Après avoir vécu l'exode des Palestiniens et des Irakiens notamment, Kamel Deriche, chargé des programmes des pays en conflit au HCR, est revenu sur la situation humanitaire en Syrie. A ce sujet, il a indiqué que «le HCR continue à intervenir en Syrie, en essayant de trouver l'équilibre nécessaire entre la nécessité de fournir une assistance humanitaire aux Syriens qui ont fui le conflit et à préserver l'espace asile en Syrie». -Vous venez de rentrer d'une mission en Irak. pouvez-vous nous en parler ? En fait, je couvre le programme Irak depuis 2009, en plus, je suis appelé à effectuer quelques missions additionnelles en fonction des urgences auxquelles est confrontée mon agence dans d'autres coins du monde. Je viens de rentrer du Liban pour la même crise syrienne, et je vais m'occuper, dès la semaine prochaine, du même programme, mais du côté jordanien. Pour l'Irak, le HCR y est engagé depuis plusieurs années et sur différents fronts, en coopérant avec le gouvernement irakien pour mettre un terme aux déplacements de populations par le biais d'un plan global. Il est estimé que plus de 1,3 million de personnes sont encore déplacées à l'intérieur de ce pays et des centaines de milliers d'entre elles vivent dans des conditions déplorables. La plupart sont incapables de regagner leur lieu d'origine en raison des conditions de sécurité précaires, de la destruction de leur logement ou des difficultés d'accès aux services essentiels. Les familles vivent dans des sites rudimentaires où elles ne disposent pas d'un logement convenable et n'ont qu'un accès limité à l'eau, à l'électricité, à l'éducation et à la santé. De nombreux déplacés occupent illégalement des terres et des bâtiments, dont ils risquent à tout moment d'être expulsés. Par ailleurs, nous nous occupons directement d'environ 38 000 réfugiés et demandeurs d'asile résidant dans des camps, des sites d'installation ou des centres urbains. Les déplacés internes et les réfugiés irakiens, qui rentrent dans leur lieu d'origine, sont confrontés à de nombreuses difficultés telles que l'insécurité dans de nombreuses zones, le chômage ainsi que le manque de documents officiels et de services publics essentiels. Nous avons également une population apatride confrontée à des problèmes similaires, même si je crois que le fait de ne pas avoir d'existence reconnue à proprement parler est le pire qui puisse arriver à un être humain. -Après avoir vécu l'exode des Palestiniens, des Irakiens, le Proche-Orient est confronté à un nouvel afflux massif de réfugiés, cette fois en provenance de Syrie. Quel commentaire en faites-vous ? J'observe cette tragédie depuis la Jordanie, un des pays affectés dans la région par l'afflux des réfugiés syriens. Quatre pays sont actuellement directement affectés par ce mouvement forcé (Turquie, Liban, Irak et Jordanie). Au moment de cet écrit, plus de 86 000 Syriens se sont enregistrés auprès du HCR. Beaucoup, par crainte, n'osent pas encore le faire. Comme se rappelleront beaucoup d'Algériens ayant souffert du terrorisme il y a quelques années, nous devons réaliser combien ces familles souffrent d'avoir vécu la violence, le conflit, et bon nombre d'entre elles sont et resteront traumatisées. Dans cette population réfugiée, nous devons réaliser que 75% sont des femmes et des enfants. Certaines familles ont fui des zones inhospitalières, car c'était leur dernier recours. Un élément positif dans cette situation est que l'ensemble des pays voisins ont conservé leurs frontières ouvertes et il n'y a pas de retour forcé. En Jordanie comme au Liban, ces familles sont accueillies avec sympathie par des familles hôtes généreuses. La République arabe syrienne accueille l'une des plus importantes populations de réfugiés et de demandeurs d'asile au monde. Cette généreuse politique de la porte ouverte a permis aux réfugiés irakiens de chercher asile et d'avoir accès aux services essentiels tels que l'éducation et les soins de santé primaires. Avec l'appui de la communauté internationale et en partenariat avec les autorités syriennes, le HCR est parvenu à préserver l'espace de protection accordé aux réfugiés et aux demandeurs d'asile. Avec l'aide du Croissant-Rouge arabe syrien, il a continué à leur dispenser une assistance et des services essentiels. Les troubles, qui se répandent dans l'ensemble du pays, ont toutefois engendré des retards dans certaines activités de formation et de renforcement des capacités menées avec nos homologues nationaux et ont ralenti l'élaboration d'un véritable cadre juridique pour les réfugiés et les demandeurs