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Brigitte Benkemoun. Ecrivaine : «La recherche de la petite fille oubliée»
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Publié dans El Watan le 03 - 07 - 2012

Adulte, on court après son enfance, et quand cette dernière est marquée par une rupture brutale, on retourne sur ses pas pour comprendre, se comprendre ; s'accepter et aller de l'avant, même en revenant en arrière. Brigitte Benkemoun signe un livre catharsis, rapprochant les deux côtés de la Méditerranée.
-Comment est né ce livre ?
Ce livre a commencé à naître il y a 10 ans. J'étais chez mes parents à Arles, et je suis tombée sur un journal, La Provence, qui commémorait les 40 ans des accords d'Evian. A la une, il y avait une photo, une petite fille dans les bras de son père, descendant de la passerelle d'un paquebot, j'ai pleuré. Je crois que pendant 2 secondes, j'ai cru me reconnaître. Et qu'au-delà, je me reconnaissais enfin dans cette histoire que j'avais si longtemps refusé d'affronter. Moi aussi, j'ai été une petite fille sur un bateau quittant l'Algérie en 1962. J'avais 3 ans. Mes parents n'en parlaient pas beaucoup, ne vivaient pas dans la nostalgie et je rejetais, de toute façon, le peu qu'ils disaient de cette guerre et de ce départ dont je n'avais aucun souvenir.
A partir de la photo, j'ai commencé à enquêter. J'ai voulu savoir ce que j'avais vécu sans m'en souvenir. Et je suis allée chercher les souvenirs chez les autres, d'autres enfants de la guerre, un peu plus âgés que moi. J'ai aussi commencé à poser des questions à mes parents, 50 ans après la bataille ! J'ai relu la presse de l'époque, et je suis retournée en Algérie.
-Comment s'est déroulé votre voyage en Algérie ?
Dans le cadre de mon enquête, j'ai rencontré à Paris une Algérienne, Zohra, originaire de Ghazaouet, où nous vivions avant le départ. Elle avait 8 ans en 1962. C'est une très belle rencontre qui m'a beaucoup émue. Elle m'a raconté cette guerre dans une famille algérienne, puis le départ des Européens, des instituteurs... Elle m'a parlé de cette petite ville où j'ai grandi et elle m'a proposé de m'aider à y retourner. A l'arrivée, à Oran, sa sœur et un ami à elle nous attendaient. Et ils nous ont accompagnés pendant tout notre séjour. L'arrivée fut assez déroutante. Evidemment, je ne reconnaissais rien. Dans cette grande ville grouillante, qu'est Oran, je me sentais terriblement étrangère.
Mais peu à peu, j'ai pris mes marques. Nous sommes allés à Rio Salado où mes grands parents maternels tenaient le magasin de journaux, à Ghazaouet où j'avais vécu, à Sidi Bel Abbès le berceau de toute la famille et à Tabia le village où ma mère avait grandi. Je me sentais bien, dans cette chaleur étouffante de juillet, dans ces paysages qui me semblaient finalement familiers. Et j'ai compris ce que je cherchais. Je voulais trouver des traces, quelque chose qui me prouve que tout était vrai. Que j'étais vraiment née ici, qu'on se souvenait encore de nous. Et c'est ce que j'ai trouvé. Avec des Algériens qui nous ont formidablement accueillis, nous étions invités sans arrêt. Une seule porte est restée fermée : celle de l'appartement de mes grands-parents paternels à Sidi Bel Abbès. «Fallait prévenir», m'a dit la dame qui vivait là. J'en ai d'abord été meurtrie, et puis j'ai compris qu'elle avait raison... Je n'étais pas chez moi !
-Comment a été l'accueil de ce livre ?
Ma famille a très bien accueilli le livre. J'ai réveillé les souvenirs qu'ils pensaient avoir enfouis, repris la lecture d'une page qu'ils pensaient avoir tournée. Et du coup, ma tante est aussi retournée en Algérie cet hiver avec ses enfants. Par ailleurs, je me suis rendu compte que nous sommes toute une génération à s'être construits sur le non-dit. Et beaucoup de lecteurs m'ont écrit pour me dire qu'eux aussi avaient longtemps refusé leur histoire algérienne, ou alors qu'ils avaient honte. Honte d'être fils de pieds-noirs dans une France qui ne voulait plus en entendre parler. Honte d'avoir été du mauvais côté de l'histoire. Honte de leurs parents malheureux et déclassés. Eux aussi veulent maintenant savoir ce qui «nous» est arrivés. J'ai l'ambition d'avoir écrit un livre apaisé, peut-être parce que j'ai la chance de ne pas avoir été élevée dans l'aigreur ou le chagrin... Ma famille ne possédait rien, donc n'a rien perdu.
Et nous n'avons pas une histoire tragique. Je me suis penchée sur ce passé sans essayer de régler des comptes. J'ai simplement voulu recueillir les souvenirs des uns et des autres pour reconstituer un puzzle. Certaines positions restent inconciliables, mais on peut les juxtaposer. Et sans juger, on arrive à comprendre que la vérité n'est pas noire ou blanche mais plutôt en couleurs. Le plus beau compliment qu'on m'ait fait a été de me dire que ce livre est «un pont entre deux rives».
-Sur le personnel, avez-vous découvert votre «algérianité» ? Votre identité en sort-elle apaisée ?
Cette recherche a été évidemment très apaisante personnellement. Je sais d'où je viens. Je sais que moi aussi je suis une immigrée. J'étais comme amnésique, je connais maintenant notre histoire. Je me sens très française. Mais je peux dire sans honte, sans gêne, et sans regrets que je suis née en Algérie et que j'ai probablement des origines berbères.
-Un nouveau projet sur l'Algérie...
Non, pas de projet pour l'instant, mais ça viendra.


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