. Les célèbres slogans «Liberté, démocratie et justice sociale» retrouvent leurs couleurs et leurs sens. Les différents mouvements prédisent un second souffle de la révolution qu'ils croyaient finie. Le conseil militaire s'isole Le maréchal Hussein Tantaoui (président du CSFA) et son cartel de généraux risquent-ils le même sort ? En tout cas, les manifestants ne jurent que par le départ de l'armée du pouvoir afin de permettre enfin «à Mohamed Morsy de présider aux destinées du pays». «Moch ha nemchi, howa yemchi» (nous ne partirons pas, c'est à lui (Tantaoui) de partir) clame la foule de manifestants d'extractions politique et idéologique diverses.Les Egyptiens, sortis en nombre, dénoncent les récentes mesures prises par le CSFA. La dissolution du Parlement, la déclaration constitutionnelle complémentaire, l'élargissement des pouvoirs de la police militaire et la nomination d'un Conseil de défense national ont fait redescendre les Egyptiens dans la rue, car ils voient dans ces manœuvres une confiscation de leur révolution et une tentative de «remettre en marche l'ancien système». Et face au coup de force militaire, la classe politique d'opposition multiplie les contacts afin de nouer un front commun «pour mettre en échec les manœuvres des militaires». Des réunions marathon ont lieu depuis jeudi soir entre les différents acteurs politiques, menées essentiellement par le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsy. Ce dernier a pris contact avec le candidat malheureux, Abdelmoneim Abou El Futouh et le prix Nobel de la paix Mohamed El Baradei. Il s'est réuni également avec de nombreuses personnalités politiques et des membres des mouvements des jeunes de la révolution pour élaborer une stratégie commune. Au terme de ces contacts, il a annoncé la création d'«un front national qui regroupe plusieurs mouvement politiques pour préserver la révolution», au cours d'une conférence de presse animée en fin de journée. Le candidat Morsy et probable futur président de la République a appelé à «remettre le pouvoir à une autorité civile choisie avec la volonté libre des Egyptiens». Il a réaffirmé par la même occasion son attachement à une Egypte «libre, civile, démocratique, constitutionnelle et moderne». Il a également mis en garde contre «la manipulation des résultats des élections qui devraient être annoncés le plus tôt possible». «Des résultats prévus et nous ne permettrons pas de les manipuler», a-t-il menacé. Mohamed Morsy dit rejeter les mesures prises récemment par le CSFA : «Nous exprimons notre rejet de la dissolution du Parlement et l'élargissement des pouvoirs de la police militaire, tout comme nous refusons la déclaration constitutionnelle complémentaire dans une période critique que traverse le pays. Ce sont là des tentatives d'étouffer le président de la République.» Face au danger d'une impasse politique, Morsy a exclu tout recours à la violence : «Nous rejetons tous ensemble la violence. Nous assurons que nous ne sommes pas les partisans de la violence.» Et s'il a assuré qu'il n'a aucun conflit avec l'armée, Morsy a toutefois indiqué que «le Conseil militaire a commis des erreurs et nous ne sommes pas d'accord». En somme, l'Egypte, qui vit les heures le plus longues et les plus dangereuse de sa transition vers la démocratie, attend toujours son nouveau président. La commission électorale devrait rendre son verdict aujourd'hui ou demain. Une victoire de Morsy pourrait calmer les ardeurs des Egyptiens, mais donner les clés de la Présidence au général Chafik plongerait le pays dans un chaos certain.