d'asile. Au-delà des problèmes de protection engendrés par les troubles qui règnent actuellement en Syrie, l'impact social et économique de ces événements, sur les personnes relevant de la compétence du HCR, nous contraindra, sans doute, à leur prodiguer une assistance directe dans un proche avenir. De plus, la situation actuelle risque de provoquer d'importants retards dans le programme de réinstallation, compromettant ainsi l'accès des réfugiés à cette solution durable. -Les Irakiens représentent environ 5% de la population syrienne. Comment vivent-ils la crise dans laquelle s'enlise la Syrie ? Le HCR continue à intervenir en Syrie, en essayant de trouver l'équilibre nécessaire entre la nécessité de fournir une assistance humanitaire aux Syriens qui ont fuit le conflit, et à préserver l'espace asile en Syrie. La Syrie a été généreuse dans l'accueil des réfugiés durant toutes ces années et nous ne devons pas oublier cet effort gigantesque dans l'hospitalité qui a été offerte à quelques centaines de milliers d'Irakiens en quête d'asile. Nous ne devons pas oublier l'effort considérable également dans l'accueil d'un demi-million de réfugiés palestiniens. Aujourd'hui, les choses sont difficiles pour tous, que ce soit les nationaux syriens ou les réfugiés eux-mêmes. Dans cet environnement difficile, le HCR continue à délivrer une assistance à quelque 107 000 réfugiés, en majorité des Irakiens. Leurs besoins sont principalement d'ordre économique. Beaucoup travaillaient dans le secteur informel qui a été complètement déstabilisé depuis des mois. En addition, ils revivent les mêmes craintes et angoisses qu'ils ont connues dans leur pays il y a quelques années. -Quel bilan faites-vous de votre précédente mission en Tunisie (réfugiés et déplacés libyens) ? Il est difficile de faire un bilan d'une mission de quelques mois, même si je pense que la période (mai-septembre 2011) a été riche en événements pour la population libyenne. J'y ai vu un grand afflux, mais en quelques mois également, un retour rapide de la majorité de la population. Ce qui rappelle un élément essentiel : notre attachement à notre terre et à nos racines, même si la situation sécuritaire n'est (toujours) pas garantie, les gens sont heureux de revenir chez eux dès que cela est rendu possible. Pour ma part, je prends cette mission comme une contribution humaine apportée à ces familles à un moment difficile de leur vie, dans une chaleur torride, mais je garderais l'image de cette population qui conservait ses croyances de pratiquer le Ramadhan même en exil, cela renforçait encore davantage leur conviction que le bien et la solution n'étaient jamais très loin. Je crois que je garde une satisfaction d'avoir été à leurs côtés et de la population du sud tunisien qui a donné au monde une leçon de générosité. On dit souvent que ce sont ceux qui ont le moins qui donnent le plus, les Tunisiens du sud me l'ont confirmé. -Le HCR se dit vivement préoccupé par la situation des réfugiés maliens arrivés à nos frontières. Comment comptez-vous agir pour aider l'Algérie à les prendre en charge ? Le conflit au Mali entre les forces gouvernementales et la rébellion touarègue a contraint plus de 315 000 Maliens à fuir leurs villages et à traverser vers le Niger, le Burkina Faso ou la Mauritanie. Le financement reçu est très réduit seulement 13% des quelque 153,7 millions de dollars dont nous avons besoin. Sur seulement le dernier mois, quelque 20 000 Maliens ont encore traversé les frontières du Burkina Faso, du Niger et de Mauritanie. Rien qu'en Mauritanie, plus de 460 personnes arrivent chaque jour. Le HCR se concentre sur la délivrance d'une assistance de survie, telle que l'eau potable, l'assainissement, l'abri et assurer l'école primaire pour les enfants. Dans ce désert aride, il est très difficile d'assurer le minimum standard de 10 litres par personne par jour (cela représente la moitié du standard humanitaire établi à 20 litres quotidiens). Nous devons assurer des moyens logistiques considérables pour transporter l'eau par camions citernes sur des dizaines de kilomètres de pistes difficiles. J'ai eu l'occasion d'exercer dans ces zones désertiques dans le passé - en Mauritanie entre 1992 et 1995. Tout est très difficile du fait de l'aridité, des distances, du désert naturellement dangereux, mais également où se pratiquent le banditisme, la contrebande et le trafic en tout genre. Cette crise de nature cyclique pourrait résulter sur une population réfugiée, dans la région, qui approcherait le demi-million de personnes d'ici la fin de cette année.