Dans un arabe châtié, un haut fonctionnaire du ministère irakien des Affaires étrangères interroge : « Est-ce que les autorités suisses donnent facilement l'asile aux Irakiens ? Sincèrement, entre l'asile dans la zone verte de Baghdad et la verdure printanière de Genève, je choisirais la Suisse. » Cet officiel participait à Genève, à la conférence organisée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Son but : mobiliser l'aide internationale pour les réfugiés et les déplacés irakiens. Quelques minutes plus tôt, Hoshyar Zebari, le ministre des Affaires étrangères irakien, avait dressé un tableau plutôt optimiste de la situation dans son pays, expliquant à la presse que le plan de sécurité à Baghdad fonctionne très bien. Que le nord du pays comme le sud sont très stables. Il a même invité les journalistes à lui rendre visite... Une protection sociale ? Réaction étonnée du rédacteur en chef du journal irakien Al Sabah (Le Matin) : « Notre ministre veut dire qu'on peut faire du tourisme aujourd'hui à Bassorah et à Kirkouk ? », peste Jihad Zair. Comme une demi-douzaine de journalistes irakiens, il a couvert l'événement. L'enjeu est de taille : 4 millions de ses concitoyens ont pris le chemin de l'exil ces derniers mois, surtout en Jordanie et en Syrie. Le ministre irakien a d'ailleurs annoncé que le gouvernement Maliki injectera 25 millions de dollars pour les besoins humanitaires de ces réfugiés. Des camps s'ouvriront au nord du pays avec l'appui du HCR et d'ONG. Abdul Samad Al Abbidie, autre ministre irakien (Déplacés et Migration), pousse l'exercice encore plus loin, affirmant que Baghdad réfléchit à une forme de protection sociale pour les réfugiés à Damas et à Amman. Le gouvernement versera un montant à chaque famille déplacée pour les frais de santé et de scolarité des enfants. Information qui fait bondir le journaliste irakien Dawod Janabi : « Cela encouragera les Irakiens à prendre le chemin de l'exil. Totalement absurde. » Le rédacteur en chef du quotidien Al Haqaîq (Les Vérités) voit pointer un autre danger : « On invite les sunnites à prendre la route de la Jordanie et de la Syrie. C'est comme ça qu'on règle les problèmes en Irak », bouillonne-t-il. « C'est un nettoyage ethnique qui ne dit pas son nom. » L'autre pierre d'achoppement, discutée dans les couloirs de la conférence : le refus du gouvernement irakien de voir la communauté internationale et le HCR sortir des plans de répartition des deux millions d'exilés irakiens. Ni la Syrie (avec 1,2 million de réfugiés) ni la Jordanie (750 000) ne peuvent absorber plus de monde alors que 50 000 personnes franchissent la frontière chaque mois. Les moyens de partir Reisan Abdul Letief du Bureau irakien des migrations et des réfugiés explique : « La plupart des exilés sont des cadres, des médecins, des universitaires, des familles de la classe moyenne qui avaient des moyens pour débarquer à Damas et à Amman. Les plus fortunés se sont installés à Dubai, dans les pays du Golfe et en Arabie Saoudite. » Riyad, pour sa part, a investi sept millions de dollars « non pas pour accueillir des déplacés mais pour sécuriser sa frontière en installant des caméras de surveillance », regrette Bill Frelick, chargé du dossier des réfugiés au sein de l'ONG Human Rights Watch. « Mais ceux qui ont atterri à Damas et à Amman ont déjà consommé toutes leurs économies. Ils conçoivent la halte en Jordanie ou en Syrie comme une étape pour aller plus loin, dans des pays occidentaux où le statut de réfugié existe », tonne Rupert Colville, responsable des publications au HCR. L'urgence est là : il faut aider et donner un statut clair aux réfugiés irakiens ainsi qu'aux autres minorités (palestinienne, iranienne, turkmène) coincées dans un no man's land entre Irak et Syrie. « Ce que j'ai vu au camp de Tanf est insupportable. Des personnes oubliées du monde qui campent dans un désert aride entre les postes frontaliers des deux pays », ajoute Rupert Colville, qui vient de rentrer de cet enfer. Un délégué syrien souligne l'hospitalité qu'offre son pays à ses « visiteurs » irakiens. « On fait ce qu'on peut pour faire face à ce drame. Nous avons réitéré à cette conférence notre message : la barque est pleine. » « On est conscient que Damas comme Amman n'utilisent jamais le mot réfugiés, les deux pays n'ayant pas signé la convention ad hoc. Ils tolèrent la situation, tout en libérant des moyens pour y faire face », indique Astrid van Genderen Stort, porte-parole du HCR. L'autre problème des Irakiens en exil, selon lui, est que les autorités irakiennes ont introduit un nouveau passeport. « Les requérants d'asile dans la région doivent se le procurer, sinon ils deviennent des illégaux », poursuit Astrid van Genderen Stort. « Les Irakiens en rade à Damas, Amman ou au Caire doivent renouveler leur visa chaque mois, voire tous les trois mois. » Une corvée de plus pour ceux qui sont en route pour l'exil rêvé vers l'Europe. « Bush doit payer ce chaos » Au plan européen, une solution prend forme, chuchotée entre les délégations présentes cette semaine à Genève : attribuer des quotas de réfugiés irakiens à chaque pays, histoire de soulager les Etats du Proche-Orient où vivent 95% des Irakiens exilés et qui ne disposent pas de structures d'accueil. Mais pour l'instant, les Occidentaux font la sourde oreille. L'Allemagne n'héberge que 52 900 Irakiens alors qu'une centaine de milliers de demandes d'immigration ont été déposées. La France, 1300 et elle a encore 25 000 dossiers sur les bras. La Suisse, 6000. La Grande-Bretagne 22 300 alors qu'elle a des attaches historiques très fortes avec l'Irak. Mais le HCR attend plus des pays industrialisés. L'appel a été certes entendu cinq sur cinq mais l'engagement reste timide. La Suisse a ainsi offert quatre millions de francs et 1000 places supplémentaires. Les USA, 7000 places pour l'année 2007. Ils ouvriront aussi leur porte-monnaie pour soutenir les opérations du HCR et des ONG sur place. D'autres pays pourraient suivre, même s'il est urgent... d'attendre. « Les délégations sont venues écouter. Personne ne bougera un pion pour l'instant », admet un représentant espagnol. De toute manière, ajoute un diplomate arabe, c'est au président Bush de trouver une solution : « En semant le chaos en Irak et dans la région, il a créé l'exode des Irakiens. Et on devrait passer à la caisse. Si nous sommes solidaires avec le peuple irakien, nous n'allons pas payer à la place des Américains. D'autant que le problème trouve sa racine avant tout dans l'occupation américaine. »